Si je meurs jeune
— Si je meurs jeune, j’aimerai que ce soit ici. Au milieu des prairies, juste à la fin de la nuit. J’aimerai que tu sois là pour me rappeler pourquoi, dans la rosée du matin, je suis étendue sur un lit de roses.
Lorsque je regarderai le ciel, j’aimerai voir des oiseaux… Qui planent, qui batifolent, qui vivent ! Je veux voir sa clarté une dernière fois, empli de rêve et d’espoir.
Et les arbres ! Et les plantes ! Chacune de mes cellules devra être imprégnée de leur odeur. Ils ont de la chance, n’est-ce pas ? Ils ne mourront jamais réellement, eux. Je vois ton sourire, et il me réchauffe le cœur. Je veux que tu continues de sourire, de t’amuser, de rire. Car c’est ce que chacun de nous devrait faire, je pense.
Nous marcherons dans l’herbe humide, loin de nos malheurs. Loin de cette vie placide, là où il n’y a plus d’heure. Nous zigzaguerons entre les arbres, courrons au milieu des taillis, écouterons les doux sons de nos cris, dans ce lieu qui restera ma dernière chambre.
Car si je meurs jeune, je veux que ce soit dans la joie.
Je ne veux pas nier, je ne veux qu’aimer. Car je n’aurai pas le temps de vivre mes rêves, ni de rêver. J’aurai juste le temps de profiter de toi, de nous, et des autres.
Car si je meurs jeune, ce sera dans l’amour. Avec les personnes que j’aime.
Et puis il y aura ton regard. Empli de larmes, mais si beau. Dans les tons bleus, bleu chaleureux. Alors, assis, tu me raconteras. Je veux tout savoir sur le monde, sur la vie, et sur toi. N’aies pas peur de me lasser, il ne te reste pas assez de temps pour cela. Je me souviendrais du murmure de ta voix, si tant est que je me souvienne de quelque chose. Il est semblable au vent, qui fait mal tout en étant doux, glaciale source de chaleur. Comme d’habitude, tu t’exprimeras avec des grands gestes. Je trouverai ça mignon, et je rougirai au lieu de te le dire.
— Mais tu ne vas pas mourir.
Lorsque tu me dis cela, un jour où nous sommes justement assis dans cette clairière, le vent fait légèrement onduler mes cheveux, et j’accueille avec délice sa caresse, les yeux fermés. J’inspire un bon coup et me contente de répondre :
— C’est vrai. Mais on ne sait jamais.
— Tu veux toujours tout prévoir.
— Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir.
— Qui a dit ça ?
Je souris.
— Pierre Dac. Tu es toujours incapable de te souvenir des noms.
— Il n'y en a qu'un que je souhaite retenir; et c'est le tien. Alors dit moi, y aurait-t-il une place pour moi dans ton cercueil de roses ?
— Non.
Je vois que tu te vexes, ça me fait rire.
— Je peux te demander pourquoi ?
— Parce que tu mourras vieux.
— Qui a prédit cela ?
— C’est moi. Quel est l’intérêt d’arrêter une si belle vie ?
— Quel est l'intérêt de la vivre si tu n'es plus là ?
Je soupire et m’allonge dans les joncs. Thomas, tu ne tu ne comprends donc pas que je ne veux pas devenir vielle. Car le jour où je le serai, tu ne m’aimeras plus. Je préfère partir vite, comme un coucher de soleil, pour que tu te souviennes de moi comme ton amour perdu.
Car si je meurs jeune, je deviendrai immortelle.
Une feuille tourbillonne et atterrit sur ma poitrine. Elle est verte et jeune, mais rejoint déjà, avec une simplicité enfantine, le sol qui l’a vu naître.
— Tu me trouves égoïste ?
Je fais tourner la feuille entre mes doigts. Elle craque, chante, bourdonne. Peut-être que je ne devrai pas faire cela ; ce n’est pas très respectueux. Est-ce qu’une feuille se soucie de savoir si son esprit repose en paix ? J’enterre la feuille.
— Pourquoi le ferais-je ?
Je me lève et tu m’imites. Je n’ai pas envie de répondre à cette question, je ne sais pour quelle raison, mais tu le comprends et m’acquittes.
— Thomas, si je meurs jeune, ce sera toi qui me manqueras le plus.
Je me mets à chanter, et en moi je sens la liberté. Qui coule dans mes veines, qui pulse au rythme de mon sang. Je danse, je me sens comme une partie attenante de ce décor féerique. Durant ma vie, j’ai toujours eu l’impression d’être une étrangère. Comme si, finalement, une partie de moi n’aspirait qu’à redevenir poussière, au milieu de toute cette beauté.
Tu me regardes. Moi, je te dévore.
— Léa… Attends un peu. Ferme les paupières, et imagine. Imagine-nous, assis dans l’herbe humide, dans ces mêmes prairies. Tes cheveux sont argentés, mon visage est creusé de rides, mais le tien est toujours d’une telle beauté… ! Et nous continuons de rire, et je continue de te raconter le monde. J’ai toujours autant envie de te prendre dans mes bras. De t’embrasser, de t’aimer jusqu’à toujours.
Malgré moi un sourire se dessine sur mes lèvres.
— C’est beau, ce que tu me racontes.
—Maintenant imagine. Nous nous sommes retrouvés aujourd’hui. Je te parle, mais il n’y a que le bruissement des feuilles pour me répondre. Ta voix, elle, s’est évanouie. Pour toujours, à jamais, oubliée dans les ombres ! Nous sommes ensemble, mais toi, tu es enfuie dans ton cercueil de roses, qui sont fanées, qui n’existent certainement plus, et toi avec elles !
Léa, je veux pouvoir être assis avec toi dans ces prairies, même dans cinquante ans. Je veux pouvoir parler de nos souvenirs, de toutes ces belles expériences que nous avons vécues ensemble. Et je veux que tu puisses me répondre. Est-ce si dur à comprendre ?
Une larme roule sur ma joue, et tu l’essuies d’un geste tendre. Tes mains sont glacées, mais je ne peux m’empêcher de les prendre, de les serrer contre mon cœur, contre mon être entier.
— Je ne sais pas. Si je meurs jeune, j’aurai le temps d’y réfléchir.
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