Stan
Une interview.
Comme si j’avais envie de parler de moi.
« Vous êtes le premier, le seul, Les gens ont envie de savoir ». Voila comment ce journaliste a emballé son truc. Franchement, c’est le meilleur argument pour qu’aucun mot ne sorte de ma bouche.
Il désigne un verre sur la table basse. Je secoue la tête. Je serais incapable d’avaler quoi que ce soit, pas même de l’eau.
Derrière la vitre qui nous sépare, Stella lève un pouce et me sourit.
— Ça va bien se passer, je l’entends murmurer.
J’inspire. J’expire.
— On y va ? me demande le journaliste.
Il triture son crayon. Je lui planterais bien dans l'oeil. Plus d'interview, plus de questions. Le bonheur.
Je hoche la tête.
— Comment vous appelez-vous ?
— Stanislas Thomsen.
— Quel âge avez-vous ?
— 17 ans.
— Avez vous des pouvoirs ?
— Des pouvoirs ? Non. Mais j’ai certaines… capacités.
C’est la raison pour laquelle on là, non ? Si j’étais monsieur tout le monde, il ne se serait pas démené pour obtenir cette interview.
— Et si ce n’est pas indiscret, avez-vous quelqu’un dans votre vie ? Une amoureuse ? Un amoureux ajoute-il devant mon air perplexe.
Parler de moi est déjà une torture, je ne vais certainement pas lui parler d’elle. Devant mon silence borné, il enchaine :
— Quelle est votre couleur de cheveux ?
Ben, lève les yeux, crétin.
— Bon, bien, on dira… brun, bafouillle-t-il.
Il consulte ses notes, hésite.
— Couleur des yeux ? lance-t-il comme on jette une bouteille à la mer.
Vraiment ? S’il pense rafler le Pulitzer avec des questions pareilles… Il s’empare du verre d’eau posé sur la table et l’avale cul sec. La sueur perle sur son front.
— Bruns aussi ? propose-t-il.
— Noisette, je précise dans un élan de pitié.
— Et la jeune fille qui vous accompagne, c’est votre amie ?
Je me tourne vers Stella. Ma meilleure amie, ma soeur. Ma mère parfois. Mais, si je lui dis que je l’ai déjà embrassée, il va me prendre pour un pervers.
— C’est compliqué, je me contente de dire.
— Ou habitez-vous ?
Dans ton…
— Euh ici.
— Votre date de naissance ?
Bon, il n’aura pas non plus le Nobel de math. 2020 moins dix-sept. Mais c’est vrai, 2020, 2022, 2030, je ne sais pas vraiment quelle année nous sommes.
Il toussote dans sa main, le crayon entre les doigts. Son oeil appelle la mine comme une molaire la fraise du dentiste. Désagréable, mais nécessaire.
— Etes-vous en couple ? Célibataire ?
Je croyais qu’on avait déjà fait le tour de la question.
— Célibataire, je cède.
Pitié, qu’on en finisse.
— Est-ce que vous pouvez m’en dire un peu plus sur votre famille ?
Encore une fois, je regarde Stella. Je pense à Alex et à ce qu’il a fait pour moi.
Je n’ai besoin de rien d’autre.
Pourtant, l’absence de ma mère s’accroche à moi, comme une tique qui ne veut pas lâcher prise. Je lève les yeux vers mon interlocuteur. Je dois avoir l’air assez pitoyable pour qu’il n’insiste pas.
— Des ennemis ? tente-t-il, sans vraiment espérer de réponses, vu son air dépité.
— La Milice, le Gouvernement, un tueur fou et un mégalo, ça compte ?
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