Capitaine Espérance

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Je regardais Juliette passer les grandes grilles métalliques du couvent avec ses nouveaux parents. Ils étaient arrivés le matin, et d'après Sœur Louisette ils étaient tombés sous le charme de sa bouille d'ange. Juliette n'avait pas une bouille d'ange, juste de longs cheveux blonds. Et puis elle était bête comme ses pieds, elle ne savait rien faire c'était toujours moi qui passais derrière elle ! La cuisine, le ménage, l'Office ! Tout, elle ne savait rien faire correctement ! Les Sœurs répétaient que c'était normal, elle était jeune et nouvelle. C’étaient des excuses, elle était juste mauvaise ! Finalement, c’était tant mieux qu'elle soit adoptée, maintenant j'avais la chambre pour moi toute seule et je ne l’entendrai plus pleurer toutes les nuits parce que ses parents sont morts. Elle devrait être contente, elle en avait eu des parents ! Moi on m'avait laissé aux sœurs quand j'étais bébé ! Des parents j'en n’ai jamais eu …

« Espérance ! Il est l'heure de préparer le repas, peux-tu venir aider tes camarades au lieu de rêvasser ?
— Oui sœur Thérèse.
— Et sans traîner les pieds. »

Je jetais un dernier regard à l'entrée, la grande grille était fermée et la voiture noire avait disparu. Juliette avait quitté l'orphelinat, elle avait trouvé une famille même si elle était nulle et qu'elle pleurait tout le temps. Je ne devais pas déprimer, moi aussi je me trouverai une famille, et même qu'elle sera mieux que celle de Juliette !

***

« Espérance, ce soir tu ne fais pas la vaisselle avec les autres, une nouvelle jeune fille arrive. Elle s'appelle Sandra et dormira avec toi. Je te laisse le soin de préparer son lit et la chambre pour l'accueillir comme il se doit.
— Bien sûr, Sœur Thérèse.
— Sœur Louisette a mis les draps propres sur le lit. »

Déjà une nouvelle fille ? J'aimais bien dormir toute seule. Alors que je montais les escaliers en pierre, j'imaginais à quoi pouvait bien ressembler cette nouvelle. J'espérais qu'elle était gentille et qu’elle ne pleurait pas tout le temps.

Arrivée dans la chambre je commençais à passer le balai, puis je m'attaquais aux poussières et enfin aux vitres. Ça devait briller, c'était la règle. J'attrapais la taie et l'enfilais sur l'oreiller en plume. Puis je soulevais le matelas pour y mettre le drap-housse. Intriguée, j'arrêtais tous mouvements et regardais attentivement le centre du sommier. En plein milieu du tapis métallique était posé un livre, aussi grand que les évangiles de Sœur Christiane, aussi épais que le missel de la messe. Je retirais le matelas et le posais par terre avant de me jeter sur l'ouvrage. Vingt mille lieues sous les mers, Jules Verne.

Qu'est-ce que ce livre faisait ici ? On n’avait pas le droit d'avoir d'affaires personnelles, la possession personnelle pousse à la jalousie et la violence, Sœur Thérèse était très stricte à ce sujet. Même les plus jeunes devaient se séparer de leur doudou en arrivant au couvent. Alors un livre, qui n'est pas donné par les Sœurs, c'était un coup à être punie d'une semaine chez les Cisterciennes. Je devais le donner aux Sœurs avant qu'on pense qu'il est à moi. C’était probablement Juliette qui l'avait caché ici, nulle jusqu'au bout celle-ci !

Je posais le livre sur ma table de nuit et finissais le lit rapidement. Tout était en ordre pour l'arrivée de la nouvelle, il ne manquait plus qu'elle. J'attrapais le livre et jetais un œil à la pendule. Il restait une grosse demi-heure avant les Complies, et personne ne viendrait me chercher avant.

Peut-être que je pourrais lire un peu ? Non c'était interdit d'avoir des objets personnels, et j'avais aucune envie d'aller faire une semaine chez les Silencieuses. En même temps, ce livre n'était pas à moi, mais à Juliette. Moi je l'avais juste trouvé, ça ne voulait pas dire qu'il m’appartenait.

Je m'installais sur le lit et ouvrais le livre avec excitation. Je dévorais les premières lignes, avide d'en savoir plus sur ce cétacé phosphorescent.

***

« Espérance, est-ce que tout va bien ?
— Oui ma Sœur, pourquoi ?
— Tes camarades m'ont rapporté que tu passes beaucoup de temps aux toilettes ces derniers temps. S'il y a quoi que ce soit il faut me le dire.
— Je suis juste un peu encombrée, rien d'alarmant je vous l'assure.
— Si cela persiste, il faudra tout de même s'en inquiéter.
— Oui Sœur Louisette. »

J'avais menti à Sœur Louisette, la seule gentille dans ce couvent, je me sentais honteuse. J’espérais que le seigneur me pardonnerait. Pour mon mensonge et pour ma lecture. Tous les soirs, je me dépêchais de terminer les tâches ménagères avant de m'enfermer aux toilettes pour lire une quinzaine de pages. Je m’évadais l'espace de quelques pages du couvent pour rejoindre le capitaine Némo et son Nautilus. On partait à la rencontre de l'océan et ses secrets. Alors que j'aurais dû le donner aux Sœurs, j'avais cousu une poche pour le cacher sous ma robe et le garder près de moi. Méduses, Calamars géants et autres monstres du fond des mers apparaissaient devant mes yeux à chaque fois que j'ouvrais l'ouvrage. J'étais devenue dépendante de ce livre, je ne vivais que pour m'enfermer dans les toilettes avant les Complies. C'était un pécher, je le savais très bien mais je ne pouvais pas m'en empêcher.

***

« Je ne comprends pas pourquoi Espérance s'obstine à venir voir les nouveaux parents, c'est sûr qu'elle ne sera jamais adoptée. »

Alors que Pierre Aronnax venait de découvrir l’Atlantide et me prenait par la main pour me faire découvrir ce monde disparu, je levais les yeux des pages du roman. Qu'est-ce que ma nouvelle compagne de chambre racontait ?

« Sandra, tu ne devrais pas dire ça. Si les Sœurs t'entendent tu risques de te faire réprimander.
— Oh tout de suite ! Franchement, vous ne trouvez pas qu'elle est ridicule ? Depuis qu'elle est née elle est au couvent, combien de famille se sont intéressées à elle ? Aucune. Pourquoi ? Parce qu'elle est laide. »

Je me sentis bouillir intérieurement, comment osait-elle dire que j'étais laide !

« Elle a beau tresser ses cheveux et porter une robe mignonne, rien ne changera au fait qu'elle ressemble à un monstre avec sa cicatrice en travers du visage ! Personne ne veut d'un enfant aussi moche ! Elle devrait l'avoir compris depuis toutes ces années ! De toute façon j'ai entendu Sœur Madeleine, dès qu'elle aura ses règles elles l’enverront dans un autre couvent pour qu'elle devienne Sœur. Elle n'aura jamais de famille. »

Je refermai le livre, cette vieille bique allait me le payer ! Je sortis en furie des toilettes et me jetai sur cette vermine.

« Je ne suis pas moche, je suis unique sale garce ! »

Je l'avais plaqué au sol et je lui tapais dessus de toutes mes forces avec le livre. Plus elle criait, plus je la frappais avec vigueur. Sans comprendre ce qui se passait, je sentis deux bras m'attraper par la taille.

« Et moi aussi j'aurai une famille !
— Espérance qu'est-ce donc que ce comportement ! »

Je levais les yeux larmoyant vers Sœur Thérèse.

« Elle a dit que je ne serai jamais adoptée parce que j'étais moche !
— Ce n'est pas une raison pour vous battre ! Qu'est-ce- »

Je vis son regard se porter sur le livre. J'entrepris de le cacher dans mon dos, mais Sœur Thérèse fût plus rapide et l'arracha de mes mains.

« C'est donc ça que tu faisais dans les toilettes !
— C'est-
— Tu essaies de te justifier en plus ! Je pense que tu connais les règles du couvent et ce que cela implique de les transgresser. Alors maintenant tu vas monter en silence préparer tes affaires, Sœur Louisette va t'accompagner chez les Cisterciennes et tu les aideras dans leur travail pendant une semaine. Je ne veux pas de discussion. »

Je vis Sœur Louisette m'attendre à l'entrée des toilettes, je la rejoignis à contrecœur prenant soin d'éviter de croiser mon reflet dans le miroir. J'allais passer une semaine dans le silence total et en plus j'avais perdu mon livre, mais je ne pouvais pas laisser dire n'importe quoi dans mon dos.

***

Un mois que j'étais rentrée, mais finalement je n'étais pas beaucoup plus bavarde que quand j'étais chez les Cisterciennes. Les rumeurs étaient allées bon train pendant mon absence et tout le monde m'évitait. J'avais obtenu une chambre toute seule parce qu'aucune fille ne voulait se retrouver seule avec moi.

Aujourd'hui il y avait une famille qui était là, j'avais tressé mes cheveux et enfilé ma jolie robe. Ils étaient trois, un homme et deux femmes. L'une d'elle était en fauteuil roulant. A peine arrivés toutes les gamines leur sautèrent dessus, comme d'habitude. J'essayais de m'approcher et me pris un coup de coude dans les côtes. Je devais me faire une raison je pourrais pas m'approcher d'eux. J'avais plus qu'à espérer que la petite Reine Sandra soit prise pour que je passe des jours plus doux.

Je m'installais dans un coin de la pièce et attrapais de quoi dessiner. C'était assez rare qu'on puisse le faire, alors quitte à ne pas pouvoir avoir une place de choix auprès des nouveaux parents, autant en profiter.

« Qu'est-ce que tu nous dessines ? »

Je sursautais, surprise que quelqu'un puisse m'interrompe dans mon dessin. Mes yeux tombèrent sur la femme en fauteuil.

« Atlantide Madame.
— Oh je vois. Tu t'intéresses à l'archéologie ?
— Pas vraiment madame, juste à la mer.
— Qu'est-ce que tu aimes dans la mer ?
— Je ne sais pas bien madame, je n'y suis jamais allée.
— Comment tu t'appelles ?
— Espérance, Madame.
— Alors Espérance tu peux déjà arrêter de m'appeler Madame et m'appeler Jeanne.
— D'accord Jeanne.
— Quel âge as-tu ?
— J'ai dix ans.
— Dix ans ! Mais tu es une grande fille ma parole ! Depuis combien de temps es-tu ici ?
— J'ai toujours été ici. On m'a déposé au couvent quand j'étais bébé. Les filles disent que si je n’ai pas été adoptée c'est parce que je fais peur avec ma cicatrice.
— Bah voyons, ce n’est pas très intelligent tout ça.
— Je leur ai dit qu'elles avaient tort, Sœur Louisette dit toujours que ma cicatrice me rend unique.
— Elle a bien raison cette Sœur Louisette. Tu veux faire quoi quand tu seras grande ?
— Exploratrice ! Je serai capitaine d'un sous-marin et je visiterai l'océan ! »

Jeanne se mit à rire et prit ma main dans la sienne. Elle m'avoua qu'elle adorait les baleines et commença à me raconter ses aventures en bateau.

***

« Tu es sûre qu'il n'y a personne à qui tu veux dire au revoir ? »
Je refusais d'un signe de tête, malgré toutes les années que j'avais passé ici je n'avais pas de copine.

« Bon, j'imagine que c'est l'heure de te laisser rejoindre ta nouvelle maman.
— Jeanne, elle préfère que je l'appelle Jeanne.
— Oh très bien, Jeanne alors. Ça va nous faire tout drôle de ne plus t'avoir avec nous tu sais. Oh avant que j'oublie. »

Sœur Louisette fouilla dans sa robe et en sortit le roman de Jules Verne.

« Je crois que ceci est à toi, c'est mon dernier cadeau pour toi jeune fille. Sœur Thérèse l'avait caché dans son bureau, je pense qu'elle ne va pas être très contente de découvrir que quelqu'un l'a dérobé. Profite bien de ta nouvelle vie, et j'espère que la grande exploratrice que tu seras repassera nous dire bonjour de temps à autre. »

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