Les qiqirns
Au sommet du mont Instara, ils dominent un grand royaume tapissé de blanc où la brume règne en maître. À leurs pieds, s'étend l'immense forêt à perte de vue au-delà de laquelle ils aperçoivent les hautes tours du refuge... mais l'atteindront-ils ?
- Eh bien, nous y voilà ! dit Theoblad, en fixant droit devant.
- Quelle est cette rivière qu'on voit au loin là-bas ? demande Aurora.
- C'est la rivière scintillante, répond Theobald. Une fois traversé, on peut dire que nous serons arrivés.
Dans l'échancrure des arbres, les rayons du soleil percent le voile humide pour venir glisser sur la surface d'une rivière gelée. Le cours d'eau endormie serpente à travers l'immense contrée. Il relie la terre ferme vers la citadelle, lieu enserré entre l'infinie forêt et une gigantesque montagne. Alors que le petit groupe s'apprête à entamer leur décente, Amlach est pris d'une inquiétude soudaine. Une peur absolue, comme si son sang se fige dans ses veines. Il se passe quelque chose de troublant : son sixième sens lui souffle qu'un profond danger se rapproche.
- Amlach, que se passe-t-il ? demande Theobald.
- Ils arrivent...murmure l'elfe.
- Les Qiqirn ?
Amlach répond d'un simple hochement de tête.
- Combien sont-ils ?
- Une dizaine. Peut-être plus.
- Rien ne sert de s'enfuir avec les poursuivants juste derrière nous. Nous ne pourrons pas les semer. Amlach, il est temps de sonner le cor. Nous allons avoir besoin d'aide.
Alors, l'elfe décroche vivement le clairon de sa ceinture et le porte à ses lèvres. Rassemblant toute sa force et fixant son regard vers la citadelle, il souffle. L'appel profond et rauque résonne dans la forêt qui domine, se répercutant dans l'âpre hiver.
Il y a un tintement lorsque le prince tire une longue épée de sous son manteau. La lame tranchante brille d'une lumière étincelante.
- Aurora, reste bien derrière moi, nous te protégerons.
- Je ferais ce que vous me dites, mais si seulement j'avais quelque chose pour me défendre..., dit-elle d'une voix tremblante.
À l'entente de ces mots, le grand prince acquiesce et sort de sa botte un scramasaxe, une sorte de dague au pommeau richement orné.
- Tiens, mais je t'en prie pas d'imprudence !
- Merci, répond-elle en cramponnant l'arme.
Puis Theobald se tourne vers son compagnon :
- Amlach, mon ami. Tu as toujours combattu avec bravoure. Je t'ai guidé vers d'innombrables batailles et tu n'as jamais failli aux missions de mon père. Alors une fois de plus, soit à mes côtés mon frère.
Bryn, s'élance aux côtés de son seigneur et se redresse de toute sa hauteur.
— Tant que l'air emplira mes poumons, je ne vivrai que pour vous servir, crie-t-il d'une voix forte.
Au même instant, une avalanche de giggles grinçantes et sinistres, semblables à des rires obscurs résonne au loin. Au milieu de la clameur s'élève une voix grave, dominatrice.
- Ramenez-là moi !
D'un mouvement rapide, Theobald se place devant Aurora dont le corps frémit de frayeur.
- Nous allons leur montrer qu'elle est la force des résistants ! dit-il d'un air triomphant, en serrant fortement le poignet de son épée.
Ils tendent l'oreille, écoutant la menace. Il fait un bruit de course, un bruit de terreur qui avance et s'étend peu à peu vers eux. Des pas lourds qui fissurent la neige entourent la compagnie. Amlach, tiens fermement sa hache mortelle, dont la lame fine n'aurait aucun mal à scinder un corps en deux. Theobald est prêt à les accueillir, il n'y a plus de peur, plus de sens, plus rien. Seulement, prêt à combattre pour se défendre. Aurora est terrorisée. Son cœur bat à tout rompre, tandis que ses membres ne peuvent s'empêcher de trembler. Ils sont tout proche, peut-être déjà là, tapie dernière les arbres.
Soudain, du coin de l'œil, Theobald discerne un mouvement furtif. Des formes sombres se faufilent à travers les bois, tandis que des hurlements stridents les entourent. Dans le profond brouillard, un grand nombre d'yeux jaune brillant guette les trois compères. L'ennemi jouerait-il avec eux ? Du bois ombragé, un grand chien pelé sombre, apparait et les observe. Sa gueule colossale, ses yeux étincelants et surtout l'odeur de sang qu'il dégage terrorisent Aurora. Il pousse un hurlement à donner la chair de poule, comme s'il donnait le signal de passé à l'attaque. Theobald se dresse et s'avance, l'épée levée :
- Écoute-moi, stupide créature ! crie-t-il. Si vous tenez à la vie, je vous conseille de déguerpir à toute vitesse.
Mais contre toute attente, l'immonde bête gronde et bondit gueule ouverte au-devant des braves. À ce moment Aurora pousse un cri tandis qu'un bruit sifflant fend l'air. Amlach a lancé sa hache sur le qiqirn. Un hurlement effroyable retentit, la créature s'écroule lourdement, l'arme lui a transpercé le torse. La meute qui épiait sort de l'ombre et fonce brusquement pour attaquer. Theobald et Amlach courent à grandes enjambées, et brisent l'élan de certains. Tout autour d'eux, une tempête d'aboiements déferle, sauvage et féroce. Une vingtaine de qiqirn attaque à présent de tous les côtés. Amlach et Theoblad combattent dos à dos. L'elfle manie sa hache comme jamais, tranchant plusieurs têtes. L'épée du prince, affilé, pointu, chante dans les airs. Ce ne sont pas les flancs des hommes qu'elle cherche à percer. Ni la roche qu'elle fend, ni le bois qu'elle dépouille, mais la peau de ces sales cabots. Aurora se retrouve isoler par un chien chauve, crachant une haleine pestilentielle. Dos contre un arbre, elle menace avec son scramasaxe la bête excitée par l'odeur de la chair fraîche. La peur emplit entièrement l'esprit d'Aurora. Elle ferme les yeux un instant avant de brandir avec courage son poignard. Alors, le monstre, qui était déjà au sur le point de s'occuper d'Aurora, se dresse sur ses deux pattes arrière et pousse un horrible hurlement. La jeune fille est frappée par l'horreur. Elle sent une vague de frissons parcourir son échine et son cœur battre à tout rompre.
- N'avance pas, sale bête ! crie-t-elle, en lui assénant un coup sur le crâne.
L'affreux est étourdi, et du sang qui coule de sa tête lui dégouline dans les yeux. Secouant la tête de droite à gauche, il reprend ses esprits. Ce geste de courage l'a rendu enrengé et soudain, Aurora voit sa gueule s'ouvrir en grand, ses crocs blancs luisent, il est sur le point de mordre. Alerté par les cris d'Aurora, Theobald entre dans une rage folle. D'une estocade, il transperce la gorge d'un des adversaires et fonce comme un taureau à son secours.
- Laisse-la tranquille ! hurle Theobald en bondissant sur le carnassier.
Au même moment un bruit de galop arrive jusqu'à leurs oreilles. Alors que Theobald est entrain de mener un combat acharné avec l'agresseur, Aurora qui s'est réfugié sous un hallier voit surgir d'entre la brume des cavaliers. Sur leurs épaules, des armures argentées, et à la main des lances à pointe de bronze. Elle reste bouche bée, clouée sur place, le regard fixe. Les qiqirns prient au dépourvu, se dispersent comme la cendre dans un coup de vent. Certains s'échappent déjà, fuyant comme des fous en hurlant de peur. En héros, les hommes brandissent leurs javelots à l'adresse du peu d'ennemis qui se dressent devant eux. Les armes impitoyables s'abattent sur les bandits, tandis que la princesse observe autour d'elle tomber les âmes noires.
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