Chapitre 16 : L'abandon d'une mère
Fixant son oncle, Cupidon plongea son regard dans le sien, un regard si profond qu’il aspira Vulcain inexorablement dans une transe. Le dieu de la Forge se retrouva flottant dans un espace parsemé d’étoiles. Il avait l’impression de voler au milieu de l’univers. C’était un lieu calme, apaisant, qui, au lieu d’être froid, irradiait d’une douce chaleur. La divinité sentit son cœur s’apaiser au fil des secondes qu’il en ferma les paupières. Il serait bien resté en cet endroit. Malheureusement, des voix venant autour de lui, lui parvinrent aux oreilles. Au début, ce n’était que des murmures. Il les ignora donc, préférant se noyer dans cette béatitude qui lui promettait l’oubli de ses souffrances. Ne l’entendant pas ainsi, les voix devinrent de plus en plus fortes, l’obligeant alors à les considérer. Vulcain se vit alors suivre leur provenance pour tomber devant une scène qu’il avait vécu il y avait plusieurs siècles et qu’il aurait voulu ne jamais revivre. Là, devant lui, Vénus se présentait, à genou face à Jupiter. Son ventre arrondi témoignait que le jour de sa délivrance approchait à grand pas. Oui, Cupidon l’obligeait à se plonger dans le passé, ou plus exactement dans son propre passé.
Enceinte de ses ébats avec Mars, et désireuse de protéger son nouveau-né de la colère de son mari légitime qui aurait pu s’en prendre à un innocent, la déesse de la Beauté avait trouvé refuge, en secret, auprès de Jupiter. Heureux de la prochaine arrivée d’un petit-fils ou d’une petite-fille, ce dernier avait assuré la mère de sa protection. Malheureusement, rien ne s’était passé comme prévu. Le jour de l’accouchement, à la vue de la physionomie du nouveau-né, mais aussi de la puissance de ses pouvoirs, le dieu des Dieux avait connu, dans une vision, tous les troubles qu’il risquait de causer. Il avait alors sommé Vénus de s’en défaire. Face à son refus, le souverain de l’Olympe l’avait menacée de le faire lui-même. Afin de soustraire Cupidon, autant de Vulcain que de son grand-père, elle était allée le cacher dans un bois, se promettant de revenir tous les jours pour prendre soin de lui. Ce fut ce jour qu’elle rencontra Adonis, et oublia tous ses devoirs, abandonnant son fils aux bêtes sauvages.
Cet homme avait pour père Cynire, fils d’Apollon, prêtre de Vénus à Paphos. Sa mère, Myrrha, après être tombée enceinte suite à une passion incestueuse dévorante, avait fui le courroux paternel en Arabie, où les Dieux l’avaient changé en arbre, portant la myrrhe. Quand le moment de l’accouchement était venu, le bois s’était ouvert en deux pour donner naissance à un garçon, qui fut ainsi nommé Adonis. Elevé dans les grottes avoisinant sa mère, par les Méliades, nymphes habitant les bois et les bosquets, et destinées à prendre soin des troupeaux, ainsi que protectrices des enfants abandonnés ou suspendus aux branches des arbres, il avait grandi en grâce et en beauté, héritant de celle de son divin grand-père. Devenu adolescent, sa beauté n’avait qu’augmenter, développant une silhouette harmonieuse en tout point. Les hommes l’avaient envié, et les femmes l’avaient pourchassé de leurs faveurs. Par la suite, Adonis était parti pour la Phénicie, où il avait croisé Vénus, venant d’abandonner Cupidon. Attiré par sa beauté enchanteresse, le cœur désespéré depuis sa séparation avec Mars, la déesse s’en était follement éprise, au point qu’elle avait négligé, autant son fils que ses devoirs auprès des Mortels et des Dieux. Plus rien n’avait compté pour elle que le bonheur et les désirs d’Adonis. Elle avait même été jusqu’à punir la muse Clio pour avoir blâmé son amour pour le jeune homme, en lui insufflant le même sentiment pour un petit roi d’Emanthie, en Thessalie, qu’elle épousa. Sa vengeance avait atteint son paroxysme quand Clio dût expérimenter la plus grande souffrance d’une mère, la mort d’un enfant. Ayant donné à son mari un fils, Hyacinthe, elle avait assisté à son trépas sans pouvoir intervenir. Affligés par sa douleur, les Dieux avaient alors transformé le corps de Hyacinthe en une fleur qui porte désormais son nom.
De son côté, quand Mars était rentré de son errance pour se reposer un instant, et avait su que son amante s’était éprise d’un simple mortel, il avait vu rouge. Il s’était alors transformé en sanglier furieux, et s’était élancé sur son rival. La blessure, qu’il lui avait causée, fut si grave qu’Adonis mourut. Accablée de douleur et prenant le corps de l’infortuné jeune homme, Vénus avait changé ce dernier en anémone, fleur éphémère du printemps. Elle n’avait pas su tout de suite que Mars avait été l’instigateur de cette perte, celui-là même qui avait profité de sa détresse pour la consoler le soir venu, scellant leurs retrouvailles. Le dieu de la Guerre lui avait raconté que la coupable avait été Diane. Celle-ci aurait lancé ce même animal sur Adonis pour venger un de ses protégés que Vénus avait tué, un mensonge qui fut révélé par Vulcain quelques jours plus tard. Quand son mari lui eut tout raconté, la déesse de la Beauté avait rejeté Mars avec une telle violence qu’il était reparti encore une fois se réfugier dans les guerres. Elle s’était montrée si cruelle avec son amant, qu’elle alla jusqu’à lui cacher l’existence de Cupidon, toujours caché dans la forêt. Pleine de ressentiments, et désireuse de retrouver Adonis, Vénus était allée se plaindre à Jupiter. Malheureusement, même s’il était le dieu parmi les Dieux, le souverain de l’Olympe ne pouvait pas s’opposer aux règles des Enfers. Il avait toutefois réussi à négocier avec son frère, que le jeune amant soit libéré les quatre mois du printemps, restant au sein des terres infernaux le reste de l’année.
Néanmoins, toute passion possédait une fin, si elle ne se transformait pas en amour. Bien qu’heureuse de l’avoir retrouvé, l’amour de Vénus pour Adonis avait fini par se flétrir au fil du temps, surtout quand des rumeurs lui arrivèrent aux oreilles. Le jeune homme s’était montré aussi volage qu’un Casanova, contant fleurette autant aux Enfers, que sur la terre des Mortels, ou sur le Mont Olympe. Les qualités, dont elle avait habillé son amant, s’étaient transformées en défauts à ses yeux, n’arrêtant pas de le comparer à Mars. Il fallait avouer que devant elle, se dressaient deux témoignages qui l’empêchaient de l’oublier complètement. En effet, leur courte réconciliation avait eu une conséquence,…, enfin plutôt deux. Enceinte de jumeaux, Vénus avait donné naissance à Deimos, la Terreur, et Phobos, la Crainte. Puis, plusieurs années après, suite à une nouvelle et unique nuit de faiblesse, succombant à la tension existant entre eux, Mars l’avait encore rendue mère d’une fille, Harmonie, appelée aussi Hermione. Ainsi, l’image du fils de Jupiter l’avait envahie un peu plus chaque jour, mais pas suffisamment pour lui pardonner complètement.
En plus, à cause de son amourette avec Adonis, la divinité de la Beauté était rentrée en guerre avec Perséphone, qu’elle avait accusé de le séduire et le lui prendre. Au final, ne supportant pas de perdre l’amitié qu’elle entretenait avec la déesse du Printemps depuis des siècles, Vénus avait reconnu que la passion s’en était allée, et qu’elle n’avait agi que par orgueil. Elle s’était trouvée bien naïve de s’être laissée aveugler juste par le joli minois d’Adonis. Finalement, c’était une belle coquille, mais vide d’intelligence. Il avait juste comblé le vide que le départ de Mars avait laissé, un vide qui s’était transformé en sentiment de haine, puis de vengeance de l’avoir vu l’abandonner encore et encore, au ressentiment de Vulcain, de Jupiter, et aux douleurs de l’accouchement. Un sentiment de vengeance qui s’était réveillé à nouveau quand elle avait su les vraies raisons de la mort du fils de Myrrha. Un sentiment qui l’habitait encore en sachant que Mars avait préféré toujours fuir, plutôt que de se battre pour rester à ses côtés. Sentiment qui l’avait poussée à négliger Cupidon au détriment de ses frères, car jamais son aîné n’avait connu la chaleur maternelle, au contraire de ses autres enfants.
Refoulant sa rancune et remplie de culpabilité, Vénus fut déterminée à récupérer son premier-né. Elle s’était imaginée des retrouvailles remplies d’effusion et d’amour. Cependant, tous ses espoirs ne prirent pas le chemin souhaité. Le jour où elle s’était décidée d’aller le chercher au fin fond de la forêt, espérant qu’il soit encore en vie, Cupidon avait fait son entrée sur le Mont Olympe, avec à ses côtés Diane. Cette dernière l’avait découvert lors d’une de ses chasses. Sa ressemblance avec son demi-frère l’avait frappée, et décidée à le rattraper. En effet, en l’apercevant, il ne lui avait pas laissé le temps de parler qu’il s’était enfui. Une course folle s’en était suivie. Malgré sa méconnaissance d’un terrain que sa nouvelle proie pratiquait depuis des années, la déesse de la Chasse avait réussi à s’en saisir, grâce à son agilité et à sa rapidité. Après plusieurs jours à palabrer et à prendre soin de lui au sein d’une grotte où coulait une source, elle avait gagné sa confiance, pour l’amener sur les terres olympiennes. Face à son apparence à l’image de Mars, toutes les divinités en avaient eu leur souffle coupé, et encore plus quand Vénus avait reconnu Cupidon devant elles toutes comme son fils premier-né.
A cette nouvelle, Vulcain avait failli s’étrangler, alors que les autres l’avaient accueilli à bras ouverts, se jetant sur lui pour mieux le voir. Seul Jupiter avait eu une appréhension, repensant à ce qu’il craignait de ses pouvoirs. Il aurait voulu en faire part à tous, mais il en fut empêché par son épouse Junon. A la vue d’un si bel enfant, qui s’était avéré être son petit-fils, la souveraine de l’Olympe était tombée complètement en extase face à cet être possédant l’apparence d’un chérubin. De plus, ce dit chérubin avait tout fait pour fuir les tentatives d’étreinte de sa mère biologique. Personne ne sut pourquoi, mais il avait préféré trouver refuge dans les bras de sa grand-mère. Toute heureuse à cette marque de préférence, cette dernière ne s’était pas dérobée, et lui avait offert son sein comme protection. Peut-être avait-il senti une blessure en son cœur, une blessure qui ressemblait à la sienne, lui l’enfant abandonné à son sort par sa mère, en plein milieu d’une forêt, et à la merci des bêtes sauvages. Oui, dès la première seconde de leur rencontre, Cupidon avait conquis le cœur de Junon. Il fallait dire que pour elle, il avait été une bénédiction du destin. Attristée par l’exil de Mars, la divinité de la Monnaie avait perdu un peu de sa joie de vivre. Pouvoir chérir un être né de son fils préféré comblait son cœur. Le sachant pertinemment, Jupiter n’avait pas réussi à résister au retour de la vie dans les yeux de son épouse. Il s’était contenu, et s’était résigné à accueillir ce nouveau petit-fils au milieu de leur famille. Ainsi, les débuts entre mère et fils ne furent pas faciles, bien au contraire.
Enfant n’ayant pas bénéficié de l’amour maternel, Cupidon s’était donc montré sauvage, au corps tout en muscles, et un brin hyperactif. Comportement des plus normaux quand tous surent que les Méliades, après l’avoir découvert nouveau-né, pleurant sous un chêne, l’avaient confié aux Dryades. Ces nymphes protectrices des bois et des forêts étaient des boules d’énergie. Elles possédaient le corps dont la partie inférieure se terminait en arabesque, à l’exemple d’un tronc et des racines d’un arbre, et dont la partie supérieure était juste ombragée d’une abondante chevelure, flottant sur leurs épaules au gré du vent. Robustes, autant que fraîches et légères, elles aimaient errer en liberté, formant des chœurs de danse autour des chênes qui leur étaient consacrés, s’arrêtant à peine pour respirer. La tête ornée d’une couronne de feuilles de cet arbre, elles punissaient, d’un coup de hache, les outrages faits à ceux dont elles avaient la garde.
Dans l’éducation de Cupidon, les Dryades furent aidées par les Hamadryades, leurs cousines. Egalement nymphes des bois et possédant la même apparence, le destin de ces dernières dépendait des feuillus, sous l’écorce desquels elles trouvaient refuges. Liées à eux, elles naissaient et mourraient avec eux. Ainsi, la durée de leur existence était égale à la vie des arbres où elles demeuraient. S’ils succombaient, elles les suivaient dans la mort. Elles ne sortaient, de sous leur écorce, que pour entendre le chant d’Orphée, et se sacrifier à Vénus en s’unissant charnellement aux Satyres dans les grottes. Afin d’éviter d’être punis par les Dryades, pour avoir osé abattre un de leurs protégés, ou une des demeures de leurs cousines, les Mortels consultaient les ministres de la religion, afin de s’assurer qu’elles les avaient abandonnés avant de jouer de leur haches.
Ainsi, à l’image de ses nourrices, après son arrivée sur l’Olympe, et afin de faire enrager Jupiter et Vénus, le passe-temps de Cupidon avait consisté à semer la zizanie dans les cœurs. Il visait de ses flèches les candidats les plus inattendus. De son côté, malgré les plaintes, Junon lui avait toujours trouvé des excuses, s’amusant de sa facétie. A côté de cela, elle avait tenté de rapprocher la mère et le fils, comprenant que Cupidon restait avant tout l’enfant de Vénus, et non le sien. Toutefois, elle n’avait pas eu beaucoup de succès. Cette situation était restée ainsi, en suspend, pendant plusieurs années, durant lesquels les trois fils de la déesse de la Beauté avaient atteint leur taille d’adolescent. Toutefois, l’Amour était demeuré toujours un peu plus petit que ses frères. Ainsi, il était devenu leur sujet de moquerie préférée, mais également de plusieurs autres créatures olympiennes et de leurs compagnons, jaloux surement de ses pouvoirs. Ne disons pas que l’amour pouvait défaire le plus puissant des Dieux. De plus, contrairement à eux, Vénus lui avait interdit de se faire connaître de Mars, refusant qu’il soit au courant. Ainsi, Cupidon avait plus d’une fois assisté, caché, aux joyeuses rencontres entre ses frères et son père, alors que lui en était privé. Cette différence de traitement avait donc fini par creuser un fossé dans la fratrie. Cette situation aurait pu rester ainsi pendant plusieurs siècles encore, mais le Destin en avait décidé autrement.
Le tournant dans la vie de Cupidon avait été quand il rencontra pour la première fois son père biologique, et avait appris qu’il possédait multiples demi-frères et demi-sœurs, certains divins, d’autres semi-mortels. En effet, durant ses errances, Mars ne s’était pas montré des plus fidèles à son amour pour Vénus. Il s’était même marié à Néréine, puis à Bellone, déesse sabine des horreurs, et des aspects héroïques de la guerre. Il avait également connu plusieurs aventures amoureuses extraconjugales, qui virent naître des enfants. De Rhéa, il eut Romulus et Remus, les fondateurs de Rome. De Thébé, il engendra Evadné qui épousa un des sept chefs de Thèbes, et de Pyrène, Cycnus. Ce dernier fut surtout connu pour avoir monté Arion, cheval conçu d’une agression de Neptune sur Cérès, qui, transformée en jument, avait tenté de fuir en vain la poursuite du dieu des Océans. Sur ce cheval, Cycnus avait combattu Hercule qui le tua, rendant la fille de Mars veuve. Ce ne fut pas la seule à avoir connu une triste destinée. Alcippe, violence lui fut faite par Allyrothius, fils de Neptune. Pour la venger, le dieu de la Guerre l’avait transpercé de son glaive jusqu’à mort s’en suive. Le souverain de l’Océan avait alors assigné son neveu en jugement sur une colline d’Athènes, devant les douze grands dieux de l’Olympe, qui l’obligèrent à défendre sa cause. Mars avait été si éloquent, si convainquant, qu’il avait été absous en quelques minutes. Y assistant en cachette, ce fut sur cette colline d’Athènes, appelée depuis l’Aréopage, soit la colline de Mars, que Cupidon avait alors vu son père pour la première fois.
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