Vyrian se réveilla en sursaut et se cogna aux montants de la table. Ses yeux se posèrent sur les documents éparpillés. Cela faisait des jours qu’ils recherchaient la créature avec laquelle Faric avait fusionné. Oriana leur avait appris qu’en accédant aux aptitudes de Mywin, le politicien s’était aussi lié avec la même créature mythique que lui. Sauf qu’aucun document n'en faisait mention. S’ils voulaient l’exorciser, ils n’avaient d’autre choix que de trouver la réponse. Pour augmenter leurs chances de réussite, Oriana avait modifié leur perception du temps, si bien qu’à leurs yeux, les quatre jours passés en compagnie de l’Hydriossienne et d’Ollesty, correspondaient à quatre semaines.

Ils avaient mis ce temps à profit pour s’entraîner et apprendre à se connaître. Vyrian savait que cette demi-semaine ne représentait rien, pourtant le pouvoir d’Oriana se montrait pleins de surprises. En plus, de leur accorder du temps, les personnes sous son emprise, tissaient une forte complicité.

A plusieurs reprises, Vyrian avait failli leur révéler ses secrets, plus il passait de temps en compagnie de Caya et Kela, plus il avait envie de se confier. Quand bien même cela lui nuirait, il souhaitait leur faire confiance. Avec l’aide des survivants, il était parvenu à résister à ce sentiment d’appartenance.

Mais il ne pouvait pas en dire autant des deux filles. Caya avait été la première à leur révéler ses motivations. Exténués après l'entraînement, ils s'étaient écroulés à l'ombre des ruines. Vyrian avait appris qu'ils se trouvaient à l'ancien emplacement du village d'Hydrios. La bourgade vivant des propriétés curatives de son eau, elle s'était déplacée à plusieurs reprises, laissant derrière elle, les ruines de leurs foyers passés.

La jeune femme leur avait expliqué son désir de sauver sa mère et son petit frère parti vendre des armes pour la forge à Alteryx, pendant qu'elle et son oncle tenaient la boutique. La Forgicienne se sentait coupable. Elle avait échangé sa place avec son frère, préférant concevoir des armes que marchander. Depuis elle n'avait cessé d'attendre l'opportunité de retrouver les siens. Lorsqu'elle avait entendu parler du convoi en partance pour Alteryx, elle n'avait pas hésité à se présenter, mais son oncle l'en avait dissuadé jugeant le convoi trop imposant et par conséquent ayant peu de chance d'arriver à destination. Caya s'en était remis à son jugement, mais lorsqu'elle les avait vu avec Ollesty, elle avait interrogé l'Ombre sur leurs motivations et avait sauté sur l'occasion. Elle en avait informé son oncle qui après avoir discuté avec le Numéricien avait donné son aval. Vyrian était arrivé peu de temps après.

Lorsque Caya les avait interrogés sur leurs motivations, Skan avait éternué et Vyrian et Kela avaient profiter de ce prétexte pour rentrer et ainsi esquiver la question de la Forgicienne qui avait respecté leur silence et était allée se coucher. De leurs côtés, le biologiste et la Visionnaire s'étaient plongés dans d'anciens documents pour parvenir à résoudre son cas. Ils étaient restés à veiller jusqu'au petit matin. Lorsqu'il s'était couché, Vyrian avait éprouvé une pointe au coeur, ça lui arrivait de plus en plus fréquemment, il savait que c'était un effet secondaire des pouvoirs d'Oriana, il découplait aussi leurs émotions. Vyrian avait de la peine de leur cacher qui il était réellement, des passages de son passé lui revenait fréquemment et l'empathie qu'il ressentait pour les deux femmes le rendait émotif.

Pour en avoir discuté avec elles, il savait qu'elle ressentait la même chose, il en avait déjà eu la preuve. Kela s'était mise à hurler par nuit, lorsqu'il l'avait retrouvé, un mince filet de sang coulait de sa gorge sous les tremblements de sa lame, Vyrian lui avait arraché l'arme des mains. Il avait beau s’être musclé si la Visionnaire avait voulu lui résister, il n’aurait rien pu faire. Il s’était retrouvé face à une femme vulnérable, bien loin de l’impression de force qu’elle dégageait d’ordinaire.

Impuissant, face à sa détresse, il l’avait regarder pleurer, avant de la serrer dans ses bras attendant que ces sanglots se calment. Cette nuit-là, quelque chose avait changé dans sa relation avec la jeune femme, il se sentait proche d’elle.

Vyrian se frotta le visage et passa ses mains dans ses cheveux, ils avaient poussé depuis qu’il avait atterrit sur le Monde Numérique. Il repensa aux paroles de Kela lors de leur rencontre : « tu n’es pas désagréable à regarder », il secoua la tête chassant ses souvenirs et se tourna vers la jeune femme assoupie à ses côtés. Le biologiste ne put s’empêcher de rougir lorsqu’il vit que l’une de ses manches descendait le long de son bras et révélait le haut de sa poitrine, il la remit en place et commença à jouer distraitement avec les longs cheveux bouclés de Kela.

— Que faites-vous ?

Vyrian ne put s'empêcher de sursauter lorsque la voix des résistants lui parvint. Alors qu'il s'apprêtait à pester contre leur intervention, il prit conscience de son geste et relâcha la mèche de la mysticienne. Skan choisit ce moment-là pour entrer dans la pièce. A chaque fois que Vyrian le voyait il ne pouvait s'empêcher de sourire. Caya lui avait demandé comment il comptait l'appeler et par manque d'idées, il l'avait nommé d'après ses caractéristiques, ce qui avait énervé la jeune Forgicienne pendant un moment prétextant qu'il s'agissait d'un manque de respect envers la créature. Elle était un être à part entière et selon ce principe, elle devait bénéficier de sa propre identité. Mais lorsque Vyrian lui avait présenté son nom, il avait tout de suite été adopté par la créature pour le plus grand malheur de Caya. Le sourire aux lèvres, Vyrian fit de son mieux pour ne pas réveillé l'endormie et suivit Skan.

La créature le mena au centre des ruines où Ollesty l’attendait.

— Skan m’a informé que vous aviez de nouveaux éléments.

— Oui. Mais j'ai une question avant.

— Que veux-tu savoir ?

— Vous le saviez pour les survivants ?

— Tu as été arraché à ton monde, mais tu restes connecté aux tiens, il suffisait juste de trouver le moyen de rétablir la communication.

— Vous le saviez donc.

— Ces nouvelles, ça donne quoi ?

Vyrian replongea dans ses souvenirs. Lorsqu'il avait hérité de la charge de Skan, il n'avait aucune idée de ce qu'il allait bien pouvoir faire de la créature. Alors qu'il ressassait les paroles d'Oriana, l'hydriossienne avait affirmé qu'il était âgé, il avait interrogé Skan sur sa blessure à l'oeil, mais devant son air ahuri, il avait abandonné l'idée d'obtenir une réponse et il avait défait ses bagages. Alors qu'il vidait son sac, le carnet rouge que lui avait remis Rayec avant l’attaque des Régisseurs dans le Monde Numérique, tomba et s'ouvrit dans sa chute. Apeuré par le bruit, Skan avait dans un premier temps reculé au fond de la pièce, la crête hérissée sur son échine, puis voyant qu'il n'y avait aucun danger, il s'était approché et avait commencé à déchiffrer l'ouvrage.

Vyrian avait d'abord cru que la créature avait retrouvé ses facultés et qu'ils allaient enfin pouvoir communiquer, mais après quelques secondes, il avait réalisé qu'il s’agissait d’un langage lui étant étranger. Le biologiste avait alors commencé à donner des cours de langue à la créature, espérant qu'elle se souvienne de ses compétences passées.

Après deux jours, Skan parlait correctement, mais il éprouvait encore quelques difficultés lors de la traduction du carnet. Vyrian avait rapporté ses facultés à Oriana et elle lui avait fourni une liste de plusieurs créatures correspondant à ses capacités. Les jours suivants, le chercheur avait rayé l'intégralité de la liste, Skan ne correspondait à aucune de ces créatures.

Vyrian réalisa qu'il devait en discuter avec la mysticienne lorsque Skan répondit à Ollesty.

— Il semble y avoir sept points d’énergie répartis entre les quatre mondes, seuls les Exilés peuvent les actionner.

Le Numéricien eut la même réaction que Vyrian.

— Sept ? Tu es sûr ? Il ne devait pourtant y avoir que six Exilés à l’origine.

Le biologiste intervint, il ne souhaitait pas faire durer cette discussion plus que nécessaire.

— On a vérifié, il s'agit bien de sept Exilés : six dans les trois mondes et un dans le mien.

L'Ombre sembla comprendre l'insinuation derrière ses paroles.

— Donc toi ou le Capitaine pouvaient être considéré comme des Exilés.

— Il semblerait.

— Bien. Mais qu'en est-il du septième Exilé trouvé ?

— Je suspecte Xenaya, d'être la septième Exilée. Je pense qu'il s'agit de la fille du Capitaine, à ce titre, tout comme nous, elle pourrait être l'Exilée de la Terre.

— Un Exilé joker, donc.

Alors que le silence retombait peu à peu, Skan reprit la parole.

— Ce n'est pas tout. La légende de Numyrhis, mentionne la reconstition du monde Fondateur, la Terre. Seulement, cela mettrait fin aux trois mondes, mais il existe une autre possibilité : détruire le monde fondateur pour stabiliser les trois mondes.

Vyrian resta abasourdi par ces paroles. Il en était de même pour les survivants, son esprit avait rarement était aussi calme. En d'autre circonstance, Vyrian aurait apprécié la situation, mais en cet instant il se devait de tirer toute cette histoire au clair une bonne fois pour toute.

— Pourquoi ne pas m'avoir prévenu plus tôt ?

— Je l'ai su à l'instant en finissant de traduire le carnet, c'est pour ça que je vous ai fais venir !

— Tu as finis ? Qu'as-tu appris d'autres ? Qu'arriveraient-ils aux habitants ?

— Tout comme les mondes, ils recommenceraient une nouvelle vie et ne se souviendraient de rien. Seuls les Exilés se souviendraient, ils seraient les garants de l'histoire du ou des nouveaux mondes.

Ollesty mit fin à l'interrogatoire de Vyrian.

— Après ces quelques jours, de qui te sens-tu le plus proche, de nous ou des tiens ?

Vyrian se sentit mal à l'aise face à cette question. Les survivants la reprenaient dans son esprit. Il se sentait tirailler entre deux camps. Il ne pouvait nier son attachement aux trois mondes et à ses habitants, comme il ne pouvait renier les siens.

— N'y-a-t-il pas d'autre solution ?

— Et que voudrais-tu ?

— Que ....

Ollesty interrompit Vyrian et lui rappela le choix qu'il devait faire.

— Trouve une réponse, tu en auras besoin le jour J quand nous devrons faire un choix entre les tiens et les nôtres.

Vyrian ne voulant pas terminer cette discussion de cette façon retourna la question à l'Ombre.

— Et vous de qui vous sentez-vous le plus proche ? Les habitants du Monde Mythique ou de ceux du Monde Numérique ?

— Je regrette mon monde. Ici, chaque jour en me réveillant je me rappelle les conséquences de mes actes.

Un tremblement plus important que ceux auxquels s’était habité à voir le scientifique secoua le corps de l’Ombre. Vyrian savait qu’Ollesty suivait un traitement pour en diminuer les effets, mais à terme Oriana ne pourrait plus rien pour lui. Il décida de ne rien dire à ce sujet et posa les questions qui lui brûlaient les lèvres.

— Le bannissement ? L’abandon ?

— Entre autres, s’il n’y avait eu que ça.

— Pourquoi avoir abandonné Keenan ? Vous en aviez la responsabilité !

— Nick, appelons-le pas son vrai nom. J’ai essayé d’éviter d’en arriver à de telles extrémités, mais Rayec ne m’en a pas laissé le choix. Tu l’as vu, il a élevé Dezaël comme un élu, mais ce qui nous avait été demandé était de prendre soin des enfants, de leur offrir un avenir et le jour donné de leur expliquer leur origine. Je voulais donc offrir une vie la plus normale à Nick. Seulement, j’ai commencé à trop m’y attacher. J’ai cherché à communiquer avec Almarran et Ehmra mais sans succès. J’ai commencé à me retourner contre Mère, tellement je trouvais ça injuste d’imposer ça à des enfants, Je voulais au moins comprendre ses raisons pour m’aider à l’accepter. Mais elle s’est montrée étrange et j’ai fuis avec Nick avant de le confier à la confrérie.

Vyrian regarda sidéré l'Ombre. Depuis le début, il se trompait à son sujet. Pourtant, au fond, il avait beau le comprendre, ça ne changeait rien à la souffrance qu'avait enduré Keenan, les orphelins étaient mal vus parmi les mages. Alors qu'il réfléchissait aux incidences des différents membres du projet Trimondes, Ollesty l'interpella. 

— Au vu de mon histoire, as-tu fais ton choix ?