Joyeux Noël ouais, Joyeux Noël
Joyeux Noël ouais, joyeux Noël. Comme tous les ans, la frénésie compulsive, les flashs de promos dans la rétine, la masse qui fait office de dinde et se fait fourrer par les gros poignets velus du Capitalisme au nom d'un mec nommé Jésus. Tout ça tout ça, très peu pour moi. J'avais pour projet au soir de Noël de m'envoyer de la vodka bon marché avec quelques potes dans quelques bars de la ville, c'est pas bon de bousculer précipitamment ses habitudes, mais au moment de préparer mon expédition, ma mère m'a envoyé un texto. C'était rien du tout, j'étais pas obligé d'y aller, et puis quoi, j'ai fait un effort, j'ai écouté pour une fois, j'ai dit non à mes potes, pas de beuverie ce soir j'ai la nausée, et un peu à contre coeur faut bien l'avouer, j'ai pris la route pour partager un moment avec les miens histoire d'apaiser ma conscience. Bonjour Papa, salut maman, Joyeux Noël fiston, ouais, Joyeux Noël. Les bétisiers débiles à la télévision, les questions toujours aussi barbantes, quelques toasts engloutis qu'on pousse avec un blanc doux débouché pour l'occasion, les textos envoyés au coin du feu à une petite blonde à qui j'aimerais faire sa fête, les anecdotes humiliante sur ces fois où étant gosse je chialais d'épouvante à la moindre vue d'un piètre barbu de grande surface habillé en rouge et blanc, et puis vient l'heure de dîner. Les petits plats dans les grands, les bougies, les paillettes sur la nappe, tous ces trucs à la con, Joyeux Noël ouais, Joyeux Noël. Les hommages aux talents culinaires de ma mère, quelques discours pathétiques de ma merdeuse de soeur sur la tournure que prend le monde, ses idées utopiques et son empathie pour les pauvres, elle qui est mariée à un mec qui porte une Rolex au poigné avant même ses quarante ans, elle qui lâche un SMIC par an en U.V et se targue d'avoir envoyé un chèque de cent euros aux restos du coeur, bref, les conneries allant bon train, les minutes semblaient toutes aussi engourdis que la neige qui somnolait sur la plaine au dehors, puis les douzes coups de minuit sont venus clouer le bec à l'assemblée, laissant place à l'excitation ennuyeuse et puérile qui suit d'ordinaire les comptes à rebours. On a déposé à coté de moi de petits paquets cadeaux, j'ai trouvé ça niais et gênant, j'avais débarqué les mains vides et j'avais rien demandé à personne. J'ai fais comme les autres, je les ai ouverts. Deux paquets de clopes, des caleçons et deux lots de paires de chaussettes. Dans l'élan de la surprise j'ai instinctivement porté mon regard sur les yeux de ma mère. J'y ai vu l'étincelle prête à faire flamber les extravagants dessus de table, j'y ai vu la tendresse égarée dans les sentiers oubliés de l'enfance, et cette notion qui vous frappe quand vous revenez essuyer vos pieds sur le paillasson poussièreux des souvenirs du temps passé, la sincérité des sentiments, l'authenticité palpable d'un coeur qui vous a donné la vie. Je me suis surpris à sourire pour de vrai, voyez la nuance, surpris de sentir tout mon être fondre devant quelques yeux aux éclats vifs et bienveillants, touché par un geste anodin, et tout aussi subliminal. Une goute chaude est venue glisser sur ma paupière d'homme devenu si sèche, un témoignage aux gens que j'aime, façon pudique de leur dire ces choses là. J'ai alors compris tout le sens de ce jour spécial. Les paillettes, Les Phillip Morris, toutes ces parrures légères pour embellir la forme n'étaient que chandelier d'une bougie qui illuminerait les trésors d'un vieux grenier, ce qui importait au fond, c'était le fait qu'on soit tous là, réunis entre les mots futiles et les sourires esquissés du bout des lèvres, pour une fois, pour un instant. J'ai compris ce qui nous animait tous, moi, vous et les gens du monde entier, et qu'il fallait parfois des dates pour pouvoir s'en rappeler.
J'ai embrassé mes vieux, ça faisait si longtemps. Joyeux Noël mon fils. Joyeux Noël.
Une de ces nuits légères qui savent transporter les coeurs lourds.
Soyez heureux. Privilégiez l'être à l'avoir.
Joyeux Noël à tous.
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