Chapitre 13 : Des frères insupportables

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Alors que les Junius Silanus rentraient à Rome, sur le Mont Olympe, une déesse au casque de guerre fulminait de colère, et courait dans tous les sens pour retrouver un certain petit blondinet. Elle avait appris une nouvelle plus tôt, qui lui avait fait monter la moutarde au nez. En effet, en essayant de repousser une énième fois les avances de Mercure, elle avait surpris une conversation entre quelques nymphes. Le sujet de leur discussion ? Une des blagues de Cupidon portant sur sa personne. Ainsi elle fut informée des véritables raisons du défi d'il y avait six ans. Elle venait de réaliser qu’elle avait été la victime de ce chenapan aux ailes de cygne. Comment avait-il osé la manipuler, pour obtenir d’elle qu’elle bénisse ce bambin romain ? La manipulation, et à ce qu’on se moque d’elle, c’étaient bien les choses que Minerve ne supportait pas, en plus des mensonges d’Apollon. Après avoir parcouru plusieurs lieux, elle finit par le retrouver et serrant ses points, s'avança vers lui.

En effet, Cupidon venait de finir une mission avec sa mère sur Terre, qui avait permis à un époux de témoigner tout son amour à sa tendre moitié. Il ne pouvait pas s'empêcher de les envier, car depuis qu'il leur avait décoché pour la première fois ses flèches, c'était un couple qui s'aimait comme au premier jour. Il espérait vivre un jour quelque chose d'aussi fort. Malheureusement, par moment, il en doutait. Vivant pour l'éternité, presque tous les Dieux étaient devenus volages, et cherchaient des distractions un peu partout pour tuer leur ennui. Etant fils de la déesse des Plaisirs, il savait de quoi il parlait. Ne parlons pas de Jupiter qui descendait se distraire avec les mortelles, ou les nymphes, dès qu'il arrivait à échapper à la vigilance de Junon. Personne ne savait combien il avait d'enfants. Un des seuls qui semblait affecter par tout cela était son père. En tant que dieu de la Guerre, Mars avait connu, et vu beau nombre de tueries, de massacres de femmes et d'enfants. Il espérait une vie paisible qui lui permettrait de ne plus faire de cauchemars, du moment où il revenait en son palais. Il aspirait au repos du guerrier.

Paradoxalement, et après de multiples épreuves pour y parvenir, c'était auprès de Vénus qu'il avait trouvé la paix, malgré son caractère et ses tendances à l'infidélité. En effet, sa mère n'était pas vraiment un exemple de fidélité. N’avait-elle pas eu Hermaphrodite, être possédant les attributs sexuels des deux sexes, de Mercure, ou encore Priape, enfant qu’elle abandonna à cause de sa laideur, de Bacchus ? Cupidon lui connaissait ainsi plusieurs aventures extraconjugales, dont celle qui lui avait fait craindre une séparation définitive entre ses parents, l’amour le plus constant que Vénus avait vécu, au même titre que celui pour la divinité guerrière. Cette romance avait vu le jour un peu après que Vulcain ait découvert la passion entre Mars et son épouse. Un peu coupable d’avoir trahi son frère, mais surtout pour oublier son malheur de ne pas être marié avec sa bien-aimée déesse, et devoir l’aimer en cachette, le dieu de la Guerre était parti guerroyer, et se noyer dans le sang de ses ennemis. Son errance guerrière fut longue, si longue, qu’il n’avait pas su que son amante avait donné naissance, dans le plus grand secret, au fruit de leur amour, et s’était trouvée un autre homme à aimer, Adonis, un homme qui lui fit oublié jusqu’à son rôle de mère.

Ce fut la période la plus noire pour Cupidon. De plus, il avait fallu plusieurs années, voire des siècles, d’épreuves pour que le couple Mars et Vénus ne soit plus séparé, mais surtout soit à jamais réuni. Ils avaient enfin eu, après de nombreux obstacles, le courage d’assumer leurs sentiments, et de les montrer au grand jour, malheureusement, au détriment du mari délaissé, Vulcain. Ce dernier fut obligé de les regarder marcher main dans la main, sans pouvoir rien y faire, à part ronger son frein. La situation n’avait guère changé depuis lors, malgré encore quelques infidélités de chacun, mais infidélité devenant tout de même de plus en plus rare. En fait, sortant de ses souvenirs, Cupidon avait peur de connaître la même souffrance que son oncle, celle de s’attacher sérieusement à une déesse ou une nymphe, et de voir son cœur brisé. Aimer une déesse, c’était prendre le risque de la voir se détourner de lui, et s’emmouracher d’un autre. Sa mère en fut la preuve, bien qu’elle ait fini par reconnaître qu’aucun autre amour ne valait celui qu’elle ressentait pour Mars. Cupidon voulait aimer une personne inconditionnellement, et vivre avec elle pendant des siècles et des siècles. Quant aux mortelles, le dieu de l'Amour ne voulait pas y penser, car il ne pouvait pas être certain de la véracité de leurs sentiments. Une telle femme, soit elle l'aimerait pour sa divinité, soit il devrait la voir mourir, à moins de lui faire boire le nectar et l'ambroisie, afin qu'elle obtienne l'immortalité. En bref, il redoutait d'être aimé par une mortelle que pour l'obtention de la vie éternelle. A cette idée, il en frissonna.

Enfin, souffla-t-il, ce n'était pas encore d'actualité. Pour le moment, Cupidon était encore bloqué dans son corps d'enfant. Il releva la tête en souriant, car bientôt, il saura si la naissance de Himéros aura les effets escomptés. Dans quelques heures, son frère aura cinq ans, et les dieux avaient organisé une fête pour célébrer ce jour. Bientôt, sa croissance reprendra son court normal, il en était certain. Le dieu de l'Amour arrêta sa marche, et l'image d'une déesse en particulier apparue dans son esprit. Il ne savait pas ce qu'il ressentait réellement pour elle, mais elle avait une place particulière dans son cœur. Peut-être qu'enfin, elle le prendra au sérieux lorsqu'il aura son corps d'homme. Soudain, une vive douleur le prit à l’arrière de la tête. Gémissant tout en posant ses bras dessus, il chercha la cause de sa tourmente, et il tomba sur ses frères. Ces derniers riaient à gorge déployée, adorant taquiner leur aîné, autant à cause de son incapacité à grandir qu’à cause de leur jalousie. En effet, il était devenu le chouchou de leur mère, et les jumeaux ne le supportaient pas. Agacé par leur comportement, Cupidon les interpella :

« Deimos ! Phobos ! Vous n’avez pas autre chose à faire ?

— Oh, notre « petit » frère se met en colère, lui répondit le premier, lui rappelant malicieusement leur différence de taille. Mais pourquoi ? Nous ne voulions juste te saluer comme il se doit. Et puis on se demandait à quoi tu pensais. Tu paraissais si songeur tout à l’heure.

- Ca ne vous regarde pas.

— Oh laisse-moi deviner, continua Deimos, faisant fi de ses paroles. Tu rêvassais encore sur Minerve.

— Comme c’est mignon, ironisa son frère jumeau. Toutefois, tu ne devrais pas trop te bercer d’illusion. Jamais une telle déesse, pourvue de la puissance de Jupiter, ne se penchera sur un moucheron comme toi. Jamais elle ne te verra comme un potentiel prétendant. Elle ne restera pour toi qu’un fantasme fantomatique.

— Oh, laisse-le mon frère. Ne lui brise pas tout de suite ses rêves. C’est si cruel, intervint Deimos, d’un ton qui cachait très mal le sarcasme et la moquerie dans sa voix.

— Vous faites vraiment pitié, s’attaqua Cupidon dans un souffle. Allez plutôt vous occuper des chevaux et du char de notre père. Je ne suis pas certain qu’il apprécierait de savoir que vous négligez votre devoir. »

Face à la menace à peine dissimulée de délation, les jumeaux blêmirent quelque peu. Il existait bien une chose que Mars ne supportait pas : la négligence autour de ses plus précieux chevaux, des bêtes magnifiques à la robe blanche et aux crins d’or. Leurs sabots puissants frappaient le sol au rythme des tambours de guerre, faisant trembler la terre à chacune de leurs foulées. Leurs naseaux soufflaient un air chaud, que la neige fondait à leur contact. Leurs pupilles noirs contrastaient avec leur corps lumineux et aux muscles saillants, faisant naître la peur dans les esprits des adversaires. Ces équidés étaient la prunelle des yeux de la divinité guerrière, tout autant que ses enfants. Personne n’avait le droit de les tourmenter, et de les toucher, à part ceux nommés par le dieu de la Guerre pour s’occuper d’eux. C’était un grand honneur qui leur était fait. C’était un tel honneur qu’afin de la dédommager du divorce, Mars avait désigné son ex-épouse Bellone pour atteler et conduire son char. En tant que ses fils, Deimos et Phobos accompagnaient leur ancienne belle-mère, et prenaient soin des coursiers de leur père. Toutefois, malheur à celui qui les maltraitait, même si ce n’était qu’oublier de leur donner un morceau de pomme. Essayant de faire bonne figure, les jumeaux firent volte face, et partirent à grandes enjambées. Pour dire la vérité, ils étaient déjà en retard. L’heure de la baignade des chevaux était déjà passée. Ils espéraient maintenant que Mars n’en fut pas tenu au courant.

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