De la rue à l'hopital
Le réveil retentit sur ma table de nuit, il était l’heure du petit-déjeuner. Le matin, depuis trois jours, il n’y avait eu aucun changement quant au contenu alimentaire de ce repas pourtant essentiel. Du pain, du beurre et de la confiture. Un peu de café, du chocolat chaud et… c’était tout ! Je saluai les soignants de la même manière aussi depuis trois jours, en donnant mon numéro de chambre et allai me servir généreusement en pains et en confiture. Ce matin-là, pour m’asseoir, il n’y avait qu’une seule table où il restait encore de la place. Sur cette table, au fond du réfectoire, était assise une jeune femme d’une beauté à en couper le souffle de n’importe-quelle personne ayant usage de ses yeux. Cette femme avait des cheveux noirs coupés au carré, des yeux d’un bleu couleur Océan et la peau aussi blanche que la neige. Elle était constamment seule avec un livre dans les mains. Je ne la connaissais pas, ni même son nom, mais cette fois-ci, c’était le bon moment.
— « Puis-je m’asseoir ? » Demandai-je timidement.
— « Je pense que tu n’as pas trop le choix ! » Me répondit-elle avec un sourire qui lui montait jusqu’aux oreilles.
Après un long silence où mon visage fût scruté jusqu’au derniers recoins, je me décidai à lancer la conversation :
— « Et sinon, tu t’appelles comment ? Je dois t’admettre que je ne sors pas beaucoup de ma chambre depuis que je suis arrivé. »
— « Mélissa ! Et toi, c’est Sébastien et tu es arrivé il y a trois jours. En effet, je n’ai pu que constater ton absence dans les lieux communs de l’unité. »
— « Je te trouve étonnamment bien informée, dis-moi, tu ne travaillerais pas secrètement ici depuis le début ? » Questionnai-je Mélissa, sur le ton de l’humour.
— « Non, pour tout te dire, je suis autiste Asperger et atteinte de trouble obsessionnel compulsif. J’ai un sens accru de l’observation, surtout quand un garçon me plaît ! » M’annonçait-elle sans aucun filtre en s’approchant de moi.
Déconcerté, je ne sus que répondre. Je partis débarrasser mon plateau et rejoignis une des pièces communes de l’unité. Moi qui n’avais guère l’habitude de plaire aux femmes, je ne sus comment réagir face à une annonce si précoce.
Peu après, je vis Mélissa accompagnée d’un soignant sortir du réfectoire, elle était en pleurs, certainement par ma faute. « Quel crétin ! » Me suis-je dit.
Sur cette triste scène qui me fît culpabiliser, je décidai d’aller rejoindre ma chambre, comme je le faisais depuis déjà trois jours.
Allongé sur mon lit, les yeux fixés sur mon téléphone, je me mis sur les genoux et commençai à prier Dieu. Jusqu’alors, je n’avais jamais prié qui que ce soit, n’étant pas croyant et n’ayant pas été élevé dans une famille appartenant à une quelconque obédience religieuse. Ma mère était une scientifique, elle était elle-même une enfant de scientifiques. Elle avait été élevée dans une famille à tendance rationaliste et par conséquent, purement athéistes. Quant à mon père, c’était un sociopathe, Dieu est à Amour ce que sociopathe est à haine et mépris. Comment cela aurait-il pu en être autrement ?
Toujours sur mon lit, depuis déjà cinq longues minutes, je m’adressais toujours à Dieu. Je ne savais toujours pas réellement si je croyais en lui, mais cela me fit du bien. Dans cette prière, j’envoyai le peu de force qu’il me restait à Gérard ainsi qu’à ma mère. Lorsque je finis d’adresser le message devant être transmis, je me sentis fatigué et vidé de toute énergie. Mes paupières se faisaient lourdes et mes muscles peinaient à rester contractés. Peut-être était-ce la fluoxétine, le médicament contre les attaques de panique qui me faisait ressentir cela. Dans tous les cas, je fis une sieste, enfin du moins, j’essayais de faire une sieste. Mon imbécile de voisin ne faisait que de toquer aux murs et en fait, non, c’était à ma porte que l’on toquait.
Lorsque je l’ouvris :
— « L’infirmier m’a expliqué que le fait de t’avoir annoncé si subitement que tu me plaisais tout à l’heure avait sûrement eu pour conséquence de t’effrayer. J’en suis sincèrement navrée, seulement, tu es tellement, mignon... » M’exprima Mélissa, qui semblait partagée entre gêne et tristesse.
— « Euh… Oui… Je dois t’admettre que je ne suis jamais sorti avec qui que ce soit, et je n’ai vraiment pas l’habitude de plaire à une fille. Tu me plais toi aussi, mais, s’il te plaît, n’allons pas trop vite en besogne et apprenons à nous connaître. Cela te convient-il ? »
— « C’est tout ce que je voulais, me dit-elle, en récupérant son grand et beau sourire, bon, je te laisse à tes occupations, à tout à l’heure ! »
— « Non, attends ! Ça te dirait qu’on reste un peu ensemble, qu’on discute ? »
— « Dans une ou deux heures, si tu veux ! Là, je dois aller écrire, j’ai beaucoup de choses à mettre sur papier. »
— « Tu écris ? C’est génial ! J’aimerais savoir le faire aussi, mais je n’ai aucun talent dans ce domaine… Enfin, c’est que m’ont toujours dit mes professeurs de français en tout cas. »
— « Le cerveau est un formidable organe, si tu n’apprends pas à le muscler de telle manière à ce qu’il en sorte de tes mains et de ton esprit de magnifiques textes, il ne le fera pas sans rien écrire ! Tu as du temps libre, n’est-ce pas ? Profites-en ! » Me dit-elle avant de partir rejoindre sa chambre.
Écrire ? Et pourquoi pas moi ? Seul bémol, je ne possédais ni feuille ni crayon. Je fonçai aller en chercher au bureau infirmier. Quinze longues minutes passées devant la porte et j’ai enfin réussi à obtenir mes précieux outils !
Assis sur ma chaise en face de mon bureau, seul, face à ma feuille, rien ne me vient. Mais comment étais-je censé savoir sur quel sujet je devais écrire ? Le temps passait et rien ne m’était parvenu, jusqu’à ce que… « Je vais écrire sur Gérard ! Un poème ! »
« Toi mon ami, qui m’a quitté,
Parti au large, vers de belles contrées,
Mon cœur en est encore tout bouleversé,
Oui, mon ami, si tu savais.
Me voilà rendu dans un asile,
Asile de fous pas tant aliénés,
Je dirais même, bien plus sensés,
Malgré le désespoir qui les a frappés. »
Ce poème était la plus belle chose, le plus beau message que je pouvais envoyer à Gérard.
Lorsque je me remis de mes émotions, je retournai m’allonger sur mon lit. Je voulais regarder une série sur Netflix quand, en ouvrant mon compte, je vis que mon père avait résilié l’abonnement. Fou de rage, je l’appelai sur le champ :
— « Mon fils ? C’est toi ? » Décrocha-t-il, au bord des larmes, partagé entre inquiétude et désolation.
— « Oui, c’est bien moi, t’as mon numéro, non ? Ah et après ce que tu viens de me faire subir, cesse donc de m’appeler mon fils, c’est d’un vulgaire ! »
— « Écoute, Sébastien, je ne sais pas ce que notre dispute aura eu comme conséquences sur ta vie, mais je... »
— « Tais-toi ! Dis-je en coupant la parole à mon père. Tu ne sais pas ? Moi, je vais te le dire ! J’ai fini à la rue, papa ! J’ai tout perdu, mes amis, mon logement, mon avenir et, surtout, ma putain de dignité. Je ne sais pas pourquoi je t’ai appelé en fait, je suis vraiment un crétin. »
— « Est-ce qu’on peut se voir ? J’ai besoin de te voir. »
— « Bah oui tiens ! Vos désirs sont des ordres ! Tu veux me voir, parfait. Je suis à l’hôpital psychiatrique d’Angers. »
— « Compte sur moi, je ne te décevrai plus mon garçon, j’arrive ! »
— « Tout vas bien Sébastien, je t’entends hurler jusqu’à ma chambre » Me questionna Mélissa à travers la porte.
Mon cœur au bord de l’implosion, tentant de garder mon calme, je lui répondis :
— « Oui, j’ai juste besoin d’être un peu seul. Ne t’inquiète pas. »
— « Si tu ressens le besoin de parler, je suis là, d’accord ! » Me rappelait la jeune femme avant de s’en aller.
À travers la fenêtre, je vis mon père arriver à toute allure. Il semblait nerveux. Dans ce que je pus apercevoir à travers la vitre, ses yeux étaient mouillés et paraissaient rongés par la culpabilité.
— « Oui, bonjour, je suis Monsieur Lavinni, le père de Sébastien, je viens pour lui rendre visite. »
— « Euh… d’accord, attendez, je vais prévenir Sébastien. » Répondit l’infirmière quelque peu dépassée par ce qu’elle voyait.
« Sébastien, ton père est là, est-ce normal ? »
— « Oui, tous les deux devons discuter. C’est important. »
— « D’accord, il t’attend dehors. »
— « Okay, merci. »
Après cinq minutes de préparation mentale, je pris congé de ma chambre et partis rejoindre mon père. Quand je le vis, il était assis sur l’un des deux bancs présents devant l’unité, en larmes.
— « Par pitié, pardonne-moi ! » Dit-il en sanglotant.
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