Chapitre 12 : Le deuil d'une famille

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Pendant ce temps, sur la terre des Hommes, un individu regardait effaré du haut d'une colline le spectacle qui s'étalait devant lui. Un Pompéi dévasté, et la lave encore incandescente qui descendait les flancs du Vésuve. Sortant de son effarement, il fit faire promptement demi-tour à sa monture, et repartit vers Rome aussi rapidement que cette dernière en était capable. Il mit tout de même plusieurs jours pour arriver à la capitale de l'Empire Romain. A la vue de la ville, il pressa son cheval déjà au bord de l'épuisement. Au bout de quelques minutes, l'homme arriva devant une des plus grandes et riches demeures que comptait la ville. Il poussa le portail en bois pour rentrer dans une cour entourée de plusieurs bâtiments. Un esclave arriva et se saisit de la bride de l’équidé. S'en attendre, le cavalier descendit, et se dirigea avec grande enjambée vers la porte d'entrée de la maison principale. Là, sans se faire annoncer, il s'y engouffra pour se retrouver devant le maître des lieux prévenus par le bruit. Ce dernier se présentait avec une haute stature, d’où respirait dignité, droiture et rudesse. Rien ne semblait pouvoir le faire fléchir. Tous ne pouvaient que le respecter, tant ses manières étaient empreintes de rigueur. Pour l’heure, cette entrée surprenante l’interpella, et il demanda d’une voix ferme et posée :

« Mon cher cousin, que ce passe-t-il ? Ne deviez-vous pas être à Pompéi en ce moment ?

—Normalement, cousin, normalement. Malheureusement, j'ai une terrible nouvelle à vous annoncer à tous. Je..., répondis gravement le cavalier.

— Attendez, interrompit le maître de maison, toujours d’un ton calme. Allons dans le salon, les anciens et la famille y sont réunis. Vous vous exprimerez devant tout le monde, car cela me semble grave. »

Les deux hommes rentrèrent donc dans une salle aux murs décorés de fresques relatant les exploits des héros antiques. Toutes les personnes présentes étaient richement habillées, montrant leur position élevée dans la société romaine. Les femmes étaient assisses sur des canapés de velours, soutenus par des pieds sculptés en pattes de fauve. Les hommes discouraient sur les récentes décisions du Sénat. A l'entrée des deux protagonistes, toutes les discussions s'interrompirent, et d'un seul mouvement, les têtes se tournèrent sur eux. Face à ce silence respectueux, celui qui n’était qu’autre que le chef de famille affirma avec force :

« Ma chère épouse, chère belle-soeur, toute ma chère famille, il semblerait que notre cousin ici présent a une terrible nouvelle à nous transmettre. Je lui laisse la parole.

— Merci. Ce n'est pas facile à dire, mais j'ai assisté à un terrible spectacle, informa le triste messager, prenant le temps de bien choisir ses mots avant de continuer. Il semblerait que les Dieux, en colère, ont décidé de punir Pompéi... Le Vésuve s'est réveillé, et a anéanti la ville.

— Oh, par tous les dieux, comment est-ce possible ? Y a-t-il des survivants ? demanda l'épouse du maître de la demeure, effarée.

— Non, malheureusement, aucun survivant. Je suis désolé, conclut-il tristement en tournant son regard vers la femme assisse à côté d'elle.

— Non ! Non ! Je ne vous crois pas. Cela ne peut pas être vrai… Il doit être en vie, » cria cette dernière les larmes aux yeux, avant de s'évanouir.

Alarmées, un petit groupe de romaines présentes dans le salon se précipita auprès de leur compagne, et l'emmena dans sa chambre, pendant que la maîtresse des lieux envoya un esclave chercher un médecin. Le reste de l’assemblée regarda, impuissant, la pauvre éplorée emportée loin d’eux. Tous ne ressentaient que tristesse, et compatissaient à sa douleur. Leur regard ne pouvait mentir, un regard qui était une fierté pour cette famille. Aucune autre ne possédait les yeux que les Dieux avaient créé pour eux, des yeux aussi clairs et profonds que l’eau, tirant un peu sur le violet, mais surtout des yeux des plus perçants. Les divinités leur avaient conféré la capacité d'avoir la meilleure vue du monde terrestre. C’était, d'un côté, une bénédiction dans les batailles, l'espionnage et dans l'art de repérer les meilleures opportunités, mais de l'autre, une malédiction. En effet, beaucoup de leurs ennemis cherchaient sans cesse le secret de leur pupille. Des envoyés de pays rivaux à Rome tentaient de les corrompre, et de les pousser à trahir leur nation. Refusant, ils durent faire face à un bon nombre de tentative d'enlèvement.

Pourquoi les Dieux avaient-ils béni cette famille en leur faisant ce don qu'elle transmettait de génération en génération ? Nul ne le savait vraiment. Certains disaient que c'était dû à leur ancêtre, descendant de la déesse Mère Terra et du fondateur de la ville de Rome. D'autres affirmaient que c'était pour remercier cette famille de sa piété, et de leur confiance, que les Divinités leur conférèrent ces yeux. En effet, chaque membre priait et faisait des offrandes aux Temples quelques soient les circonstances. Ils ne rataient aucunes célébrations. Cette lignée portait comme nom Junius Silanus, et son chef était Marius Junius Silanus. Ce dernier, habile à cacher ses sentiments, fut pourtant grandement ébranlé par la nouvelle que son cousin venait de clamer. Il dut s'asseoir, ainsi que beaucoup d'autres personnes. Les femmes encore présentes durent prendre l'air, ou se serrer dans les bras de leur époux pour pleurer tout leur sous. Oubliant toutes convenances, il se lamenta :

« Par tous les Dieux ! Mon frère était parti à Pompéi pour régler une affaire commerciale. C’est moi qui aurais dû m’y rendre. Avant le départ, Sol avait eu un mauvais pressentiment, et m'avait supplié de l'envoyer à ma place. Il sentait que quelque chose allait se passer. Se trompant rarement, j’ai voulu reporter ce voyage, mais comme le contrat espéré était important, il a aussi insisté pour s’y rendre. J’aurai dû le lui interdire.

— Vous n’avez pas à vous blâmer, mon cousin, essaya de rassurer un membre du clan. Quand Sol avait une idée en tête, personne ne pouvait la déloger, même pas vous.

— Pourquoi les Dieux nous ont-ils abandonnés ? Nous avions fait pourtant des offrandes aux temples pour le protéger, et que l'affaire se finisse rapidement, dit un autre.

— Quand je pense qu'il laisse derrière lui une épouse, et un jeune fils âgé de seulement deux ans, murmura la matriarche, les larmes coulant encore sur ses joues. Pauvre enfant.

— Nous ne devons pas douter des Dieux. Il doit exister une raison pour que tout cela se soit passé ainsi. Son fil de vie a été coupé, c'était sa destinée. Ils ont surement des plans pour nous tous, les simples Mortels, affirma son époux, le patriarche, d’un ton solennel. Nous devons maintenant honorer son corps, et son âme, afin de le guider vers le Styx, et vers le royaume de Pluton. Espérons qu’il soit accueilli aux Champs Elyséens.

— Oui, vous avez surement raison, père, mais cela est douloureux de penser que mon neveu ne pourra jamais connaître son père, consentit Marius.

— Nous ferons tout pour que son fils Endymion connaisse son père, car nous l'avons connu, et nous le portons dans nos cœurs. Nous lui apprendrons qui il était, et ce qui l'a fait pour notre clan. Nous honorons nos défunts, nous les Junius Silanus, et ce n'est pas maintenant que cela changera, ajouta avec détermination le patriarche, qui avait vu beaucoup de ses parents décédés avant lui.

- Oui, vous avez tous raison. Nous allons panser notre plaie, puis nous organiserons le service funéraire pour honorer mon frère, déclara Marius. Allons, mère et vous aussi ma tendre épouse, allez voir comment se porte ma belle-sœur, et proposez lui votre aide, mais surtout transmettez lui la sympathie de toute la famille.

— Bien, répondirent les deux femmes en se levant pour partir vers la chambre de la jeune veuve.

— Quand au conseil familial, nous allons nous réunir pour organiser les funérailles de notre cher disparu.

— Très bien ! » Clamèrent en chœur toutes les personnes encore présentes dans le salon.

Alors que chaque membre quittait la pièce, Marius se tourna vers un portrait qui les représentait son frère et lui à leur mariage. Ils s'étaient mariés le même jour, et avec des sœurs jumelles. Un mariage entre jumeaux, car oui, son frère et lui étaient nés à quelques minutes d’intervalle. A leur naissance, leurs parents s’étaient sentis privilégiés des Dieux, et avaient commandé plusieurs sacrifices pour les remercier. Plusieurs années plus tard, quand les deux garçons avaient atteint l’âge d’homme, leur père était tombé malade, l'empêchant de poursuivre sa tâche. Le conseil dut choisir le nouveau chef de famille. Comme la tradition l'exigeait, tout avait désigné Marius pour reprendre le relais. Etant sorti de la matrice maternelle quelques minutes avant son frère, il était du fait l’ainé. Cependant, Sol s'était avéré être un très bon conseiller. A chaque décision importante, le nouveau dirigeant n’avait jamais oublié de demander son avis, et celui de leur père. La richesse et le prestige de la famille s'en montrèrent renforcés. Le mariage de Sol fut béni par la naissance d'un fils, naissance également fêtée en offrande aux Dieux. Malheureusement, pour lui, ce ne fut pas le cas du sien. Le ventre de son épouse, Idylla, restait désespérément vide, refusant d'abriter la vie. Sa femme en était attristée. Elle priait tous les jours pour que les divinités lui accordent un enfant. Néanmoins, pour le moment, elles restaient sourdes à ses prières. Fortement amoureuse de son mari, elle avait peur d'être répudiée pour cause de stérilité. Heureusement, Marius la rassurait tant qu'il le pouvait. Lui rendant son amour, il lui prouvait la profondeur de ses sentiments en s'opposant encore et toujours à certains membres du conseil, qui souhaitaient le voir épouser leur fille pour mettre la main sur la direction du clan.

Maintenant, il craignait, que la mort de Sol ait des conséquences sur l'avenir des Junius Silanus. Son frère et lui avaient bien sûr convenu d’une solution pour éviter une guerre au sein de la famille, une guerre qui serait fatale à la cohésion familiale, mais sa mort venait de compliquer leur projet. De plus, vu son âge et l'absence de son père pour le protéger, l'avenir du jeune Endymion semblait pour l’heure bien sombre. Refusant cette éventualité, Marius prit alors une décision. Il s'empara d'un couteau, et sortit pour se rendre dans un petit temple au fond de la propriété. Arrivé à l'intérieur, il alluma le feu de l'antre sacrificiel, qui dégagea dès lors une odeur d'encens. Il prit le couteau, et s'entailla la main. Il la tendit au dessus du feu et laissant les gouttes de sang tombées dans les flammes, porta ce serment :

« Vous, mes ancêtres, écoutez-moi, et soyez mes messagers auprès des Dieux ! Moi, Marius, chef de la très grande famille Junius Silanus, la plus noble parmi les nobles, je prête serment par mon sang versé, et devant toutes les divinités, de veiller sur l'épouse de mon frère Sol et sur son fils, Endymion, de les protéger et de les chérir ! Nul ne leur fera du mal, et le moment venu, je lui donnerai la place qui lui revient ! »

Son serment finit, Marius se banda la main, et rejoignit sa demeure, afin de présider le conseil, et organiser les funérailles de son frère. Ce fut un moment pénible pour tout le monde. Plusieurs jours après la terrible nouvelle, une délégation était donc partie sur les terres désolées de Pompéi pour essayer de retrouver le corps du défunt. Devant le spectacle de désolation, les envoyés durent faire face à la dure réalité. Ils ne pouvaient récupérer aucun corps. La lave avait tout englouti. La mort dans l'âme, ils durent retourner à Rome annoncer la nouvelle. Entendant cela, la jeune veuve de Sol tomba malade de désespoir. Elle ne supportait pas l’idée de ne pas pouvoir dire au revoir à son époux, en lui mettant sur les yeux les deniers pour payer Charon, le passeur des Enfers. Déterminé à honorer son frère, malgré ce nouveau couperet, Marius décida de faire construire un temple à l'abord de Pompéi, un temple consacré au dieu des Enfers. Ainsi, quand les travaux seront terminés, des prêtres y officieront, et guideront de leurs prières, les âmes des défunts dépourvus de sépulcre.

De l’Olympe, touchée par cette action, Proserpine intervint auprès de son divin époux pour qu'il les accepte dans leur royaume souterrain. Pluton, qui ne pouvait rien refuser à son épouse, tellement il l'aimait, et par crainte de sa colère, le lui accorda en ordonnant au passeur de faire son devoir. Sa souveraine, heureuse de sa décision, rentra auprès de son mari plus tôt que prévu, précipitant l'arrivée de l'automne et de l'hiver. Les Junius Silanus interprétèrent cette arrivée précoce du froid comme un signe. Les Dieux leur avaient certainement accordé leur vœu. Leur regretté parent avait certainement pu rejoindre leurs ancêtres dans le repos éternel. De son côté, malgré les bons soins de sa sœur et de son beau-frère, la jeune veuve s’affaiblissait de jour en jour. Prenant les devant, Marius commanda alors à son épouse de la prendre avec elle, et de se réfugier dans leur maison de campagne, afin de la soigner loin de l’agitation de Rome. Idylla prit également sous son aile son neveu, et le confia à une nourrice le temps que sa mère, prénommée Psy, aille mieux. Elle pria tous les jours Junon et Latone, protectrices des mères, de lui venir en aide, et de ne pas laisser un enfant orphelin.


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