Chapitre 5 Suppa

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- Provisions ?

- OK !

- Armes ?

- OK !

- Alors tout est opérationnel !

Pour la première fois de sa vie, Kohga inspectait les bagages de la patrouille Yiga. D’aussi loin qu’il puisse se souvenir, il avait toujours rêvé du jour de sa première. Ce n’était rien d’extraordinaire, juste une patrouille classique, une visite du centre de renseignement Yiga et une embuscade dans la plaine d’Hyrule, mais il se sentait plus excité qu’il ne l’avait jamais été. Il ajusta son masque, luttant pour ne pas pleurer de joie.

- Prêts ? demanda-t-il, debout sur une petite estrade.

- Prêts ! répondirent tous les membres de la patrouille.

Kohga bénit intérieurement le premier Grand Kohga d’avoir choisi des masques comme signe distinctif du Clan. Grâce au sien, les autres Yigas ne voyaient ni son excitation ni son anxiété et le croyaient aussi nonchalant et assuré que d’habitude.

- Alors c’est parti !

Joignant le geste à la parole, il fourra la main dans sa poche, en sortit une poignée de parchemins Yiga passablement froissés et, à grand renfort de trifouillages de doigts, activa son sort de téléportation. La dernière chose qu’il vit avant d’être emporté dans un tourbillon de lumières colorées fut l’officier Khana qui mettait accidentellement le feu à sa combinaison avec des parchemins de mauvaise qualité.

Même s’il commençait à avoir l’habitude, la téléportation le rendait toujours malade. Lorsqu’il sentit enfin le sol sous lui, il rouvrit les yeux. Il avait atterri à plat ventre sur l’officier Kiko.

- Sauf votre respect, fit-elle, descendez, vous m’écrasez !

La formule de politesse fit grimacer Kohga. Il descendit et, après avoir avalé sans entrain la tasse de remède amer que lui tendait Kiko, il fit l’appel.

- Officier Kiko Aaron Louka ?

- Présente !

- Officier Mathys Lana ?

- Ici !

- Sous-fifre Neeshka Aëlys ?

- Présente !

- Sous-fifre Hélio Toma ?

- À vot’service !

- Sous-fifre Aysha Miri ?

- Présente !

- Officier Khana Satori ?

- …

- Khana ?

- …

- Oh non, balbutia Kohga. On a perdu Khana !

Il n’avait pas fini sa phrase que quelque chose tomba sur lui et s’écrasa lourdement. À en juger par son poids, son odeur de tissu brûlé et le petit cri aigu qu’il poussa en atterrissant, le quelque chose en question était l’officier Khana.

- Oh, déesse Hylia ! J’ai atterri sur le fils du grand Kohga ! Oh, toutes mes excuses, je suis désolée, je vais encore être de corvée de Yiglings !

- Plutôt que de vous excuser, vous pourriez peut-être arrêter de jurer sur Hylia ou, mieux, arrêter de jurer tout court ? Et, éventuellement, descendre ?!

- Oh, oui, toutes mes excuses !

Après que Kohga eut grondé Khana et lui ait donné une combinaison neuve, qu’elle enfila sur-le-champ, la patrouille se mit en marche dans les longs tunnels creusés à même la roche du mont Nabooru. Kohga était devant, suivi par Khana, puis par les sous-fifres, et enfin par l’officier Mathys. Kiko fermait la marche, pas parce que c’était sa place ou son rôle, mais parce qu’elle marchait lentement et que c’était le seul moyen d’éviter de ralentir tous les autres.

Kohga n’aimait pas marcher, ni la chaleur, ni la poussière et si, en temps normal, c’était sans doute déjà pénible, son ventre ne cessait de lui rappeler qu’il avait sauté le petit-déjeuner, ce qui rendait la marche encore plus insupportable. Aussi décida-t-il de passer directement à la partie la plus importante de la mission.

- Pause pique-nique !

Aussitôt, les sept Yigas, déjà épuisés par la marche, déplièrent une grande couverture rouge recousue de partout, s’y assirent, avant de sortir le pique-nique et de passer à table, ou plutôt à nappe.

- Tu me passes les bananes ?

- Y’a trop de sel dans ma soupe !

- Vous voulez un sandwich ?

- Pas mauvais, ces pancakes.

- Du jus de raisin ?

- Non merci, je suis allergique…

Kohga tendit la main pour attraper la dernière banane, mais avant même qu’il puisse y toucher, une petite main sortie de nulle part s’en saisit.

- Hé ! hurla Kohga en se retournant vers le voleur.

C’était un garçon plus jeune que lui, mais d’à peu près la même taille. Il semblait fatigué et amaigri, et Kohga fut un peu étonné quand il croisa son regard, bleu et brillant, ce qui lui sembla étrange comparé aux yeux rouges, noirs ou noisette des autres Yigas. En un éclair, les six sous-fifres et officiers dégainèrent leurs armes et se précipitèrent vers lui. De surprise, l’enfant lâcha la banane. Kohga se leva et s’avança vers lui en écartant les Yigas. Ramassant la banane, il la lui tendit.

- Tu as le ventre vide, non ? Mange ! Mais attention, maintenant, tu as une dette envers moi !

Le jeune garçon ne toucha pas à la banane.

- Tu en as bien plus besoin que moi, fit Kohga en prenant l’air le plus adulte possible. D’ailleurs, comment t’appelles-tu, mon garçon ?

- Euh… Suppa.

- Eh bien, Suppa, tu es ici sur le territoire du Clan Yiga ! Je t’ai épargné, mais ce ne serait pas le cas de tous les membres du Clan, certains de nos officiers sont bien trop méfiants. Si tu tiens à la vie, tu devrais partir… Quel âge as-tu ?

- Sept ans.

- Sept ans, c’est trop jeune pour mourir. Pars dans la plaine, là-bas, tu seras en sécurité.

Sur ce, les sept Yigas retournèrent à leur pique-nique, et Suppa partit.

Une fois le pique-nique terminé, la patrouille rangea la nappe, remballa les couverts et reprit la marche. Pendant bien deux heures, ils marchèrent dans le sable et la poussière, le long des limites du territoire Yiga, quand Kohga remarqua une statue de grenouille Sheikah, comme celles qui marquaient les limites de leur territoire, mais sans le mouchoir marqué du symbole Yiga qu’ils y accrochaient habituellement. Intrigué, il fit signe aux autres de continuer sans lui, se rapprocha, sortit un mouchoir Yiga de sa poche et…

- On le tient ! C’est Lady Ursa qui sera fière !

Un mystérieux agresseur, sans doute une femme, à en juger par sa voix, venait de lui sauter dessus et l’avait plaqué contre lui, une lame contre sa gorge. Il tenta de se débattre, mais la guerrière lui attrapa les mains et les tira dans son dos.

- Ne bouge pas si tu tiens à la vie, qaar’daravoï !

C’était du Gerudo. Kohga avait donc affaire à une guerrière Gerudo. Ça sentait mauvais pour lui...

Quelque chose bougea sur la falaise d’en face, et une seconde plus tard, une autre Gerudo atterrissait habilement devant lui avec un léger bruit de tissu froissé.

Elle regarda Kohga d’un air dégoûté. Malgré sa peur et sa colère, il était forcé d’admettre que cette femme était d’une beauté incroyable, avec ses grands yeux verts, ses lèvres pulpeuses, sa peau mate et sa chevelure couleur de feu. Aussi, son nez était extraordinairement long et pointu, plus encore que celui de Marika Kohga. Le toisant avec une répulsion non dissimulée, elle se tourna vers l’autre Vaï.

- Bravo, Shana ! lui lança-t-elle d’un ton narquois. Tu as attrapé un Yiga nain obèse.

Elle appuya particulièrement ces trois derniers mots, ce qui vexa profondément Kohga.

- Oh, ça va, Kashoo, il est peut-être gros, mais c’est un Yiga quand même ! Par contre, t’as raison, il n’est pas bien grand ! Tu crois que c’est un vehvi ?

- Mais non, t’es bête, y’a pas de vehvis chez les Yigas…

Et Kohga de répondre, pointant son masque :

- Vous trouvez que ça ressemble à un Yiga vieux de dix mille ans, ça ?! Et je suis pas petit, je suis un Yigling.

- En fait, ça ne ressemble à rien, fit la dénommée Kashoo d’un ton dédaigneux. C’est un masque.

- C’est quoi, un Yigling ? interrogea l’autre Gerudo, qui semblait très curieuse.

- Un enfant.

- Un quoi ?

- Un vehvi.

- Aaaah…

Kohga ne dirait plus jamais que les cours de Gerudo que sa mère tenait à lui donner (et dont il ne cessait de se plaindre) étaient inutiles.

- Je le savais ! Il y a bien des vehvis chez les Yigas !

- À mon avis, il ment pour que tu ne te méfies pas de lui.

- T’es vraiment paranoïaque, Kashoo !

- Non, c’est toi qui es naïve, Shana !

Sur ce, elles commencèrent à se disputer. Kohga les entendit entre autres se traiter de

Lu ’Furusekh (Champignon fermenté) ou de Sho’tenvaï qo (naïve), et ce n’était qu’un échantillon. Profitant de cet instant d’inattention, il prit dans sa poche quelques parchemins Yigas passablement froissés et se téléporta sur la falaise d’où avait sauté la Gerudo quelques minutes auparavant.

- Et là, qu’est-ce que vous allez faire ? les nargua-t -il, partant d’un grand rire un peu forcé. Espèces de vieilles vaabas mal élevées !

La seule réponse qu’il reçut fut une flèche qui, si son oreille n’avait pas déjà été raccourcie, l’aurait transpercée et arrachée. Maintenant, il savait à quoi servait la vieille coutume Yiga poussiéreuse qui consistait à raccourcir les oreilles des Yiglings la veille de leur premier jour d’entraînement.

Il aurait pu se téléporter en lieu sûr ou se mettre à courir, mais quelque chose en Kohga

lui disait de rester et de combattre, et c’était impossible d’y résister. Le reste de la patrouille était déjà loin, il combattrait seul.

Il bondit de la falaise et s’écrasa devant les deux Gerudos, un peu plus fort que ce à quoi il s’attendait. Sonné par l’atterrissage et un peu barbouillé à cause de la téléportation, il esquiva de justesse un coup de cimeterre qui manqua de peu de lui trancher un bras. Propulsé par une esquive de dernière minute, il décida de tenter le tout pour le tout. Kohga replia les jambes et se mit à flotter maladroitement. Il survola les deux Gerudos qui semblaient avoir enfin fini de se disputer, il évita un coup du cimeterre de Shana, mais pas la flèche que Kashoo venait de tirer dans sa direction. Kohga s’écrasa dans le sable comme un fruit pourri et se releva difficilement.

Avisant la position de Kashoo, la Gerudo acariâtre, qui lui tournait naïvement le dos, il s’avança silencieusement et… Une minute ! Où était Shana ?

Quelque chose trancha le tissu de son uniforme, lui donnant la réponse à sa question. Deux coups de cimeterre Gerudo lui taillèrent les côtes. Luttant pour ne pas pleurer, il attrapa un sabre Sheikah mal aiguisé à sa ceinture, et se rua sur l’archère. Mauvaise prise. Avant que son sabre ait pu servir à quoi que ce soit, la Gerudo l’éjecta avant de gifler Kohga si fort qu’il vola sur bien deux mètres, puis s’écrasa de plein fouet sur la paroi rocheuse, s’assommant au passage. La dernière chose qu’il vit avant de perdre connaissance, ce fut ces yeux, d’un bleu si pur qu’il en était presque dérangeant. Plus bleus que le lac Hylia, et brillants comme des saphirs délavés.

Kohga ouvrit les yeux. Un lit confortable, une chambre minuscule, une odeur de chocolat, de sang, de remèdes et de désinfectant. L’infirmerie du repaire. Encore. Si l’infirmerie avait une carte de fidélité, nul doute que Kohga serait déjà membre V.I.P.

Kiko poussa la porte, entra dans la chambre et sortit de sa poche une bouteille de remède, qu’elle entreprit de faire avaler à Kohga. Kiko avait retiré son masque, laissant apparaître ses grands yeux noirs un peu cernés, sa chevelure couleur de nuit et ses petites lunettes rondes perchées au bout de son nez. L’infirmière semblait toujours un peu ahurie et fatiguée, mais il fallait avouer que, pour une demi-Hylienne, elle était très belle. Le remède, lui, était d’un rouge-rose appétissant, mais aussi véritablement infect, horriblement sucré et écœurant.

- Beurk !

- Ah non, pas question de faire la fine bouche ! Tu vas me boire ce remède, et tu vas guérir ! Et tu peux remercier ce petit gars, parce que s’il ne t’avait pas ramené, je crois sérieusement qu'elles t'auraient fini...

Elle fit un geste vers le petit garçon qui se tenait à côté d’elle, avant de passer la main dans ses cheveux, ce qu’il ne sembla pas vraiment apprécier. Kohga baissa les yeux sur le garçon. Grand, amaigri et d’une apparence on ne peut plus ordinaire, la seule touche d’originalité était ce regard bleu profond.

- Euh… Merci, mais je crois que je vais bien.

Il tenta de se relever, mais les coups d’épée qu’il avait reçu se rappelèrent douloureusement à lui. En y regardant de plus près, Kohga distingua les cicatrices des entailles que les Gerudos lui avaient infligées, trois lignes d’un étrange violet scintillant. De la magie de guérison Yiga, sans aucun doute, et c’était mauvais signe, car ce genre de magie était en général utilisée pour soigner rapidement les blessures gênantes, très douloureuses ou potentiellement mortelles, au détriment des vilaines cicatrices, le plus souvent temporaires, qu’elle laissait.

Kohga se laissa retomber sur le lit. Il était trop fatigué pour réfléchir, mais ce douzième anniversaire serait à coup sûr mémorable… Dans tous les sens du terme.

Dans les semaines qui suivirent, Suppa refusa de quitter le repaire, et rejoignit finalement le Clan, où il s’intégra plutôt bien. Mais ça, c’est déjà une autre histoire...

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