L'adoption

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De son côté, Infama regretta de ne pas avoir freiné son énervement à l'entrée de ses cousines. Elle, qui espérait se rapprocher des deux femmes les plus importantes de la famille, voire de s’en faire des amies, venait de perdre une excellente occasion. Devant le silence qui commençait à être assourdissant, Idylla reprit la parole :

« Cousine, je vais vous laisser cette esclave à votre service en tant que nourrice. Prenez-en soin, car sans elle, votre fille, Lua, risque de tomber malade si elle ne mange pas régulièrement. Je vais lui faire installer une chambre près de vos appartements pour qu'elle soit au plus vite à son chevet en cas de besoin.

— Vous avez tout à fait raison, ma cousine. Je vous en remercie, répondit Infama d'un ton chaleureux et soulagé.

— ...

— Vous savez, je peux sembler quelque peu dépassée et énervée par les événements et vous aurez surement raison, mais..., continua-t-elle.

— Vous n'avez pas à vous justifier. Vous avez vécu un événement, certes heureux, mais éprouvant pour vous hier. C'est normal que vous en soyez éprouvée, rassura Idylla toujours enclin à excuser les autres.

— Vous avez raison encore une fois, ma chère. Sachez que je suis heureuse d'avoir mis au monde Lua. Mon mari était tellement heureux et fier qu'il n’a pas pu s'empêcher d'en parler à tout le monde et de la montrer, » ria quelque peu la mère de l'enfant nouveau-né.

Les sœurs jumelles sourirent quelque peu à ce souvenir, leur cousin, sa fille dans les bras et marchant dans toute la demeure pour leur présenter sa petite Lua. Sa femme continua cependant avec un ton désolé :

« Quel malheur que vous ne puissiez pas connaître et apporter à votre mari un tel bonheur. Je prie tous les Dieux pour que cela advienne, et que le conseil arrête d'harceler votre époux.

— Je vous remercie, cousine, répondit Idylla, qui décida de mettre fin à cette entrevue de plus en plus gênante. Nous allons vous laisser vous reposer, ainsi que Lua, qui apparemment a fini de boire, et s'est endormie. »

En effet, elle avait vu la nourrice allonger le bébé dans son lit, et veillée à son sommeil. Derrière sa sœur, la veuve de Sol fulminait de colère. Elle cencentrait toutes ses forces pour se retenir de dire ses quatre vérités à cette hypocrite. Assurément, leur soi-disant cousine avait fait exprès de rappeler à Idylla sa situation précaire, face à un conseil qui désirait convaincre son époux de se séparer d’elle, faute d’héritier. Elle se laisserait volontiers couper la main si elle venait d’entendre les vraies pensées d’Infama, comme elle était certaine que sa jumelle était incapable de penser que ces paroles ne venaient pas du cœur. Cette situation renforça la conviction de Psy qu'elle devait la protéger de cette femme, ainsi que son fils, même si elle n’avait aucune idée de son objectif. Bien qu’elle espère se tromper, elle devait tout de même le mettre en garde. Préoccupation non nécessaire, car son fils s'était lui-même rendu compte que quelque chose ne collait pas avec Infama. Elle pouvait peut-être être sincère, mais un certain malaise ne le quittait jamais, quand il était en sa présence. Ayant fini leur entrevue, les deux sœurs et Endymion sortirent donc, et laissèrent leur cousine avec sa fille et la nourrice. Dans le couloir, l’aimée de Marius sécha une larme, tandis que Psy lui prenait la main pour la réconforter.

Au sein de la chambre, la responsable de ces pleurs perdit son sourire, et son visage se ferma, alors que l’esclave alla chercher ses affaires pour s'installer dans la fameuse pièce que sa maîtresse allait mettre à sa disposition. Infama fulminait contre Endymion qui avait osé l’ignorer. Elle se sentait humilier comme jamais par un enfant de huit ans. Elle avait juste souhaité se montrer amicale et accueillante. Elle avait même compati à la souffrance d’Idylla, en tentant d’être sincère dans ses mots. Sa colère augmenta encore plus, lorsqu'elle pensa aux conseils offerts. Prendre soin de sa fille pour qu'elle soit en bonne santé… Comme si elle ne le savait pas. Contre toute attente, elle l’aimait, et la trouvait la plus magnifique entre toutes, une véritable merveille. Bien sûr qu’elle allait prendre soin d’elle, et pas seulement pour sa santé, mais aussi pour faire d'elle une grande dame.

Oui, une grande dame, se répéta-t-elle, une grande dame qui épousera un grand homme de Rome. Une idée émergea alors dans son esprit. Celle-ci ne l’avait jamais effleurée un seul instant, enfin jusqu’à maintenant. Se pourrait-elle qu’elle ait trouvé enfin sa voie ? Peut-être que sa fille réussira là où elle avait échoué… Non, non, il ne fallait pas y songer. La colère l’avait menée trop loin, essaya de se convaincre Infama, en se secouant la tête. Elle s’était promise de ne plus avoir des rêves de grandeur, ces rêves qui l’avaient amenée plus bas que terre avant qu’elle ne rencontra et se marie à Colinus. Certes, elle ne l’aimait pas autant qu’il l’aimait, mais il était un homme bon et assez puissant, bien que n’étant pas le chef de famille. Soufflant pour reprendre son calme, elle enfouit son ambition au plus profond d’elle, espérant maintenant faire amande honorable auprès d’Idylla. Après tout, pourquoi ne pas s’en faire une amie et à apprendre à mieux aimer son époux ? Elle aura surement une vie plus douce en prenant cette voie.

De son côté, la nouvelle nourrice réfléchissait. Elle était assez satisfaite de son actuelle situation, même si elle avait un peu peur de la mère du bébé dont elle avait la charge désormais. En effet, elle craignait, pour cette petite fille, un manque d’amour. Elle n’était pas certaine que cette dernière pourra beaucoup compter sur sa mère pour recevoir de l’affection. Aimant les enfants plus que tout, et toujours dans la souffrance d'avoir perdu le sien, elle se promit de tout apporter à Lua que la destinée avait mis sur son chemin.

Pendant ce temps, au sein de la salle du conseil, Marius et les membres dirigeants de la famille sortirent enfin de leur interminable réunion. Les traits tirés, le visage fermé, et les yeux injectés de sang, le chef des Junius Silanus retenait difficilement sa rage. Certains anciens avaient osé profiter de son court séjour à la campagne pour le poignarder dans le dos. Ils avaient rédigé une demande de répudiation à l'encontre de sa tendre épouse. Elle n'attendait plus que sa signature. Marius s'était mis dans une colère noire en refusant de la signer. La moitié du conseil l’avait soutenu, n'ayant pas apprécié leur procédé et leur cachotterie. L'autre moitié avait apporté leur appui aux dissidents, comprenant la nécessité de garantir une stabilité au sein de la famille. Une guerre de succession n'était pas à envisager. Ce serait préjudiciable pour la réputation et la crédibilité des Junius Silanus au sein du Sénat. Tous avaient balancé leurs arguments et contre-arguments, sans parvenir à trouver ni solution, ni compromis. Le seul qu'ils avaient tous établis fut un ultimatum. Si Idylla ne tombait pas enceinte dans l’année, Marius devra signer l'acte de répudiation. Il avait dû céder, la mort dans l’âme, pour éviter un conflit interne majeur, espérant gagner du temps, et un miracle.

Il réalisa maintenant qu’il devait à tout prix leur couper l’herbe sous le pied. Même si cela ne l’enchantait pas, et qu’il aurait aimé en discuter avec eux avant qu’il ne soit trop tard, il allait devoir mettre à exécution ses projets beaucoup plus tôt que prévu. Ceci-dit, il avait aussi la possibilité d’attendre qu’Idylla porte et mette au monde un héritier. Ses plans n’auraient plus lieu d’être. Toutefois, en accepterait-il les risques ? Il avait peur qu’un conspirateur s'en prenne à son aimée par tous les moyens qui existe, comme les poisons, les herbes contraceptives ou abortives, afin qu’elle ne soit jamais enceinte, et ainsi lui forcer la main. Il se devait de la protéger, et de devancer ses ennemis. Ignorant ses pensées, tous se dirigèrent vers la salle à manger pour prendre enfin un repas bien mérité. La mère de Lua et son époux qui était allé la chercher, se joignirent à l'assemblée, laissant leur fille au soin de la nourrice. D’ailleurs, en voyant sa cousine, Colinus la remercia pour la leur avoir attribuée, avant d'aller s'installer sur une banquette.

Durant le festin, Marius n’arrêtait pas de réfléchir, fixant sa femme. Finalement, la crainte de la perdre, ou leur futur bébé, remporta tous les suffrages. Il prit alors sa décision. Se levant, il demanda le silence, avant de la leur offrir :

« Ma chère famille, j'ai une grande annonce à faire. Comme vous avez pu le constater, depuis hier, mon épouse, ma belle-sœur et mon neveu nous ont rejoints au sein de la maison principale. J'ai pris la décision de fournir à Endymion l'éducation la plus complète, digne d'un héritier.

— Mais Marius, avec tout le respect que je vous dois, ainsi qu'à votre défunt frère, Endymion n'est pas votre fils, et vous êtes encore jeune et en bonne santé. Vous pouvez encore espérer avoir une descendance si vous déniez...

— Je vous remercie de votre intérêt à mon encontre, cher membre du conseil, mais nous en avons déjà parlé, l'interrompit Marius.

—...

— Bien, continua le chef de famille. Sachez que j'ai promis à mon défunt frère, sur mon sang, de prendre soin d’Endymion, et de faire de lui un homme accompli. A partir d'aujourd'hui, Endymion aura plusieurs précepteurs qui le guideront dans l'apprentissage du savoir, et qui le préparons à son futur rôle... celui du prochain ... chef de notre famille. »

Tous furent estomaqués. Certains suspendirent leur geste faisant tomber leur couteau sur la table. D'autres recrachèrent leur verre. Tout le monde n'en croyait pas leurs oreilles, et restait fixer aux lèvres de Marius. La seule, qui ne semblait pas plus étonnée que cela, était Idylla. Elle regarda son mari tendrement, l'encourageant à continuer. Elle l’entendit reprendre la parole :

« Du vivant de Sol, nous avions convenu d'une solution si l'éventualité d'avoir des enfants moi-même était abandonnée...Comme vous le savez tous, mon frère et moi étions jumeaux, on peut donc considérer qu’Endymion peut être de mon propre sang. »

Marius laissa un moment passé pour que les membres de sa famille prennent le temps d'assimiler ce qu'il était entrain d'annoncer. Il se tourna vers son neveu et proclama :

« Endymion ... Je compte faire de toi mon héritier légitime. Pour accomplir ce vœu, et avec l'accord de ta mère, je compte t'adopter en tant que ... mon fils. »

A ces mots, la mère du jeune garçon se leva, les larmes aux yeux. Elle s'avança vers son garçon et lui prit la main, le menant à Marius. Elle la mit ensuite dans celle de son oncle. Prenant son châle blanc, Psy l'enroula autour des deux poignets, les liant à jamais. Par ce geste, elle donnait son fils à son beau-frère, et acceptait l'adoption. Le comprenant parfaitement, Marius reprit :

« Je vous remercie, belle-sœur, de m'accorder votre confiance en me laissant adopter ton enfant. Cependant, vous restez, et resterez à jamais sa mère.

— Je sais, affirma l'intéressée. Je suis heureuse pour mon fils.

— Mais toi, Endymion, acceptes-tu ? Tu as à peine huit ans, mais je sais que tu as le don d'une grande intelligence, donc,…, je ne ferai rien si tu n'es pas d'accord.

— J'accepte cet honneur, et je vous rendrez fier de moi, affirma le jeune garçon.

— Que chaque personne ici présente en soit témoin, je m'engage devant les Dieux à adopter Endymion, et de faire de lui mon héritier, » affirma Marius avec une voix forte.

Une grande partie de la salle applaudit la nouvelle décision du chef de famille. La ligne de succession était enfin claire, et tous ceux qui avaient côtoyé l'enfant avaient foi en lui. Comment ne pas l’avoir, quand ils supposaient que ce garçon avait été béni par Minerve. De plus, une guerre interne leur était ainsi épargnée. Le plus heureux et le plus démonstratif fut Colinus qui félicita son cousin. Il encouragea Infama à suivre son exemple. Ce qu’elle s’empressa de réaliser sans réticence, le sourire aux lèvres et le cœur chaleureux. Les conspirateurs, ceux qui désiraient marier leur fille à Marius, n'en revenaient pas. Leur plan de répudiation tombait à l'eau, ainsi que leur projet de prendre le pouvoir, au travers de leur hypothétique descendant. A l’opposé, d'autres membres de la famille commençaient déjà à imaginer l’avenir. En effet, certains d'entre eux avaient des filles de l'âge d’Endymion, ou plus jeunes, susceptibles de devenir l'épouse de l'héritier, et donc du futur chef de famille. Bien sûr, il existait trois ou quatre obstacles à franchir avant d’y arriver. Le premier était d’écarter la concurrence, et ceux qui risquaient de mettre en danger leur espérance. Le second avait pour visage la mère d’Endymion. Très protectrice, Psy était très méfiante, et ne laisserait personne s’approcher de trop près son fils aussi facilement, à part sa sœur et son beau-frère. Le troisième était de prier pour qu’Idylla ne tombe jamais enceinte. Et enfin, le dernier, et pas des moindres, séduire Endymion et gagner sa confiance. Vu son intelligence et son caractère enfermé, voire glacial, ce ne sera pas une mince à faire.

De son côté, Idylla enlaça son neveu, et lui témoigna tout son soutien avant de rejoindre sa sœur. Profitant qu’elle ne le voyait plus, Marius s'approcha du feu qui brûlait dans le foyer, et brûla sous le regard de son père, fier de lui, l'acte de répudiation. Il avait décidé de ne pas en parler à son épouse. La situation était déjà assez difficile et douloureuse pour elle. Il savait que la blessure sur son cœur, de ne pas devenir mère et lui donner un héritier de son sang, la brûlait au fer rouge. Toutefois, il existait encore de l’espoir, car elle était encore jeune.

Après toutes ses émotions, l'assemblée finit de manger et repartit vers leurs activités de l'après-midi, Idylla et Psy à l'organisation de la maison, Endymion au début de ses études, et Marius à ses papiers pour l'adoption et aux affaires de la famille. Ainsi, une journée riche en émotion se termina, que ce soit pour le monde des Mortels, ou pour celui des Dieux. Mars conscient de devoir prendre une décision lourde de conséquences, Himéros et Cupidon connaissant leur programme pour les années à venir, et Endymion... Endymion, heureux d’avoir trouvé un père, et enfin libre de montrer ses sentiments, seul dans son lit, laissa une larme de joie coulée sur sa joue à la nuit tombante. Nyx recouvrant Terra, Diane leva la lune sur une terre remplie de complots, mais aussi d'espoirs.

Passant au dessus d’une luxurieuse villa romaine, l'astre lunaire perça de ses rayons argentés les rideaux d'une chambre où dormait un couple endormi. L'homme, couché contre le dos de sa femme, l'enlaçait, sa main posée sur son ventre à l'emplacement exact où un phénomène des plus extraordinaires se produisait, la création de la vie. Ce miracle, encore plus petit qu'une pointe d'aiguille, s'avançait vers le matelas douillet que la matrice maternelle avait créé, tout spécialement, pour l'accueillir. Il s'y logea, et attendit que ce lit l’englobe pour le protéger, au chaud, de tous les dangers. Au bout de quelques semaines, le gardien de la Porte des Enfers, Cerbère, puissant de l’ouïe la plus fine de l’univers, sera témoin du premier battement de cœur, un cœur qui ne devrait plus s’arrêter jusqu’à ce que les Parques coupent son fil de vie.

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