Cela faisait maintenant une semaine que Kohga avait atterri dans l’abîme. L’ancien chef des Yigas s’était vite habitué aux lacs de miasmes, à la pénombre et même à l’odeur, mais pas à la nourriture. Dans les profondeurs, il ne poussait que des champignons, des arbres bizarres et quelques fleurs étranges. Kohga découvrit à ses dépens que certaines étaient explosives et manquèrent de mettre le feu à sa combinaison. Il se nourrissait essentiellement de ces fleurs violettes au parfum enivrant qui poussaient au pied des arbres. Si ses fleurs avaient un goût plaisant, au contraire de tous les autres végétaux des profondeurs, elles étaient également sédatives, et Kohga passait le plus clair de son temps à dormir.

Kohga avait également aperçu quelques camps de monstres. De ce fait, il s’arrangeait pour dormir à un endroit différent chaque soir, de préférence en hauteur.

Ce soir-là, Kohga s’endormit en haut d’une colonne de pierre blanche, sans se douter une seconde de ce qui allait lui arriver.

Kohga était de retour dans le jardin. À la place des gravillons poussait maintenant une courte herbe verte, douce et souple. Sous la véranda, Kohga distingua la silhouette longiligne d’une Hylienne entre deux âges. Il marcha vers le pavillon et gravit les marches.

Quand le regard de Kohga croisa celui de ce qu’il avait pris pour une Hylienne d’âge mûr, il recula, effrayé. Ce n’était pas une Hylienne. Ce n’était même pas un humain.

La créature, plus grande que Kohga, mesurait bien deux mètres et ressemblait à un animal bipède, à mi-chemin entre le loup, la chèvre, le chat et le lapin. Son corps était recouvert d’un fin pelage gris très court et ses yeux brillaient comme deux turquoises. Deux oreilles longues et pointues se dressaient sur le haut de sa tête. Les mains de l’étrange bête, longues et fines, se terminaient par des griffes courtes et tranchantes. C’était un être singulier, à moitié humain et à moitié animal.

— Euh… bafouilla Kohga, intimidé. Bonjour ?

La femme-bête leva le nez de son calepin.

— Je t’attendais…

Kohga sursauta. Sa voix était grave et douce.

— Je suis Mineru, Sage de l’Esprit. Si je suis ici aujourd’hui, c’est parce que tu es mon successeur.

— Moi ?! s’étouffa Kohga. Mais… Un Sage ? Moi ?

Mineru acquiesça, et Kohga décida de jouer cartes sur table.

— Je ne suis pas un Sage, je suis un Yiga. Il n’y a pas de Sage Yiga. Vous me mentez, je ne peux pas être le descendant d’un des Sages.

La Sage de l’Esprit sourit malicieusement.

— Peux-tu me citer les noms et les éléments des sept sages de la Guerre du Sceau ?

Kohga réfléchit un instant.

— Darunia, Sage du Feu, Ruto, Sage de l’Eau, Saria, Sage de la Forêt, Zelda, Sage du Temps, Rauru, Sage de la Lumière, Impa, Sage de l’Ombre… et Nabooru, Sage de l’Esprit.

- À quel peuple appartenait Nabooru ?

Kohga hésita à nouveau.

— Elle était… Hylienne ? Non, Gerudo ! Attendez, ne me dites pas que…

— Cette bonne vieille Marika descend en ligne droite de la Sage Nabooru. En tant que son fils, tu seras le prochain Sage. Mais pour cela, il faut prêter serment.

De l’une de ses longues mains griffues, Mineru arracha la pierre violette en forme de larme suspendue à son collier de métal vert.

— Et tu hériteras de ceci.

Kohga observa la pierre d’un air dubitatif.

— Ça a de la valeur ?

— Évidemment ! lança Mineru, agacée. C’est une pierre occulte. Elle sert à réveiller les pouvoirs sommeillant en chacun de leurs possesseurs, et l’on peut aussi y stocker des informations à l’intention des futurs Sages.

— Des pouvoirs ?

Mineru saisit d’une main le poignet de Kohga et de l’autre sa pierre occulte, puis marmonna quelque mots d’une langue que l’ancien chef des Yigas n’avait jamais entendue.

Mineru s’écroula instantanément. Ses yeux étaient vitreux. Sa main était froide. Son cœur ne battait plus. Kohga paniqua, mais un rire discret retentit derrière lui. En se retournant, il vit Mineru.

Elle était pâle, presque transparente, et dégageait une douce lumière violacée.

— Cette pierre, expliqua Mineru, me permet de séparer mon esprit de mon corps.

La Sage flotta vers l’endroit où son corps s’était affalé et le réintégra, avant de se relever. Elle tendit la pierre vers Kohga.

— Es-tu prêt à prêter serment ?

Kohga acquiesça d’un air solennel.

— Je commence ?

— Retire d’abord ton masque.

Kohga obtempéra et Mineru lui lacéra le front d’un coup de griffes.

— Aïe ! Qu’est-ce qui vous prend ?!

Mineru ne répondit pas, se contentant de frotter sa patte ensanglantée sur la pierre occulte. Lentement, les fines rainures qui marquaient la gemme disparurent dans un crépitement électrique.

- Pose ta main sur la pierre, lança Mineru.

Kohga grimaça à l’idée de toucher la gemme couverte de sang, mais obéit. Sous ses doigts, la pierre se colora de rouge et de noir en plus du violet. Les couleurs dansaient et se mélangeaient avec harmonie.

— Commençons, ordonna Mineru. Jures-tu d’être toujours juste et bon ?

— Je le jure sur Ganon. Et sur Hylia.

Avec un nouveau crépitement, de nouvelles rainures commencèrent à apparaître sur la pierre.

— Promets-tu de toujours te battre pour faire éclater la vérité, quelle qu’elle soit ?

— Je le jure sur la Triforce, sur Din, sur Nayru, sur Farore.

Une sorte de lien magnétique était en train de se tisser entre lui et Mineru.

— Promets-tu de ne jamais abdiquer devant la force, car la sagesse l’emporte sur la violence ?

Kohga promit, avec une pensée émue pour son peuple qui se battait pour cette même vérité depuis dix millénaires.

— Promets-tu de venir en aide au héros Link ?

Kohga manqua de s’étrangler.

— Pardon ?! Aider ce meurtrier ? Ah non !

Kohga sentit la pierre craquer et se fendiller sous ses doigts.

— Je répète, siffla Mineru, et son ton était froid et dur. Promets-tu de venir en aide au héros Link ?

— Non.

La pierre se fendilla encore plus, sur toute la longueur, avec un craquement terrible. Kohga gémit. Le cristal devint brûlant comme le désert à midi, puis s’éleva lentement dans les airs devant lui.

Les pupilles de Mineru s’étrécirent et elle retroussa les lèvres comme une bête, découvrant une large rangée de petites dents blanches et pointues. Par réflexe, il sortit sa serpe coupe-gorge. L’arme s’éclaira d’une douce lumière dorée.

Avec un « Clink » sonore, la pierre alla se ficher dans le pommeau de la serpe. Kohga sentit une énergie froide et douce remonter le long de son bras, puis l’envahir. Un instant, le Yiga ferma les yeux.

À son réveil, Kohga avait encore en tête le regard froid et furieux de Mineru, ses yeux turquoise et ses pupilles fendues. Dans le pommeau de sa serpe se trouvait la pierre occulte. Ce n’est qu’alors que Kohga réalisa enfin ce qui venait de lui arriver.

Il était le Sage de l’Esprit.

"""Retour dans les ténèbres après Mara et ses gamineries... J'ai écrit cette version de Mineru sans me référer aux jeux, donc c'est une Mineru bien plus sombre et bestiale que sa version TotK. Pour ma défense, elle ne se comporte pas pareil avec un héros élu qu'avec un Sage de remplacement. Et ce côté animal colle bien à cette Hyrule Yiga et dystopique. Ok, je m'arrête là."""