Un solstice pour Tim
[Bonjour, je relève ce défi en m'immisçant dans la journée du dixième anniversaire de Tim. J'y ai glissé des petits indices concernant l'histoire Yggdrasil, la bataille des Arches. Bonne lecture. ]
La lumière pénètre doucement au travers des carreaux jaunis par les années et la pollution, illuminant quelques mèches blanches qui tombent sur les yeux de sa grand-mère.
Abigaelle O'Maa, sa seule et unique famille, est une femme généreuse et bienveillante. Elle pétrit volontairement la pâte qui servira pour ses Hot cross breads. Ces délicieuses petites brioches sucrées sont la spécialité de O'Maa, son ingrédient secret est le sourire qu'elle affiche lorsqu'elle appuie et bat le pâtisson. Elle jette de la farine dans un geste doux et gracieux éclaboussant son plan de travail.
« Oups ! J'en ai trop mis, rit-elle en jetant un coup d'œil à son petit-fils.
Tim a toujours aimé fêter le solstice d'été car ensemble ils cuisinaient toute la matinée pour ensuite aller pique-niquer sur la plage. Là-bas, O'Maa fabriquera une petite idole en bois et y mettra le feu comme chaque année.
Tim ne se souvient pas bien de sa mère, en mémoire quelques éclats de rire et des caresses, un regard bleu ciel recouvert d'une frange blond très claire le couvant jalousement et enfin un parfum de violette. Sa mère était décédée lorsqu'il était encore à quatre pattes. Tous ces souvenirs semblent une illusion construite pour combler le manque parental. Son père avait disparu avant sa naissance, il n'avait jamais eu de nouvelles et se demandait même s'il était au courant de son existence. Tim se garde bien d'interroger sa grand-mère sur ce sujet, il la sent tendu et irritable dès que la conversation dévie trop sur ce terrain, que Tim sait miné.
O'Maa lui répète souvent qu'il est le portrait craché de sa mère. Elle lui adonné ses cheveux blond doré et ses yeux azur. Tim place le portait de sa mère à ses côtés sur la table de la cuisine comme il l'a toujours fait.
—Dis O'Maa, elle aimait aussi te regarder cuisiner ? demande-t-il.
—Qui ça ?
— Bah, maman.
— Oui. Elle s'asseyait au même endroit que tu es aujourd'hui et elle me posait aussi toutes une farandoles de questions.
Elle forme des boules délicates et les dépose sur la plaque de cuissons. Tim est émerveillé par sa grand-mère, il la trouve magnifique avec son tablier vert. Il regarde alors la photographie de sa mère, Hannah. Il trouve qu'elles se ressemblent beaucoup malgré l'âge mûre d'O'maa. Juste un détail dans le visage de sa mère diffère. Une lueur dans les yeux qui pousse Tim à imaginer son grand-père.
—Il était comment grand-père ?
O'maa hoquète :
— Comment ça ?
— Tu ne parles jamais de lui. Je voudrais savoir qui il était, hésite Tim.
—Tu es bien curieux jeune homme... vas plutôt me chercher le sucre glace.
Il escalade la chaise sur laquelle il est assis et ouvre le placard au-dessus de sa tête. Tout en farfouillant, il chantonne :
— Il s'appelait comment ? Il vient de Waterford aussi ? Il a dû fuir l'Irlande ?
—Le sucre glace jeune homme et plus de questions !
Tim apporte le pot de sucre, le moral dans les chaussettes. O'maa peut être dure certaines fois.
— Je suis désolée mon ange. Je ne voulais pas te blesser.
Sa voix se fait plus tendre et elle décide de lui livrer un peu plus sur son passé.
— Il s'appelait Asmund. Nous nous sommes rencontrés ici, dans le Queens. Ses parents venaient de Norvège. Tous deux nous étions de jeunes adultes qui avons fui l'Europe. J'étais éperdument amoureuse de lui. Nous avons toujours travaillé dur pour faire vivre notre foyer. D'autant plus lorsque Hannah est arrivée. Elle était notre merveille, notre réussite. La vie d'immigrés est compliquée, toujours entre deux mondes, nous devions faire notre place, nous adapter dans cet état qui ne voulait pas de nous. Et en même temps, nous ne voulions pas oublier nos racines, la Norvège et l'Irlande, au risque de perdre tout un pan de notre identité. Ainsi, ton grand-père a travaillé si fort qu'à ses trente ans il est mort d'une crise cardiaque. Ou était-ce simplement la malchance ?
Sa grand-mère n'avait jamais été aussi loquace. Elle regarde dans le vide, ses yeux fixant un point imaginaire situé dans le four qui chauffe. Tim tente de comprendre tout ce que vient de lui confier O'maa. Il n'a que dix ans et même s'il est mature pour son âge, il est toujours difficile pour un enfant de comprendre dans son intégralité ce genre de discussion. Il se demande même si elle n'aurait pas besoin de voir plus de monde de son âge. Il la ramène sur terre en lui caressant l'avant-bras.
—Merci, grand-mère.
—Tu lui ressembles beaucoup, conclut-elle une larme au coin des yeux.
Il lui tend le bocal tout sourire, il reste perché sur sa chaise et observe sa grand-mère saupoudrer les brioches avant de les enfourner. Tim ne rate rien de ce moment, chaque étape étant cruciale, car chacune était nécessaire pour qu'elles soient les meilleures. Lui, il s'occupera du contrôle qualité. Il croquera dans la plus appétissante et déterminera si elle mérite bien le titre de la meilleure brioche.
Elle installe le minuteur lorsque la sonnette retentit. Tim tend le cou vers le hall d'entrée admirant sa douce O'Maa se diriger vers la porte. Il est tout excité, entre joie et nouveauté, car jamais on ne vient les visiter.
Tim est un enfant solitaire bien qu'apprécié, il possède plusieurs amis mais il préfère souvent trainer seule dans le grenier de sa grand-mère à la recherche de nouveau trésor. Il y découvre des livres poussiéreux, des bibelots étranges et des souris curieuses.
Tim se faufile jusqu'à l'entrée pour écouter la conversation. O'Maa est sortie et parle sur pas de la porte avec un homme.
—Que fais-tu ici Sionnach ?
Sa grand-mère ne semble pas satisfaite, mais surtout Tim est stupéfait car ils se connaissent.
— C'est le Solstice, je sais qu'Hannah adorait cette fête. Je t'ai apporté un cadeau.
Tim ressent de la tristesse dans la voix du visiteur, elle lui semble jeune et la curiosité le convint de s'avancer. S'il se rapproche assez il pourra l'entrevoir.
— Je ne veux pas de ton présent. Elle n'est plus là, je ne te dois rien alors déguerpis.
— Abigaelle ! Je sais que tu m'en veux. Mais j'étais jeune et stupide.
—Je t'ai connu enfant Sionnach, tu es moins jeune et toujours stupide. Mais je sais que tu n'es pas mauvais, juste stupide...
—Je vais te laisser, Abigaelle, mais je te supplie d'accepter mon présent. Après tout ce que je t'ai fait, je lui ai fait, c'est le moins que je puisse faire.
Un courant d'air fait bouger la porte qui s'ouvre sur Tim pris en flagrant délit d'espionnage. Le rouge lui monte aux joues, son nez lui pique fort et la honte le submerge.
O'Maa écarquille les yeux si fort que Tim se demande comment ils font pour ne pas être expulsés de leur cavité. L'homme lui, mal à l'aise, dandine en lui jetant amicalement :
— Hé, salut mon p'tit gars ! tremble sa voix.
Il porte son regard plein de questions sur O'maa, elle se ferme aussitôt, ses yeux lancent des éclairs.
— Ta grand-mère n'en veut pas, tiens je te le confie, se précipite l'étranger.
Il fourre la petite boite dans les bras de Tim.
— Merci M'sieur, en plus c'est mon anniversaire aujourd'hui... claironne-t-il.
L'homme fixe intensément sa grand-mère, le combat silencieux reprend.
— Il n'est pas ce que tu penses. Tu vois, même ça tu en as été incapable. Ce n'est pas le tien.
L'homme respire difficilement face à la phrase assassine d'O'maa. Tim sent bien que cet homme est rongé par une terrible tristesse. Tim ne se sent plus gêné mais intrigué par cette homme à la chevelure flamboyante. Ses yeux bleu acier le couve d'une drôle de façon, Tim comprend malgré son âge. L'homme doute rendant sa peine encore plus douloureuse. Il se retourne pour partir sans un adieu.
— Rentre mon petit, ordonne un peu sèchement O'Maa.
—Je n'ai pas fait exprès, je ne voulais pas écouter, s'excuse Tim.
Au milieu du salon, il l'interpelle alors qu'elle reprend ses activités en cuisine :
— O'maa... C'était qui ?
Elle se fige et expire lourdement, elle pose alors sur lui un regard empli de mélancolie.
— Est-ce nécessaire de te le dire ? Tu es ma chair, petit...je sais ce que tu penses. Je ne te répondrai pas et je resterai ainsi muette car le savoir ne changera rien à ton destin. Crois-moi.
Tim ne comprend vraiment pas O'maa, elle ne peut pas le laisser ainsi. Il la déteste tant à ce moment. Il prend le petit paquet et l'observe attentivement. Une petite voix l'incite à l'ouvrir tout de suite mais au fond de lui, il veut prendre son temps. Si cette personne est celle qu'il croit, il doit prendre son temps. Alors il se fait une promesse, l'ouvrir le jour où il en aura besoin.
— J'attendrai.
La minuterie retentit ramenant Tim sur le sujet de sa préoccupation depuis ce matin : les brioches sucrés !
O'Maa enfile les maniques et sort la plaque brulante pour la poser sur le marbre du plan de travail. Elle plonge une louche dans un bol de crème au fromage frais et forme un signe étrange sur le dôme des brioches. Ce signe chaque année elle le fait, et chaque année Tim lui demande la signification. Mais il sent bien que sa O'Maa est sur les nerfs. Même si elle s'efforce de sourire.
Il s'agit Thurisaz et il symbolise la protection.
O'Maa saisit une brioche et la tend à Tim, gage de réconciliation. Tim ne lui en veut plus vraiment, il n'est d'ailleurs pas rancunier. Il préfère prendre les bonnes choses comme elles arrivent et éviter d'alimenter les mauvaises. Il n'est qu'un enfant et préserve son insouciance, tôt ou tard l'adversité le rattrapera.
Il la saisit prudemment et y croque dedans avec envie. Ses joues se gonflent de plaisir et ses yeux se fendent d'extase. Les meilleurs brioches au monde sont celles de sa grand-mère. Il pousse des petits gémissement qui font exploser de rire sa grand-mère.Rien ne ternira ces merveilleux moments entre lui et O'maa.
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