Chapitre 17 : Le pardon
Revenant à la réalité, il leva les yeux sur Cupidon. Tous furent témoins d’un grand changement dans son regard. Il ne portait plus de haine, mais de la compassion et de la tristesse. Il donnait l’impression de souffrir avec lui, et pour lui. De son côté, la déesse de la Beauté regarda son époux qui lui fit de la peine. Elle se sentait responsable en parti de la souffrance de ce dernier. L’amour que Mars et elle se portaient, n’avait fait que le blesser. D’une voix quelque peu hésitante, Vulcain questionna son neveu :
« Comment… ? Comment as-tu fait pour…, pour ne pas les haïr ?
— Je ne sais pas si je les ai haïs, mais ne crois pas que je ne leur en ai pas voulu, lui répondit Cupidon. Pendant longtemps, j’ai refusé de me lier avec ma mère. Je l’ai rejetée, de peur d’être à nouveau abandonné. Bien que j’aie perdu la vie, j’ai eu la chance de renaître, et de tout recommencer. N’ayant pas perdu la mémoire de ma première existence, j’aurai pu m’enfermer à nouveau dans la rancune, mais j’ai refusé cette fatalité. La soif de vengeance, la rancune ne font que te ralentir et t’entraîner sur le mauvais chemin. Elles n’enferment que cet enfant apeuré, que nous cachons tous au fond de notre cœur, dans une prison, au lieu de faire face à nos craintes, et de nous libérer. Personnellement, j’ai saisi cette nouvelle chance, et elle me fut favorable, je l’avoue. Me voici, aimer et choyer par mes parents, et toute notre famille. Toutefois, avec mon corps d’enfant, je dois encore faire face aux moqueries, à l'ignorance, au rejet, lorsque j'aurai voulu être traité comme tous les adultes, surtout de la part des femmes.
—…
— Donc, oui, je peux t’affirmer que je comprends très bien les sentiments qui te possèdent, quand tu te sens seul et rejeté, même par ta propre famille, continua l’Amour. Cependant, il faut que tu passes outre, car sinon, ils continueront à guider ta vie, et à te pousser à faire les mauvais choix. Je sais que ce n’est pas facile, car la haine est plus facile à exprimer. On a l’impression qu’elle est la seule à nous aider à faire disparaître la douleur qui nous torture. On voudrait que les instigateurs payent...
— Mais Cupidon, voulut interrompre sa mère.
— Nous en reparlerons plus tard, si tu le veux bien, maman. D'ailleurs toi aussi, tu dois me parler d'une certaine promesse, la coupa son fils. Vulcain, tu aurais voulu que ta famille t’accueille à bras ouverts, et se comporte normalement avec toi, sans agir en fonction de sa culpabilité. Tu aurais voulu être aimé, et aimé, sans condition, sans moquerie, pour ce que tu es. »
Là, Cupidon fit une pause avant de continuer en regardant son agresseur :
« Je sais que tu aurais voulu être aimé de celle que tu dis aimer, mais tu t’es trompé de route en voulant la posséder à tout prix. Avant tout, aimer, c'est vouloir le bonheur de l'autre avant le sien, de faire passer les intérêts de l'autre avant les siens. C'est de laisser libre l'autre d'aimer, ou non. Tu aurais voulu être aimé de ma mère, mais tu l'as enfermée sans prendre en compte ses propres sentiments, en espérant qu'elle t'aime un jour. Mais cela ne marche pas comme ça. On ne peut pas forcer quelqu'un à aimer. L’amour, c’est trouvé l’équilibre entre deux personne, entre sa propre liberté et celle de l’autre. L'amour, c'est quelque chose qui naît au plus profond de son cœur, qui grandit et se renforce en construisant une histoire ensemble, dans un soutien, une confiance, un respect et une sécurité mutuelle. C’est comme une fleur qui s’épanouit et qu’il faut nourrir pour qu’elle ne flâne pas. Si tu l’étouffes, la harcèlent, elle meurt. Si tu fais preuve d’égoïsme et de non-respect, elle meurt. L'autre a le droit de dire oui ou non, sans honte, sans avoir peur d’engendrer de la colère, et sans culpabilité… Tu ne peux commander à l'Amour. »
Tous les Dieux regardèrent Cupidon, et tous constatèrent la maturité dont il faisait preuve. Une déesse au casque spartiate tout particulièrement se demandait si elle ne l'avait pas jugé trop tôt et trop vite. Mais cette idée l'effleura à peine, revenant à son jugement premier. Ce n’était qu’un gamin effronté. Etranger à toutes ces pensées, le fils de Vénus conclut :
« Sache que je ne t'en veux pas, cher oncle. C'est pourquoi, Jupiter, je ne requiers aucune sanction contre lui. J'estime qu'il a assez souffert depuis ces siècles derniers...
— Mais, Cupidon, tenta Mars, toujours en colère.
— Papa, ne proteste pas ! C'est ma décision... Par contre, Vulcain, laisse-moi un peu de temps pour te pardonner. Mets-le à profit pour te poser une question : es-tu réellement amoureux de ma mère, ou est-ce l'orgueil et la jalousie qui ont guidé tes décisions ? Peut-être dans l’espoir de battre au moins une fois dans ton existence ton frère. »
Le dieu des Forges n'en croyait pas ses oreilles. Le garçon qu'il aurait voulu voir « mort », ne voulait pas le punir, le protégeant du courroux de Mars et de Jupiter. Il lui tendait même la main. Il n’en revenait pas. Son cœur lui fut douloureux, une douleur qui l’appelait à rester dans la haine, afin de ne pas paraître faible. Faible ? Reconnaître ses erreurs, et laisser tout derrière lui pour reprendre un nouveau départ était-il vraiment un signe de faiblesse ? N’était-ce pas plutôt le plus grand signe de courage et d’abnégation ? Au fond, voulait-il vraiment rester prisonnier de sa rancune ? Non. Il était fatigué de tout ça, fatigué qu’il préféra avancer sur le chemin que Cupidon lui proposait. Submergé par ses propres sensations et un sentiment de légèreté, il baissa la tête pour cacher une nouvelle larme. D'un coup, il sentit une étreinte. C'était Junon. Sa mère l'enlaçait. Au lieu de la repousser, comme à son habitude, il l'accepta, se sentant étonnement bien ainsi. Avoir avoué tout ce qu’il avait sur le cœur l’avait finalement soulagé d’un poids, dont il prenait à peine conscience. Elle murmura à son oreille :
« Nous sommes vraiment désolés, Vulcain.
— Oui, oublions ça, et repartons sur de nouvelles bases, mon fils, » renchérit Jupiter, se mettant à leur côté.
Levant les yeux sur lui, le dit fils hocha simplement la tête, sans prononcer une seule parole, pour donner son approbation. Le sourire aux lèvres, le dieu de la Foudre se sentit tout gêné d’un coup. Désirant cacher son embarras face à cette vague d’émotions, il finit par rappeler à tous leur obligation du jour :
« D'ailleurs, si nous ne nous dépêchons pas, j'en connais un qui va rater une certaine cérémonie. »
A ces paroles, Cupidon devint blanc, et paniqua. Il prit ses jambes à son cou pour rejoindre le palais de Jupiter. La majorité des Dieux lui emboita le pas, riant, sans méchanceté, face à sa réaction enfantine. Et oui, il commençait à se faire tard, et Apollon-Phébus était sur le point de coucher le soleil. Le dieu des Dieux invita sa moitié à libérer leur rejeton et à le suivre. Ce qu’elle fit, après avoir embrassé sur le front Vulcain au préalable. Sous le coup de l’émotion, ce dernier tomba sur les fesses, et se mit en boule, comme pour se protéger de cette vague de bons sentiments. Pendant que l’Amour partait, comme si sa vie en dépendait, vers le lieu de la cérémonie, resté en arrière avec Eole et Vénus, Mars la prit dans ses bras, la berçant doucement. Toutes les révélations de leur fils l'avaient ébranlée au plus haut au point. Une sérieuse discussion s’imposait à tous les quatre, enfin, quand toute cette histoire sera terminée. Au bout d’un moment, la déesse de la Beauté se détacha de son amant, et se dirigea vers son époux, toujours prostré. Elle s'adressa à lui :
« Vulcain, je suis désolée. Je sais que tu aurais voulu que je t'aime. Je sais que tu m'aurais tout donné pour que je réponde favorablement à tes sentiments. Malheureusement, je ne t'aime pas comme tu voudrais que je le fasse, et je ne t'aimerai sans doute jamais ainsi. Tu as voulu m'enfermer, alors que je n'aspire qu'à la liberté. Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été attirée par Mars, et j'ai eu la chance que mes sentiments grandissent pour lui et qu'ils soient réciproques.
— ...
— Cupidon a décidé d'oublier l'incident d'aujourd'hui, et je vais respecter sa décision. Je ferai donc de même. J'espère que nous pourrons développer une belle amitié à l'avenir… et pourquoi pas une relation fraternelle. Toutefois, pas maintenant… Tout comme mon fils, j'ai besoin de temps, continua-t-elle en s'éloignant. Je dois aller retrouver Himéros, et rejoindre mon aîné.
— Vénus, Himéros est en mon palais des Vents, lui informa Eole. Je l'ai confié à une personne de confiance.
— Je te remercie, Eole. Peux-tu m'y accompagner, je te prie ? » Demanda la déesse.
En acquiesçant, l’ancien roi des Îles Eolienne se rapprocha d’elle, et tous deux commencèrent à avancer. Toutefois, avant de partir, il jeta une dernière fois un regard au fautif de tant de débordement de force. Ce dernier put y lire une grande animosité. En une fraction de seconde, il comprit le message. S'il continuait à s'attaquer à son ami, il ne le raterait pas non plus. Il fallait le reconnaître. Eole avait toujours été celui qui était resté honnête avec lui dès le départ. Les voyant partir, Vulcain les suivit des yeux, encore sous le choc de cette mise en garde et des paroles de Vénus. Même elle, elle était prête à lui donner une seconde chance, alors qu'il avait voulu lui retirer la chair de sa chair. A ses côtés, Mars, les bras croisés sur le torse, avait encore le regard froid, mais semblait avoir repris son calme. Attirant l’attention de son frère, il reprit alors la parole, avec tout le sérieux dont il était capable :
« Comme l'a dit Vénus, je n'irai pas à l'encontre du désir de mon fils. Mais sache que pour ma part, c'est ta dernière chance. Si tu as le malheur de t'en reprendre à ma famille, je serai intraitable, et cette fois-ci, mon bras ne sera pas arrêté. Il s'abattra sur toi de toute sa force.
— Je comprends.
— Bien... Plus tard, nous devrons avoir une discussion tous les deux. Ne crois pas avoir été le seul à souffrir de la situation, » continua le dieu de la Guerre.
Ce dernier s’éloigna à son tour. Toutefois, après avoir fait quelques pas, il s’arrêta, et soupira en fermant les yeux. Il expulsa ainsi les dernières onces de rage. Il fit alors demi-tour, et se planta de nouveau devant son cadet. Il le fixa sans dire un seul mot. Puis, après un moment de silence, il dit :
« Nous devrions y aller. Ils ne nous attendrons pas, et je veux assister à la cérémonie de mon fils.
— Tu veux que je vienne après ce que je viens de faire ? Demanda Vulcain qui, s'il n'avait pas été déjà assis sur le sol, tomberait sur les fesses tellement la proposition de son frère l'étonnait.
— Cupidon veut oublier ce qui vient de se passer, et tous les Dieux se doivent d'être présents. Tu fais parti des Dieux, non ?
—...
— Alors allons-y, Apollon, tout Phébus qu’il est, ne pourra pas retenir le soleil indéfiniment, » déclara son aîné, en lui tendant sa main, pour l’aider à se lever.
Vulcain, sans voix par autant de clémence à son égard, l'accepta, sans avoir oublié d’essuyer une larme avant de la saisir. Les deux divinités partirent donc vers le palais de Jupiter. Mars, sur le chemin, eut une pensée pour Cupidon, et ne pouvait pas cacher la fierté qu'il ressentait pour lui. Le dieu forgeron, qui l'observait, vit cette lueur, témoin de ses pensées, dans les yeux de son frère. Il prit alors la décision de réfléchir sérieusement au discours de son neveu.
Pendant ce temps, Vénus arriva au palais d’Eole, et accueillit dans ses bras son petit garçon, qui, en voyant sa mère arriver, avait couru à son encontre. Elle le serra contre son cœur, tellement elle avait eu peur de le perdre. Himéros, à cet instant, se sentit si aimé et chéri, qu’il renforça sa prise autour des hanches de sa mère. La déesse leva les yeux, et bien que surprise de voir une mortelle en haut des escaliers, remercia Iphigénie du regard, pour avoir pris soin de son fils. Après cette effusion, elle décida de partir de suite vers le lieu de la cérémonie. Sur le chemin, elle raconta à son fils ce qui s'était passé, après qu’Eole l'ait emmené avec lui en sécurité. Derrière eux, s’avançaient également le dieu des Vents et la princesse grecque. Cette dernière, impressionnée par autant de charme émanant de la divinité de la Beauté, cheminait doucement quelques pas derrière eux, la tête baissée. Voyant son hésitation et sa crainte, le dieu des Vents prit sa main pour la rassurer, et ne la quitta pas jusqu'à ce qu'ils soient arrivés.
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