La coquille (partie 4)
L'apaisement, comme on s'en doutait, n'aura pas duré longtemps. L'enjeu n'est même plus de manger la noisette, non, la noisette est devenu prétexte à autre chose, elle a pris plus d'importance qu'aucune autre noisette n'en avait jamais eu. Tant que cette noisette restera fermée, Liane ne sera pas en paix. Qui pourrait croire qu'une si petite chose renferme un tel pouvoir ? Liane sait qu'elle en viendra à bout, ce n'est qu'une question de temps. Malgré cette certitude, chaque échec la remplit d'un désespoir pathétique qu'elle n'avait auparavant jamais ressenti. Ou alors il y a très longtemps, quand elle était gamine. Quand on a cinq ans, on peut se permettre de pleurer devant une noisette qui résiste à nos assauts, on n'est pas encore maître de ses émotions, alors on n'est pas vraiment responsable. Liane ne se sentait pas responsable de sa haine à ce moment-là, et elle débordait allègrement de tout ce qui, ces derniers temps, l'avait remplie au point de l'étouffer. En sautant de toute ses forces sur la noisette maintenant posée à terre, elle hurle, pleure, trépigne. Son comportement, si elle avait ensuite tenté de l'expliquer à quelqu'un, lui aurait sûrement fait honte, mais à cette seconde elle ne pense pas aux autres, elle ne pense pas à la honte, elle ne pense qu'à se déverser de tout ce silence, et la noisette paraît un assez bon défouloir. Ce qui n'arrange rien, c'est que cette dernière reste désespérément intact malgré les assaut répétés : sans prêter attention à la violence des coups qui pleuvent sur sa coque, elle s'enfonce dans le sol malléable du champ, sous les vociférations de la pauvre Liane, qui commence tout de même à manquer de souffle. Après quelques minutes d'effort, elle se rend bien compte que ce n'est pas le bonne technique : elle aura beau sauter, de plus en plus fort si elle veut, l'insolente lui résistera. Elle se met en quête d'un bout de bois, d'une bûche, n'importe quoi qui soit dur, et contre lequel elle pourrait piéger son ennemie. À cet instant, elle a une allure pitoyable. Une frénésie animale s'est emparée d'elle, et elle fouille le sol comme si sa vie en dépendait. Dans une exclamation de joie malsaine qu'elle est incapable de retenir, elle s'empare enfin d'un morceau de tronc presque détaché qui lui semble pouvoir faire l'affaire. Elle a gagné, elle le sait, dans quelques secondes viendra la victoire, et tout ses muscles sont tendus dans l'excitation de cet ultime assaut. Elle ne pense plus qu'au soulagement intense qui la traversera lorsqu'elle entendra enfin le craquement libérateur. Elle dispose la noisette sur le bout de bois avec précaution, puis abat son pied droit sur le tout. La noisette craque, Liane aussi. Le souffle court, elle se penche vers les débris, pour ne trouver rien d'autre que des fragments de coquille.
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