Chapitre 24 : Les soupçons d'une soeur
Toute tremblante, Infama serra sa tunique au niveau du cœur, espérant en apaiser les battements. Fermant les yeux, elle respira profondément plusieurs fois, dans l’espoir de retrouver le contrôle de ses émotions. Malheureusement, ce fut peine perdue. Au lieu de se calmer, un flot de larmes dégoulina sur ses joues, et des sanglots furent les seuls sons qui sortirent de sa bouche. Ses jambes tremblaient tellement, qu’elles menaçaient de céder sous le poids de l’infamie dont elle avait été l’objet. Au bout d’un moment, accablée, elle n’y tint plus, et se laissa tomber au pied du meuble. Elle ne comprenait pas comment elle était arrivée à cette situation. A ce moment précis, la porte s’ouvrit, suivi par le bruit de pas précipité se dirigeant vers elle. Deux bras forts la retinrent, et la plaquèrent contre un torse chaud.
« Infama, que vous arrive-t-il ?
— Co… Colinus. Est-ce bien vous ? » Leva-t-elle son visage pour tomber sur celui de son mari.
Le voir près d’elle et aussi inquiet de son sort lui fit tirer encore plus de larmes qui ne cessaient de couler en flot continu. Submergée par son malheur, Infama se serra encore plus contre Colinus, enfouissant son visage dans la toge de ce dernier, pleurant de plus belle. Désarmé par une telle affliction, l’époux ne savait pas trop quoi dire, ou quoi faire. Il ne put que renforcer sa prise autour d’elle, lui offrant un cocon protecteur. Il lui murmura des mots de réconfort, lui assurant qu’il sera à jamais à ses côtés. Le couple resta ainsi, enlacé, jusqu’à ce que les pleurs diminuent, pour finir par disparaître. La ressentant enfin calme et de nouveau maîtresse de ses émotions, Colinus l’interrogea d’une douce voix, afin de connaître les raisons qui l’ont poussée à un tel état. Le regardant un instant dans les yeux, son épouse y vit amour, compassion et inquiétude. C’était la première fois qu’elle se sentait autant aimer. Le cœur réchauffé d’une telle affection, elle lui raconta tout, sa tentative de réconciliation, la méprise de Psy et ses accusations, ainsi que ses explications, les mêmes que leur cousine avait refusé d’entendre.
Au fil de son récit, le jeune conseiller fronçât les sourcils, ses pensées tournoyant dans son esprit à une vitesse folle. D’un côté, il avait du mal à croire à une telle situation. Toutefois, de l’autre, c’était fort possible, surtout venant des personnes auxquels il pensait. Il les connaissait mieux que personne pour savoir qu’ils étaient capables de tout. Bien souvent, il remerciait les Dieux d’avoir été élevé par ses grands-parents, et non par son père et sa mère. Il allait faire part de ses pensées à Infama qu’il la sentit s’affaler dans ses bras. Plus qu’inquiet, il baissa les yeux sur elle, et fut soulagé de constater qu’elle s’était endormie. Les émotions avaient eu raison de ses forces. Colinus la souleva et l’installa sur son lit. Puis, il alla prévenir la nourrice de Lua avant de partir. La détermination dans ses yeux, il était résolu à prouver l’innocence de son épouse et de découvrir la vérité.
Pendant ce temps, toujours dans la pièce qu’Infama avait quitté, la sœur d'Idylla essayait tant bien que mal de calmer la toux, qui s'était déclenchée à cause de sa colère. De plus, elle commençait à avoir mal au ventre. Elle ordonna à un esclave d'aller lui chercher des herbes spécifiques dans le jardin médicinal, et quelques ustensiles. Quand il lui apporta sa commande, elle la broya, et avec un peu de vin, l'avala. L'effet fut pratiquement immédiat, car elle se mit à vomir violemment. Quand elle finit de se nettoyer l'estomac, elle s'allongea quelque instant pour se reposer de cette épreuve, le front en sueur et le souffle court. La veuve de Sol en profita pour réfléchir. Elle savait que sa douleur était due à ce qu'elle avait bu tantôt. Psy en frémit, car elle était persuadée que si Idylla avait bu de cette mixture, un sort funeste aurait touché l'enfant. Elle était presque persuadée que c'était une manœuvre d’Infama. Cependant, on n'accusait pas quelqu'un de meurtre, ou de tentative, sans un minimum de preuves. Pour l'heure, elle était persuadée que la mère de Lua, loin d'être idiote, était entrain de détruire tout ce qui aurait pu l'accuser. La seule chose que Psy pouvait faire était de la surveiller, et de mettre en garde sa sœur, ainsi que son fils. Qu'en à Marius, c'était un pragmatique, et il sera peut-être difficile à convaincre, du fait que ce sera sa parole contre celle de l’accusée.
Psy prit alors une résolution, tant pis pour les conséquences. Lorsqu'elle se sentit mieux, elle s'assura qu’Idylla dorme encore, et se rendit auprès de son beau-frère. Arrivée devant le bureau de celui-ci, elle rentra après avoir toqué pour s'annoncer. Marius n'était pas seul, Endymion était présent avec lui pour suivre une leçon sur la diplomatie entre les différentes grandes familles. Les interrompant, Psy affirma le plus sérieusement :
« Marius, excusez moi de vous déranger, mais j'ai une affaire importante à traiter avec vous, et elle ne doit souffrir d'aucun délai. »
Voyant l'attitude grave de sa belle-sœur, Marius demanda à Endymion de les laisser, lui garantissant qu'il continuera plus tard. Le jeune garçon prit donc congé, en saluant son oncle et sa mère. Après s'être assuré d'être seul avec Psy, le chef de famille lui demanda ::
« Que se passe-t-il donc pour que vous permettiez de m'interrompre pendant la leçon de votre fils ? Cela doit être grave.
— En effet, il s'agit du bien être d'Idylla, » commença Psy, qui fit une pause.
A l’évocation du prénom de son épouse, Marius, assis derrière son bureau, était devenu des plus attentifs. Appuyant ses coudes sur son plan de travail et s’avançant sur son siège, il était tout ouï et l’invita à poursuivre :
« Continuez, je vous en prie.
— Je suis persuadée qu'Idylla et le bébé à naître sont en danger...
— En danger ! Coupa son interlocuteur en se levant brusquement. Que voulez-vous dire ? Parlez !
— Je vous en prie, mon cher beau-frère. Reprenez votre calme. Je comprends votre inquiétude. Je vais vous raconter ce qui s'est passé tantôt, sous votre toit, et pourquoi je pense que ma sœur, ainsi que votre enfant, sont en danger... de mort. »
A ces mots, Marius blanchit, plus qu'il ne l'était déjà par sa nature de Junius Silanus. Il se rassit doucement, et prit la résolution d'écouter Psy jusqu'au bout de son récit sans l'interrompre. Voyant cela, la veuve de Sol entreprit de lui raconter l'épisode du verre offert, et ses réflexions. Après ses explications, son beau-frère se leva, se tourna vers la fenêtre, et après un moment de silence, prit la parole :
« Vos convictions sont-elles fondées sur la boisson proposée, Psy ?
— J'en suis certaine. Comme vous le savez, j'ai une certaine connaissance des plantes. Je puis vous assurer que j'ai reconnu, malgré le jus de raisin, de la mandragore dans la boisson tendue à ma sœur, argumenta-t-elle. C'est une racine que beaucoup d’avorteuses utilisent pour les avortements. De plus, il est très facile de s'en procurer, car à moindre dose, elle peut être utilisée pour soulager le corps de certains maux. »
Marius ne dit mot pendant un moment. Il avait besoin de réfléchir. Sa belle-sœur était une personne sincère, et jugeant les gens à leur juste valeur. Elle se trompait rarement, si ce n'était jamais. De plus, Psy ne fondait jamais ses jugements sur les ressentiments qu'elle pouvait avoir pour la personne concernée. Elle était foncièrement juste, à croire que la déesse Justitia l'avait bénie à la naissance pour rendre la justice. Si elle pensait que quelqu'un en voulait à Idylla, sa tendre épouse, il ne devait pas faire la sourde oreille. Il ne supportait non plus que le conspirateur, quel qu’il soit, et quelque soit son sexe, vienne de l'intérieur, mais surtout que ce soit un proche du plus grand de ses fidèles. Qu’il soit impliqué contre son gré, lui faisait horreur. Après la perte de son jumeau, il avait été comme un doux baume, tellement son amitié lui était nécessaire. Rempli de quelques doutes, il désira insister :
« Etes-vous certaine pour Infama ? Porter des accusations de cette ampleur sans preuves est quelque chose de grave, qui risque de vous discréditer si cela s'avère être faux. Nous la pensons tous arriviste, mais de là à attenter à la vie d'autrui pour ses ambitions... De plus, nous pouvons également nous tromper sur son compte. Depuis son mariage, elle a plutôt montré un visage des plus conciliants… J’ai peur que le ressentiment que vous ressentez pour elle ne vous aveugle.
— Sachez, mon cher beau-frère que je me moque, comme de ma dernière chemise, de ma réputation. Tout ce qui compte pour moi, c'est ma famille, et plus précisément mon fils, ma sœur et vous, renchérit l'accusatrice. En ce qui concerne Infama, ses actes avant son mariage jouent en sa défaveur, effectivement. Depuis, je la soupçonne d’être capable de tout. Néanmoins, je garantis que mes jugements n’en sont pas affectés, mais il est vrai que je n'ai rien pour appuyer mes accusations.
—Je ne peux pas fermer les yeux sur vos soupçons, Psy, rassura Marius. Votre souffrance, ressentie après que vous ayez bu le jus, me l’interdit. De plus, je ne veux prendre aucun risque pour ma tendre épouse, votre sœur.
— Que comptez-vous faire, alors? Demanda son interlocutrice.
— Nous ne disposons d'aucunes preuves pour l'accuser et l’envoyer devant les tribunaux. Nous ne pouvons que… »
Un bruit de coup sur la porte coupa la parole à Marius, qui commanda à la personne de rentrer. Le chef de famille et Psy virent alors la seule personne qu’il ne pensait pas trouver en ce lieu, à ce moment précis.
« Colinus, que désirez-vous ? Je vous demanderai d’être bref, car j’ai à traiter une affaire de la plus haute importance le plus rapidement possible.
— Je crois savoir en quoi cette affaire consiste, lui avoua son cousin, qui s’en attendre s’agenouilla devant lui. Je vous supplie, Marius, de m’entendre avant de poser un jugement hâtif. »
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