Chapitre 10 : L'Odyssée (1ère partie)
En effet, quand la guerre contre les Troyens avait enfin pris fin, Ulysse avait été bien décidé à rentrer chez lui, auprès de son épouse Pénélope et de son fils Télémaque, affrontant son Odyssée. Voyage mémorable qui avait vu encore une fois Minerve contrée les plans de Neptune pendant plus de dix ans. Peu après son départ avec toute sa flotte en direction d’Ithaque, une tempête s’était levée, et les avait jetés sur le rivage des Circoniens, peuple de Thrace qui tua plusieurs de ses compagnons. S’échappant avec les survivants, Ulysse avait accosté sur les côtes des Lotophages, en Afrique, où quelques hommes l’abandonnèrent. Avec les onze navires restant, reprenant la mer, il avait réussi à aborder les îles Eoliennes, où Eole les accueillirent, leur offrant une urne remplie des Vents nécessaire pour les mener à bon port. Malheureusement, l’avarice des navigateurs, désobéissant à l’ordre du souverain d’Ithaque, leur avait valu de se perdre dans l’immensité de l’océan. Ainsi, les navires s’étaient retrouvés dans le territoire des Lestrygons, peuples géants anthropophages. Dans le but de les faire chavirer, afin de se paître de leurs chairs, ces monstres avaient lancé contre les navires des roches qui en coulèrent plusieurs. Le seul qui s’en échappa avait été celui d’Ulysse. Dans sa fuite, il était alors entré dans la contrée des Cyclopes.
En ce lieu, l’époux de Pénélope avait offensé le souverain des Mers et des Océans en s’attaquant à son fils Polyphème, cyclope qu’il avait conçu avec la nymphe Thoosa. Se nourrissant aussi de chair humaine, ce dernier avait réussi à emprisonner dans sa grotte le roi d’Ithaque, et ses plus fidèles compagnons, échoués sur son île de Sicile, avec la ferme intention de les manger. Ulysse, grâce à son intelligence, avait enivré le cyclope, et l’avait rendu aveugle, en lui perçant son unique œil durant son sommeil. Hurlant de douleur, Polyphème avait fait appel à ses frères, vivant sous l’Etna et le Vésuve, où ils forgeaient la foudre de Jupiter, sous les ordres de Vulcain. Quand ceux-ci avaient demandé qui lui avait infligé cette blessure, il leur avait répondu Personne, nom utilisé par Ulysse pour se présenter à lui. Le prenant pour un fou, aucun n’avait bougé de sa place, le laissant seul face à sa douleur et son humiliation. Du leur côté, les Grecs s’étaient mélangés aux moutons du cyclope, bêtes aussi grosses qu’une vache. S’accrochant à leur ventre, ils avaient profité de son handicap pour s’enfuir de la grotte, quand Polyphème avait lâché son troupeau dans les pâturages. Au moment où il s’était rendu compte du tour dont il avait été la victime, le fils de Neptune avait réclamé justice et vengeance auprès de son père. Le dieu des Mers et des Océans s’était alors résolu à tout réaliser pour empêcher les voyageurs à rejoindre leur terre d’Ithaque. Toutefois, Minerve lui avait mis des bâtons dans les roues en insufflant à son protégé des astuces pour éviter tous les obstacles, comme par exemple contre les charmes de Circé.
Sœur de Pasiphaé et d’Eétès, Circé était la fille du Soleil, et de la nymphe Persa, une des Océanides. Magicienne habile, elle excellait dans l’art des potions, et notamment des empoisonnements. Sa première victime avait été le roi des Sarmates, son propre mari. Afin de la sauver de la fureur du peuple, son père l’avait alors emmenée sur la côte de l’Etrurie, nommée depuis le cap de Circée, et où l’île d’Aea était devenue sa résidence. Malheureuse en amour, la magicienne devait toujours tomber amoureuse d’homme déjà épris d’une autre femme. Jalouse et mécontente, elle était ainsi devenue l’instigatrice de la transformation en monstre de la jeune Scylla, aimée de Glaucus. Elle avait encore usé de ses compétences pour changer Picus, roi d’Italie, en pivert, car il avait refusé de quitter sa femme Canente pour se lier à elle. L’infortunée épouse, meurtrie, s’était tant lamentée du sort de son époux, qu’elle s’était évaporée dans les airs. Quand Ulysse s’était échoué sur ses côtes, s’étant éprise de lui, Circé avait dû de nouveau faire face à la désillusion.
Débarqué sur Aea, le roi d’Ithaque avait envoyé vingt-trois de ses compagnons à la découverte de l’île. Buvant à une source, les explorateurs furent changés en cochons âgés de neuf ans, sauf Euryloque qui était allé prévenir Ulysse. Désireux de les secourir, celui-ci était parti à leur recherche. Sur le chemin, sous les sollicitations de Minerve, Mercure lui était apparu. Il lui avait confié le moly, plante née du sang d’un géant tué par Circé et le Soleil, à la racine aussi noire que la nuit, à la fleur aussi blanche que le lait, et qui était impossible à un Mortel de l’arracher. Le dieu lui avait conseillé de la mélanger à tous les mets qu’elle lui présentera. Peu de temps après, le héros antique avait rencontré la magicienne qui l’invita à partager sa table. Acceptant, il avait profité d’un moment d’inattention de son hôtesse pour suivre le conseil divin. Ainsi, il avait contrecarré la transformation qui lui était destinée. Brandissant soudainement son glaive, Ulysse avait menacé Circé, paralysée par la surprise, de lui trancher la gorge. Il lui avait alors fait promettre sur le Styx de ne rien tenter qui puisse lui porter préjudice. Après l’avoir obtenue, sachant très bien qu’il ne pourra jamais récupérer ses compagnons sans rien donner en retour, il lui avait proposé de partager son lit en échange de leur rendre leur forme normale. Désireuse d’être enfin aimée, la magicienne avait accepté le marché. Ainsi, ses frères d’armes étaient redevenus homme, à l’exception de Gryllos, qui préféra sa destinée d’animal, et apporta ainsi à toute la faune la vertu, le courage, l’hardiesse ou l’intelligence du genre humain. Afin d’honorer sa part, le roi d’Ithaque était resté avec Circé, fier d’avoir sauvé ses compagnons, restés à ses côtés en signe de fidélité, mais triste de devoir l’honorer à jamais. Pensant enfin avoir obtenu l’amour d’un homme, cette dernière avait eu tout de même le cœur brisé en l’espionnant soupirer sans arrêt à Pénélope, et à être nostalgique de son royaume. Oubliant ses propres désirs, elle avait fini par rompre le contrat les liant, et à lui rendre la liberté au bout d’un an. Toutefois, pour que la rupture soit effective, Ulysse avait dû se soumettre à une épreuve, descendre aux Enfers pour consulter l’âme du devin Tirésias, et ainsi connaître sa destinée.
Fils d’Evène et de la nymphe Chariclo, Tirésias avait été béni par Jupiter qui lui avait accordé une vie sept fois plus longue que celle des autres Hommes. Toutefois, il était touché dans sa vision, étant aveugle, une infirmité affligée par les Dieux. Certains disaient que c’était pour le punir de révéler des secrets que les divinités désiraient garder pour eux. D’autres racontaient une toute autre fable. Un jour, Tirésias avait croisé le chemin de deux serpents entrelacés. Alors qu’il voulait les séparer, il avait été changé en femme. Il n’avait pu reprendre sa première forme que le jour où il avait croisé les mêmes reptiles, dans la même position. Par la suite, ayant connu les joies et les peines des deux sexes, il avait été choisi comme juge dans un conflit entre Jupiter et Junon. Le dieu des Dieux avait tenu pour certain, qu’en termes de volupté, les femmes en éprouvaient de plus grande que les hommes. Son épouse avait bien sûr nié, et avait exigé de consulter Tirésias pour se départager. S’étant prononcé en faveur du souverain de l’Olympe, le juge improvisé avait tourné le courroux de Junon contre lui. C’était donc cette déesse qui l’avait rendu aveugle. Afin de le dédommager, le dieu de la Foudre lui avait offert le don de prophétie, au lieu de lui rendre la vue. Pour l’aider à se déplacer, Minerve lui avait aussi donné un bâton avec lequel il avançait aussi facilement que s’il avait eu d’excellents yeux. Devenu le devin le plus reconnu de tous les pays antiques, il prédisait aux habitants de Thèbes et à leurs rois leur destinée, fonction qu’il continua à exercer au Royaume des Morts, faveur accordée par Pluton. Tirésias avait en effet trouvé la mort au pied du mont Tilphuse, en Béotie, en buvant l’eau d’une fontaine qui lui était interdite.
Afin d’aider Ulysse à le rencontrer aux Enfers, Circé avait alors sacrifié un bélier noir au dieu des Enfers, sur les rivages des Cimmériens, peuple qui vit aux limites du monde. Recueillant le sang dans une coupelle, elle l’avait confiée à Ulysse, lui recommandant de ne pas laisser les morts la boire. Fort de ce conseil, le roi d’Ithaque était descendu dans l’antre de Pluton, défendant le mieux qu’il l’avait pu son précieux chargement. Dans l’Erèbe, il avait procédé à la Nékuia. Pour cela, il avait creusé une fosse autour de laquelle il versa les libations, mélanges de lait mêlé de miel, de vin et d’eau. Puis, il avait répandu par-dessus de la farine blanche. Enfin, il avait attendu l’arrivée de Tirésias. Durant son attente, d’autres âmes étaient venues le visiter. Ainsi, voyant celle de sa mère, il avait découvert que durant son absence, elle était morte de chagrin et d’inquiétude. Elle lui avait alors rapporté le combat de Pénélope et sa situation à Ithaque. Son récit terminé, se dissipant, elle avait laissé la place aux compagnons décédés de son Odyssée, qui lui avaient prié de leur offrir une sépulture à son arrivée dans leur pays. Puis, les fantômes d’Agamemnon et d’Achille lui étaient apparus. Le premier lui avait relaté sa triste fin. Le roi d’Ithaque avait ensuite réconforté l’invincible héros, en lui racontant les exploits de son fils, Néoptolème, dit Pyrrhus. Ulysse avait ainsi appris que le grand Achille aurait mille fois préféré vivre et servir comme un pauvre paysan, plutôt que de régner sur tous les morts pour la gloire éternelle chez les Mortels. Ajax les avait interrompus, les querellant au sujet du partage des armes d’Achille. Enfin, quand tous s’étaient dispersés, Tirésias lui était apparu. Le devin lui avait alors prédit tous les obstacles que Neptune n’aurait pas de cesse de mettre au travers de son chemin, mais également que l’origine de sa mort se trouvait dans la main de son fils. Ayant appris tout ce qu’il désirait savoir, et remontant à la surface, sous les images des suppliciés des Enfers, Ulysse avait alors tout rapporté à Circé. Cette dernière lui avait ainsi apporté des conseils pour contrer les pièges. Quand il était enfin parti de chez la magicienne, la première épreuve avait pris le visage des Sirènes.
Filles du fleuve Achéloüs et de la muse Calliope, ces créatures étaient au nombre de trois, Parthénope, Leucosie et Ligée, aussi appelées Aglaophone, Therxiépie et Pisinoé. A l’origine des jeunes nymphes aussi belles que leur mère, elles avaient eu le malheur de déplaire à Cérès, qui, en punition de ne pas avoir sauvé sa fille de son enlèvement, les avaient changées en oiseau à tête de femme. Habitant les bords de la mer, entre l’île de Caprée et la côte d’Italie, près de la Sicile, terre d’Apollon, leurs voix et leurs chants charmaient les explorateurs, au point de leur faire perdre la raison, l’appétit, et la sensation de soif. S’ils ne périssaient pas dans leur naufrage contre les écueils et les roches escarpés, elles les entraînaient à la mort par la faim et le manque de boisson altérante. Cet impitoyable charme leur était indispensable pour se maintenir en vie. En effet, un oracle leur aurait prédit qu’elles vivraient aussi longtemps qu’elles pourraient arrêter les voyageurs. Si un seul navigateur venait à passer sans encombre, elles périraient. Si bien qu’après avoir survécu par miracle au passage des Argonautes, qui s’étaient vus survivre à leur enchantement grâce à Orphée, celui d’Ulysse leur furent fatales. Ayant mis dans les oreilles de ses compagnons de la cire, afin de les rendre sourds, s’étant ensuite fait attacher à son mât et ayant interdit à quiconque de le détacher, malgré ses suppliques, son équipage et lui avaient réussi à se sauver. N’ayant pas réussi à l’arrêter, les Sirènes s’étaient alors précipitées dans la mer, donnant alors leur nom Sirénuses aux îles rocheuses qui avaient reçu leur dernier souffle. Continuant son Odyssée, Ulysse avait dû par la suite affronter les gouffres de Charybde et de Scylla.
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