La rébellion d'un fils
Satisfait, le dieu du Temps donna sa parole, et monta finalement sur le puissant trône, d’où il gouvernera toute chose. Il en profita pour épouser sa sœur Rhéa, nommée également Cybèle.
Fille du Ciel et de la Terre, cette déesse avait grandi grâce aux bons soins des bêtes sauvages de la forêt, à qui sa mère Titée l’avait confiée pour la protéger de son père. Femme robuste, elle portait une robe bigarrée où le vert régnait en maître, allusion à la parure du globe terrestre. Une couronne de chênes, arbre qui avait nourri les premiers hommes, ornait son front. Sur sa tête, des tours indiquaient les villes qui sont sous sa protection. La clé, qu’elle tient à la main, la rendait gardienne des trésors que le sein de Gaïa renferme en hiver, et qu’il donne en été. Eternelle voyageuse, elle vagabondait autour du monde dans un char, symbole de la Terre qui se balance et roule dans l’espace. Des lions usaient de leur force pour le tirer, indiquant qu’il n’existait rien de si farouche qui ne soit apprivoisé par la tendresse maternelle, et qu’aucun sol ne peut échapper à sa puissance féconde. Devenant l’épouse de Cronos, Rhéa dût oublier son amour pour le mortel phrygien Atys. Lui confiant son culte en le désignant grand prêtre, elle lui ordonna de prononcer un vœu de chasteté et de ne jamais le rompre. Toutefois, le jeune homme oublia d’obéir à la déesse, et épousa la nymphe Sangaride. Blessée dans ses sentiments, Rhéa fit périr l’épousée, entraînant Atys dans un désespoir sans nom, au point qu’il se mutila et tenta de se pendre. Touchée d’une compassion tardive, la déesse le changea en pin, et décida de se consacrer à son époux. Elle le fit si bien qu’elle donna à Cronos plusieurs enfants, faisant d’elle la mère des Dieux, la Grande Mère. Tout aurait pu se terminer ainsi, et le miracle de la création continuer sans heurt.
Malheureusement, le Destin ne l’entendit pas ainsi. Etait-ce pour la punir de son crime envers Atys ? Personne ne le sut jamais. Quoi qu’il en fût, il la condamna à connaître la même souffrance que Titée. Habité par la même cruauté que son père, Cronos n’avait aucune considération pour sa progéniture, et tint parole faite à son frère. De plus, avant son exil, Ouranos lui avait prédit qu’il connaîtrait le même sort que lui, se voyant renverser par un de ses fils. Ainsi, poussé autant par la crainte que par la condition de Titan, il exigea de sa femme qu’elle lui livrât tous ses nouveau-nés. Ainsi, il engloutit d’une bouchée, sans les mâcher, la majorité d’entre eux, dont Poséidon, et Hadès. Ne supportant plus ce spectacle qui lui déchirait le cœur, et habitée du même courage dont avait fait preuve sa propre mère, Rhéa se rebella. Quand elle tomba de nouveau enceinte, elle refusa que son bébé rencontre le même destin que les autres. Quand le jour d’accoucher arriva, elle se dirigea vers la Crète, et mit au monde des jumeaux, une fille qu’elle nomma Héra, et un garçon qui répondit au nom de Zeus.
La nouvelle mère confia la petite à l’Océan et à Téthys. Ces derniers promirent de la garder en sécurité auprès des divinités des Heures qui prirent soin de son éducation, cachant son existence à Ouranos. Puis, Rhéa substitua à son fils une pierre emmaillotée que son époux avala en une fraction de seconde. Ainsi, elle parvint à épargner ce sort à celui dont les pouvoirs, elle le sentait, allaient dépasser tous les autres, même ceux du dieu originel, le Chaos. Puis, la peine au cœur, mais espérant en un avenir glorieux pour sa descendance, la déesse confia Zeus aux Mélisses, deux sœurs connues sous les noms d’Ida et d’Adrastée. Ces dernières le cachèrent dans une grotte en Crète, farouchement protégée par les Curètes, de puissants et fidèles guerriers. Dès que l’enfant pleurait, ses gardiens puissamment armés cognaient de leur glaive leur bouclier avec une telle force, que personne n’était capable d’entendre ses cris. Afin de subvenir à ses besoins, ses nourrices le firent téter les mamelles d’Almathée, chèvre divine, et commandèrent aux abeilles de lui apporter du miel.
Grandissant ainsi dans la sécurité, le fils de Cronos devint fort, et assoiffé de vengeance. Se servant d’un aigle comme messager, sa mère l’instruisait sur le monde, et lui avait raconté comment ses frères et ses sœurs avaient fini dans le ventre de leur père. Désireux de lui faire payer ses crimes, Zeus réfléchit à la manière de réaliser son projet. Ce fut à ce moment précis que Métis, fille de Téthys, et du titan Océanus, dit l’Océan, lui vint en aide. Pour libérer chaque victime de la cruauté paternelle, elle lui conseilla la recette d’une puissante potion vomitive. Après l’avoir confectionnée sous la tutelle de Métis, Zeus se devait de trouver le moyen de la faire avaler au dieu du Temps. Se servant encore de l’aigle, il fit appel à sa mère, et s’organisa avec elle. Rhéa le fit donc entrer sous le toit paternel, en lui attribuant les traits d’un serviteur. Ainsi dissimulé, le fils subtilisa la coupe de vin de son père, et y remplaça le vin par sa mixture. En peu de temps, le souverain de l’univers souffrit de violents maux de ventre. Se tordant de douleur, il se mit à vomir une grosse pierre, puis tous ses enfants ingurgités, encore vivants et devenus adultes. Ainsi, Zeus parvint à faire sortir toutes les victimes de l’estomac du divin monarque, et à les amener en sécurité, loin de sa souveraine colère. Après avoir repris des forces au sein de la Crète, Hadès, Poséidon et lui, enfin réunis, déclarèrent la guerre à leur père. Elle sera connue sous la nomination de la guerre des Titans.
En effet, pour se défendre, Cronos bénéficia de l’appui de ces derniers, dont un proche parent Atlas. Ce fils du titan Japet et de l’Océanide Clymène était son neveu et le petit-fils d’Ouranos. Il était connu pour sa puissance physique, et son sens de la stratégie. Il prit donc la tête de l’armée du souverain de l’Univers, et accepta le défi. La bataille fut féroce, et ne tourna pas à l’avantage des trois fils du Temps, surtout dépassés par la force et la taille des Titans. Ainsi, malgré leurs pouvoirs, ils étaient sur le point d’être écrasés. Zeus décida de suivre le conseil de Gaïa. Commandant ses frères, il les amena au fin fond des Enfers, jusqu’au Tartare. Enfermés à l’intérieur depuis qu’Ouranos les y avait envoyés, les Géants y résidaient toujours. Afin de les délivrer, les trois dieux tuèrent leur gardienne, Campé. Par la suite, ils les engagèrent à combattre pour eux, leur promettant la liberté. La guerre des Titans reprit ainsi de plus belle, durant dix ans.
Malgré ce renfort, Zeus, Poséidon, et Hadès étaient de nouveau sur le point d’être battus, alors ils partirent de nouveau vers le Tartare. Ils se résignèrent une nouvelle fois à demander de l’aide, aux Cyclopes, également victimes d’Ouranos et de la trahison de Chronos. Au début, ces derniers refusèrent d’assister les fils de celui qui les avait laissés pourrir dans leur prison. Toutefois, quand ils apprirent que les trois frères désiraient justement défaire le dieu du Temps, ils se laissèrent convaincre. Leur assistance se témoigna dans la fabrication d’armes divines. Les Cyclopes forgèrent le tonnerre, l’éclair et la foudre pour Zeus. A Hadès, ils donnèrent un casque d’invisibilité, engendrant la peur panique dans les cœurs et les esprits. Poséidon bénéficia d’un trident, porteur de tsunamis et de tremblements de terre. Cette nouvelle alliance fut décisive. Avec ces armes et l’aide de tous leurs alliés, les trois divinités réussirent à défaire leurs ennemis, à chasser leur père du trône et de la société des Dieux. Les Titans furent envoyés au Tartare, et cette fois pour l’éternité, sous la garde des Géants,…, enfin, pas tous.
Zeus transforma Vesper, frère de Japet et d’Atlas, en astre, et plus précisément, sous la forme de la planète Vénus, connue également sous l’appellation d’étoile du berger. Cette planète prenait le nom de ce titan quand elle devenait étoile du soir au crépuscule. Brillant la nuit à l’Occident, il était ainsi condamné à apercevoir, de sa lointaine implantation céleste, la terre qui fut son domaine, les contrées connues sous la nomination des Hesperitis, qui seront appelées dans les siècles suivants Italie et Espagne. Par la suite, le nouveau souverain de l’Univers alla jusqu’à punir le dieu primordial Erèbe, qu’il précipita dans les Enfers, pour avoir tenté de sauver ses ennemis. Puis, la divinité de la Foudre réserva un sort particulier au chef de l’armée de son père, Atlas. Il le condamna à porter, avec uniquement la force de ses larges épaules, la voûte céleste, maintenant l’univers en un équilibre parfait. Jamais il ne devait quitter sa place, sous peine d’être entraîné au Tartare et y être torturé pour l’éternité. Atlas fut ainsi obligé de voir ses filles, les Atlantides, qui, sous le nom de Pléiades, se regroupaient et brillaient parmi les étoiles, grandir loin de lui, au-dessus de sa tête. De leurs côtés, issues de son union avec d’Hespéris, les nymphes du Couchant à la voix charmante et au pouvoir de métamorphose Eglé, Aréthuse et Hypéréthuse, nommées les Hespérides, désireuses de rester à ses côtés, installèrent leur jardin à ses pieds, en Mauritanie. Elles y plantèrent des pommiers aux fruits d’or, arbres mis sous la surveillance d’un dragon aux cent têtes, et dont les yeux étaient sans cesse ouverts. Un tel gardien était primordial pour protéger ces pommes porteuses de fécondité et d’immortalité, mais surtout convoitées par beaucoup. Toutefois, certains furent chanceux et parvinrent à s’emparer de quelques unes d’entre elles. Ce fut le cas de la Discorde, d’Héraclès, et d’Hippomène.
Hippomène, épris d’Atalante, l’avait défiée à la course, dont la récompense était de l’épouser en cas de victoire. En effet, princesse élevée par une ourse après l’abandon par son père, la jeune femme avait été prévenu qu’un sort funeste lui était réservé si elle épousait un homme. Ainsi, afin d’éviter le mariage, elle imposa à ses soupirants de la battre à la course, la mort étant leur récompense s’ils échouaient. Vive, elle ne perdit jamais, jusqu’au jour où Hippomène arriva. Avant de la défier à son tour, ce prince de Béotie avait supplié Aphrodite de lui venir en aide. Il avait été si suppliant que la déesse en avait été émue. Elle lui avait alors confié trois pommes d’or. Au cours de la compétition, par trois fois Atalante le dépassa, et par trois fois, il lança devant elle un des fruits. Intriguée, autant qu’amusée, sa « fiancée » perdit du temps à les ramasser. Ainsi, il réussit à franchir la ligne d’arrivée le premier, et à devenir l’époux d’Atalante. Malheureusement, les deux oublièrent d’honorer Aphrodite pour la remercier de son assistance. Afin de se venger, cette dernière leur insuffla un tel désir charnel, alors qu’ils se trouvaient au sein du temple de Rhéa, qu’ils consumèrent leur mariage directement sur le marbre froid. Outragée par un tel acte de souillure, la Grande Mère transforma le couple en lions, et les condamna à tirer son char pour l’éternité. Atlas, de sa place, en fut témoin, et encore plus d’évènements. Ainsi, il était dit qu’il se transforma en montagne, dont la plus haute cime porte son nom encore aujourd’hui, et pour la prospérité. Il devint, ainsi, au fil des siècles, le terrain de chasse préféré des Oréades, nymphes des montagnes, qui aimaient y parcourir les cimes et les pentes escarpées. Quand à Cronos, après la guerre, tous racontaient qu’il fut réduit à la condition de simple mortel par un éclair surpuissant de Zeus. Il finit par se réfugier sur Gaïa, se faisant appeler Saturne, et se morfondit dans la solitude.
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