Chapitre 25 : La justice de Rome

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Loin de ces miracles, un matin, un énorme brouhaha envahit toute la demeure Junius Silanus. Des hurlements d’indignation et des menaces se rependaient dans tous les couloirs. Suivi de son garde du corps, Idylla se dirigea vers la source de tant de désordre, accompagnée par Psy. Elles arrivèrent bien vite dans un couloir et dans un appartement où jonchaient des vases brisés, des meubles renversés et des linges désordonnés. Au milieu, des gardes maintenaient en place un homme et une femme, tous deux se débattant pour tenter de se libérer. Devant eux, se dressait Marius, aussi calme que la glace, et au regard où transpirait la haine, mais également la tristesse. C’était la même tristesse qui habitait la personne qui se tenait à ses côtés, une peine habitée par une sévérité sans borne. Une voix indignée s’éleva :

« Comment osez-vous, Marius ? Je suis votre oncle, et le plus puissant membre du conseil. Vous n’avez aucun droit sur moi, ou ma femme. Si vous vous obstinez, soyez prêt à en subir les conséquences. Je vous le ferai payer.

— Vos menaces sont vaines, Severus, et ne me poussent pas à la clémence, bien au contraire, répondit Marius. Colinus, avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ?

— Nous le saurons bientôt, » fut sa réponse.

Le mari d’Infama se tourna vers un des soldats qu’il avait mandaté. Ce dernier lui tendit une besace qu’il venait de découvrir bien caché derrière une des pierres du mur, en disant :

« Il était à l’emplacement indiqué par l’esclave que nous avons torturé hier. Nous y avons également trouvé du fil de fer, des clous, et autres ustensiles pouvant faire office de pièges. »

Se saisissant du sac, Colinus le présenta à Marius, qui l’invita à le montrer ensuite à Psy. Cette dernière y jeta un coup d’œil, et en sortit quelques plantes et fioles. Elle les observa, les ouvrit et les sentit minutieusement. Plongeant son regard dans celui de son beau-frère, elle acquiesça, confirmant qu’il venait de découvrir la dernière pièce du puzzle. Le chef de famille foudroya son oncle et sa tante, une rage non contenue dans les yeux. Perdu, Severus exigea de quoi il en retournait :

« Mais de quoi nous accuse-t-on ? Quel est ce sac ?

— Vous êtes accusés d’avoir tenté d’empoisonner Idylla par l’intermédiaire d’Infama, l’informa son propre fils, faisant de mon épouse votre bouc émissaire. Ce sac contient le poison utilisé. Quand aux autres pièces à conviction, elles corroborent le récit de certains esclaves qui déjouaient discrètement des tentatives d’accidents mortels et orchestrés contre ma cousine.

— Quoi ? N’en revenait pas l’accusé, les yeux ronds. Je ne suis au courant de rien. J’ignore tout de ces attentats, de ce sac et du reste. Je suis innocent.

— C’est vrai. La principale accusation touche en réalité ma mère. Toutefois, vous êtes accusé de complicité, continua Colinus en prenant le fil de fer entre ses doigts. Par contre, j’ignorais son implication dans les supposés pièges destinés à faire tomber Idylla dans les escaliers et autres. »

En entendant ces mots, Severus tourna son visage vers sa femme, n’en revenant pas. Cette dernière était bouche bée, et sciée par toutes ces nouvelles. Elle l’était tellement qu’elle en resta pétrifier sur place. Comment était-ce possible ? Comment avait-il fait ? Elle tenta de nier en bloc, mais aucun mot ne sortit de sa bouche. Elle ne pouvait que bégayer son innocence en des propos incohérents. Ses tentatives exaspérèrent Marius, alors que Colinus n’osait pas regarder celle qui lui avait donné le jour. Son cœur était en miette. Et pourtant, il s’était attendu à cette finalité. En effet, Infama lui avait confié que le jour où elle avait offert ce verre à Idylla, elle avait croisé un esclave travaillant dans la maisonnée de ses beaux-parents. Il portait un plateau en contenant deux, ainsi qu’une cruche de jus de raisins. Elle l’avait arrêté, et lui avait demandé à qui il était destiné. Il lui avait alors confié que c’était une collation destinée à la maîtresse de maison, de la part de dame Octavie. Elle s’était alors proposée de se charger de cette mission, afin de sceller un nouveau départ, en offrant de partager la boisson. Elle était juste tombée dans un complot sans le vouloir.

Afin d’apporter plus de preuves, Colinus était parti à la recherche de cet esclave, et de l’empoisonneur. Pour l’identifier avec certitude, il avait fait appel aux enfants des esclaves, agents discrets, dont personne ne faisait attention à l’ordinaire. Ils avaient cherché des indices, rapporté des conversations, et avaient fini par découvrir l’identité du complice, ainsi que de la cachette de l’or qui lui avait été donné en échange de sa participation. Puis, après avoir été arrêté, il avait tout révélé. Il les avait même amenés jusqu’à chez la sorcière, où ils avaient découvert son commerce de plantes et de potions. Afin de ne pas être inquiétée, elle leur avait révélé sa transaction, mais sans pouvoir ni décrire, ni identifier la personne, vue qu’elle était arrivée chez elle masquée. La seule chose dont elle était certaine, était qu’à sa voix, elle avait reconnu le timbre d’une femme. Malgré ce témoignage incomplet, tous les éléments concordaient, et les avaient amenés à condamner Octavie, qui tenta de se défendre :

« C’est faux ! Je n’ai rien fait de tel, cria-t-elle. Je ne connais pas cette sorcière. Je n’ai jamais attenté à la vie d’Idylla, par aucun moyen que ce soit. Je ne sais pas comment tous ces objets sont arrivés chez moi… C’est un complot dirigé contre mon mari et moi.

— Il n’est pas nécessaire de nier, continua Colinus. Votre esclave a tout avoué quand nous l’avons menacé de le torturer à mort, en échange de sa vie. Il ne sera pas crucifié, comme voudrait la loi, mais juste envoyé aux galères. S’il sert bien, et s’en sort vivant, il sera libéré, mais j’en doute. Enchaîné qu’il sera à sa place de rameur, il a plus de chance de couler avec le navire, ou de mourir lors du choc de tamponnage, que de survivre… De plus, nous connaissons tous votre haine contre Idylla. Vous lui en avez toujours voulu d’avoir épousé Marius, prenant la place de ma sœur. Tout s’accorde. »

Après avoir prononcé ces paroles, Colinus se tourna vers son cousin, hochant la tête. Comme pour répondre à un signal, Marius ordonna aux gardes d’envoyer les accusés à l’isolement, et de les maintenir enfermer jusqu’à ce qu’il décide de leur sort. Emmenés de force, Octavie continua à clamer son innocence. Severus maudit son propre fils pour les avoir trahis, tout en criant également ne pas avoir été impliqué dans cette affaire. Tous deux criaient avoir été victimes d’un coup monté, et que les Dieux en étaient témoins. Malheureusement, personne ne les crut. Les preuves étaient inattaquables. Ce fut donc la mort dans l’âme que Colinus exécuta les ordres. Idylla assista à toute la scène, frissonnant à l’idée du sort qu’aurait eu son enfant si elle avait bu le jus empoisonné. Jamais elle n’aurait songé qu’un membre de sa famille puisse lui vouloir autant de mal. Se rapprochant de son époux, elle se colla à lui. Répondant à son appel de réconfort, Marius la serra contre lui, et la soutenant, la conduisit jusqu’à sa chambre, où il la déposa sur son lit. Restant avec elle, il lui assura de terminer cette affaire le plus rapidement possible, et de toujours la protéger. Ce fut donc en écoutant les paroles réconfortantes de son aimé, que la future mère s’endormit, submergée par tout ce stress. De son côté, Psy rejoignit son fils, et supervisa ses leçons.

Pendant ce temps, après sa mission accomplie, Colinus rentra dans ses appartements, et raconta tout à Infama qui resta silencieuse, même quand il eut fini. Elle s’était simplement levée, et sans prononcer une seule parole, se dirigea jusqu’à la chambre de Lua pour veiller sur son sommeil. Son époux, bien qu’étonné, ne l’en empêcha pas. Dans un sens, il la comprenait, ainsi que son besoin d’isolement. Depuis que cette affaire avait commencé, des rumeurs circulaient sur tout le domaine. Son épouse était souvent montrée du doigt, et certains chuchotaient sur son passage, l’accusant d’avoir pris part au complot contre la famille. D’autres allaient jusqu’à la fuir. Beaucoup lui avaient tourné le dos. Toute cette histoire les avait tous deux ébranlés, mais ils y réagissaient de manière totalement différente. Même lui ressentit le besoin de prendre l’air, et il partit marcher dans la ville romaine jusqu’à ce que Nyx étende son manteau sur le monde, et alla ensuite se coucher.

Le lendemain, Marius convoqua Colinus dans son bureau. Il désirait lui parler à cœur ouvert de la situation. Il s’agissait tout de même de ses parents. Son cousin avait tenu sa promesse, il devait le reconnaître. De plus, il avait une dette envers lui. Grâce à son zèle, Idylla n’avait plus rien à craindre. Peut-être qu’il pourrait faire un geste vis-à-vis de Severus et d’Octavie en récompense. Quand le père de Lua fit son entrée, il ne passa pas par quatre chemins, et aborda tout de suite le sujet. Il commença déjà par lui demander comment il se sentait. Bien que satisfait d’avoir réussi sa mission, Colinus lui avoua être perturbé par le dénouement de cette affaire. Il trouvait quelques réconfort auprès de son épouse et de sa fille, mais surtout dans le devoir accompli. Comprenant ses états d’âme, Marius lui proposa de ne pas envoyer les coupables devant les tribunaux, et de seulement les exiler dans une contrée loin de la capitale, en Gaule ou en Germanie par exemple. Il ordonnerait que personne n’en parle plus jamais, sous peine de mort. Ainsi, cette affaire restera à jamais secrète, et n’entachera pas sa réputation. Bien que touché par cette sollicitude, Colinus refusa. Sa réputation n’en serait pas sauvée, s’il se résignait à cette extrémité, bien au contraire. Se montrer impartial, et capable de mener ses propres parents devant la justice renforcera son image d’homme droit.

« En êtes-vous certain, mon cousin ? Fut demandé. C’est une décision très lourde de conséquences.

— Je vous remercie de votre attention, Marius. Toutefois, personne n’est au-dessus des lois, répliqua-t-il, d’un ton n’exprimant aucune émotion. Tous crimes doivent être sanctionnés, qu’importent la situation sociale, familiale et les origines. Faites ce que vous avez à faire. »

Après avoir prononcé ces mots, il prit congé du chef de famille, qui jeta sur lui un regard rempli de fierté et d’admiration. Il avait bien fait de mettre toute sa confiance en cet homme. Puis, Marius appela des gardes, et leur confia Severus, Octavie et les preuves pour les amener devant la justice. Le procès dura plusieurs jours durant lesquels le couple tenta par tous les moyens de plaider leur innocence. Tous deux n’avaient jamais changé leur version. Malheureusement, le Destin avait scellé leur sort. Le juge les déclara coupables de tous les chefs d’accusation. Octavie fut condamnée à mort. Quand elle entendit sa sentence, elle s’évanouie, laissant les gardes l’emmener dans une cellule où elle attendra le jour de son exécution. Severus dût assister à la scène, impuissant, le cœur en miette de n’avoir pas réussi à la sauver. Malgré son cœur en pierre, il aimait sa femme, l’écoutant dans tout ce qu’il entreprenait, même dans les pires entreprises. Assommé, il devint complètement indifférent à la condamnation le conservant. Le tribunal le jugea complice, et le punit par l’exilium, c'est-à-dire au bannissement de la société romaine. Ainsi, le juge lui retira sa citoyenneté, ses privilèges et toutes ses propriétés. Severus allait subir le servitus. En d’autre terme, il était devenu un simple esclave. Tout comme son épouse, il se laissa amener sans aucune résistance, mais résolu à rester en ville pour assister à la mise à mort de son épouse, dernière preuve d’amour qu’il lui offrait.

Cette dernière se déroula quelques jours après, et sur la place publique installée près d’une rivière profonde. Toute la famille Junius Silanus, excepté Idylla, y assistait. Marius se tint auprès de Colinus et d’Infama, leur accordant tout son soutien. Son cousin lui en fut reconnaissant, et attendit l’arrivée de sa mère. Cette dernière arriva, installé dans une charrette tirée par des bœufs. Ses vêtements étaient en lambeaux, ses cheveux décoiffés, et son visage tiré par la fatigue. Toutefois, Octavie resta bien droite, refusant de se montrer faible devant tous les citoyens. Elle désirait conserver sa dignité jusqu’à la fin, rendant fier son époux, qui, caché au premier rang, dissimulait son identité par un long manteau. Ce dernier lui recouvrant le visage, excepté les yeux, il ne détourna jamais le regard d’elle. Ainsi, elle refusa toute aide quand il lui fallut descendre et rejoindre le pilori. Debout, elle fit face à la foule. Puis, un garde se prépara à lui bander les yeux. Avant de se retrouver aveugle, Octavie eut juste le temps de voir Severus, et lui sourit, un sourire qui ne dura que quelques secondes, un sourire qui tira à son époux une unique larme. Puis, le bourreau la déshabilla, et la fouetta de plusieurs coups. Ensuite, il l’attacha, et l’enferma dans un sac, où un serpent lui tint compagnie. Enfin, des gardes la soulevèrent, et la précipitèrent dans la rivière, où elle se noya.


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