L’institut était une merveille de technologie et d’architecture. Le bâtiment entièrement construit grâce à l’impression 3D reprenait tous les grands courants architecturaux combinant les croisées d’ogives typiques de l’art gothique, aux colonnes torses de l’art baroque jusqu’aux arts plus contemporains.

Lorsque Vyrian pénétra dans l’ISTA son premier réflexe fut de se diriger vers son bureau. Lorsqu’il arriva devant l’écriteau portant son nom, il hésita. Il y avait bien longtemps qu’il ne s’y était pas rendu.

Sans surprise, il y trouva des piles de dossiers, mais ce n’était pas ce qui l’intéressait. Il se dirigea vers le fond de la pièce et regarda le plan épinglé au tableau. Il y retrouva l’ISTA, mais surtout les réseaux de galeries souterraines présentes sous le bâtiment. Le projet Télépathie® avait été installé dans une ancienne casemate. Le lieu bien qu’improbable, avait ses avantages. Leurs prédécesseurs avaient construit ses souterrains pour se protéger durant les guerres. L’endroit était donc robuste, mais ce n’était pas la seule raison de ce choix. Les galeries gardaient une température constante quelle que soit la saison, ne dépassant jamais les quinze degrés Celsius ce qui était parfait pour Mère et les installations électriques susceptibles de chauffer. De plus, l’obscurité permettait une meilleure immersion à la Télépathie®, bien qu’ayant les paupières closes, il était possible que des variations de luminosité empêchent les survivants d’entrer en état de transe.

Bien sûr, il avait fallu éliminer l’humidité qui pouvait se trouver dans certaines galeries et installer un système de ventilation couplé aux nanoépurateurs. La tâche s’était révélée complexe, mais rien de comparable à la difficulté de recouvrir l’ISTA de nanoépurateurs. La surface moins haute et surtout moins ouvragée avait nécessité que peu de travaux.

Une fois, cela fait, ils avaient pu passer aux installations. Chaque parcelle de terrain avait soigneusement était mesurée et les maquettes s’étaient enchaînées. Ils avaient finalement voté pour l’installation de lit de camp surperposé, dans le but de profiter au maximum de la superficie du lieu. Quant au câblage, ils avaient dû créer tout un dispositif pour que le poids des câbles ne gêne pas la personne se trouvant sur le lit le plus élevé. Pour les écrans, il était possible de les faire coulisser le long de rail de haut en bas pour analyser les résultats avec plus de facilité. De petites plateformes élévatrices permettaient d’ausculter les patients se trouvant en hauteur.

La Pilule, le projet de Clana permettait couplé aux données de la Télépathie® de mieux filtrer l’air en fonction des besoins des utilisateurs, améliorant ainsi l'apport d’oxygène et la filtration du CO2, mais aussi la diminution de la pollution.

Mère était venue se greffer sur leur projet. Clana et lui n’avaient accepté qu’à condition qu’elle serve de contre assurage, autrement dit qu’elle soit une sécurité supplémentaire à celle existant déjà sur leur dispositif. Pourtant, Vyrian devait admettre que leur demande bien qu’accepter en réunion n’avait pas été prise en compte. Mère contrôlait la Télépathie® la preuve étant que sans elle, les survivants peinaient à survivre, le manque de communication psychique et l’état de leurs corps ne trompaient pas.

Vyrian détourna les yeux du plan et s’approcha de la fenêtre, de là, il avait une bonne vue sur les nanoépurateurs, leur apparence terne n’était pas uniquement due à la crasse, ils étaient éteints. Ça n’aurait pas dû se produire. Durant la phase de test, ils avaient été soumis à des conditions extrêmes et leur durée de vie dépassait largement celle de ceux présents à l’extérieur du bâtiment. Vyrian ne se rappelait plus des chiffres en question, mais il lui semblait qu’il s’agissait d’une décennie, il parcourut du regard les articles scientifiques éparpillés sur son bureau et ne trouva pas le renseignement souhaité.

Il soupira et se décida à se rendre dans le bureau de Clana. Bien qu’il aurait pu y aller directement, il préféra suivre les longs couloirs. Il s’arrêta devant les socles des grands scientifiques et philosophes, il pouvait lire leur nom gravé sur la pierre, mais là où autrefois, un hologramme se joignait à l’armature métallique de la culture, il ne restait plus que le squelette terni par les années.

Vyrian se trouvait à un carrefour, il venait de quitter l’aile du bâtiment spécifique aux Sciences Médicales et se dirigeait à présent vers l’aile de l ‘Ecologie. L’ISTA abritait aussi deux autres filières : la Climatologie et l’Aérospatiale.

Lorsqu’il fit face à la porte du bureau de Clana, ses souvenirs fraîchement remémorés lui revinrent et la peine lui comprima le coeur. Il n’en tint pas compte et traversa la porte. Là encore, tout était resté tel quel. Il s’agissait d’un sanctuaire dédié à la jeune femme et à son travail.

Il se força à rester concentré et se tourna vers le tableau. Les principales caractéristiques des nanoépurateurs y étaient inscrites : poids, taille, consommation énergétique, durée de vie. C’est ce dernier point qui intéressait le scientifique. Vyrian put y lire vingt-cinq ans. Ils étaient bien loin du résultat. Si Mère n’était plus là et la filtration de l’air inefficace, les survivants ne tiendraient pas longtemps, quelques mois tout au plus. L’air n’était pas filtré en direct, mais passait d’abord par une grande cuve pour être stocké et diffusé par la suite, dans le but d’éviter des problèmes. Ce qui laissait une petite marge de manœuvre.

Vyrian s'intéressa aux caractéristiques des cuves : la capacité et le pourcentage de remplissage. Il plissa les yeux, mais ne parvint pas à lire la première donnée. Sa frustration laissa rapidement place à l'inquiètude, les réserves étaient déjà bien entamées. Tout semblait jouer contre les siens.

Le biologiste n’osait imaginer le débit de CO2 rejeté et l’O2 consommé par cinq cents personnes. S'il en croyait le tableau de contrôle, il restait 45 % d'oxygène disponible dans les cuves, Vyrian ignorait combien de temps les survivants pouvaient tenir avec. Alors qu’il cherchait l’information, il tomba sur un vieil article, le titre faisait mention d’une intelligence artificielle capable de détecter de nouvelles formes de vie, cela n’avait à priori rien avoir avec leur domaine d’expertise, puis il se rappela de Mère et de ses premiers dires. Elle avait fait mention de satellites et de nouveaux mondes.

Vyrian regarda les noms des auteurs et pu voir en premier auteur indiqué "X. Capitaine". Le scientifique resta quelques instants à fixer le document, il avait sous ses yeux la preuve que le Captaine venait de son monde et qu'il avait probablement participé à la conception de Mère. Il s'agissait non pas de son grade, mais de son nom !

Ne pouvant rester sur des suppositions, Vyrian lut les lignes suivantes et découvrit dans quelle section le Capitaine travaillait, sans plus attendre, il se rendit sur place. Contrairement à son bureau et à celui de Clana, la pièce était vide, dépouillée de son contenu, quelqu’un semblait avoir fait le ménage. Vyrian ne comprenait pas comment cela pouvait être possible, le projet Télépathie® avait été lancé prématurément.

Mais ce ne fut pas le détail le plus intriguant que découvrit Vyrian. Une baie vitrée au sol permettait de superviser la casemate. Le chercheur ignorait l’existence d’un tel endroit, il avait été surveillé tout ce temps, sans le savoir.

Il put voir son lit vide et les corps des scientifiques Newt, Stein et Willis enrobés dans un cocon de conservation. Que s'était-il réellement passé ? Que signifiait un tel endroit ? Alors que Vyrian s'apprêtait à inspecter la pièce plus en détail, la voix d'Ollesty le fit sursauter.

— Reviens !

Devant la lenteur de réaction de Vyrian, l'Ombre insista.

— Maintenant !

Comme pour accentuer l'urgence de la situation, l'environnement s'assombrit et une sensation de froid engourdit les membres du biologiste.

— Qu'est-ce que ... ?

Avant qu'il n'ait eu le temps de finir de poser sa question, il sentit des mains le saisir et le tirer hors du bassin, l'arrachant brutalement à son monde.