Respire
Lili s'arrêta sur le bas côté le temps de jeter un œil à sa montre. 00H14. Depuis combien de temps marchait-elle le long de la route, espérant qu'une voiture vienne se garer à quelques mètres et accepte de l'amener jusqu'à la prochaine ville ? Elle ne savait plus. Tout comme elle était incapable d'expliquer ce qu'elle foutait ici. La batterie de son portable était à plat, évidemment. Elle ne pouvait compter que sur elle-même.
Elle avait depuis longtemps retiré ses talons pour marcher pieds nus sur le goudron. Son collant était effilé jusqu'à sa taille et sa jupe remontait sur ses cuisses, plaquée tout contre son corps dans la chaleur moite de l'été. Elle ne comprenait pas ce qu'elle foutait ici, au milieu de nulle part, seule, dans la nuit la plus noire qu'elle ait jamais connue.
À 00H48, elle apercevait enfin un rayon de lumière dans les ténèbres. Elle crut d'abord à une maison, puis à une voiture. À un signe de vie quelconque. Ce ne fut rien de tel, pourtant, et elle s'en rendit compte en approchant : une putain de cabine téléphonique.
Lili faillit presser le pas, ne pas s'attarder dans cet endroit étrange avant de prendre conscience d'un point important. C'était un téléphone. En marche vu la lumière de ses néons. Elle s'arrêta donc et poussa la porte grinçante pour se glisser dans la cabine. Elle devait appeler son frère, il pourrait sûrement venir la chercher. Mais où était-elle ? Elle n'en avait aucune idée. Et comment fonctionnait cette satanée machine ? Elle ne savait pas non plus. Dépitée, elle reposa le combiné et laissa ses doigts s'attarder sur le vernis rouge.
Driiing. Driiing.
Lili sursauta alors que le téléphone émettait sa sonnerie stridente. Comment c'était possible ? Elle n'en revenait pas. Quelqu'un essayait d'appeler une cabine téléphonique au milieu de nulle part… Mais qui ? Elle était pratiquement sûre que, comme elle, personne ne savait où elle était à cet instant.
La peur au ventre, elle laissa la sonnerie s'arrêter, retenant son souffle. Elle se permit un soupir de soulagement alors que le téléphone cessait de crier. Puis, tandis qu'elle posait ses doigts fins sur la porte, prête à sortir et reprendre sa longue route, la sonnerie retentit à nouveau. Dépassée et choquée, Lili décrocha le combiné et le posa contre son oreille.
D'abord, il n'y eut aucun bruit. Ensuite, alors qu'elle se concentrait, elle perçut une respiration lente, un souffle glacé qu'elle crut sentir sur sa joue. Son cœur commença à battre plus fort et l'air à lui manquer.
« Lili… »
De nouveau, elle sursauta tandis que son cœur loupait quelques battements. Cette voix… elle était familière mais loin d'être rassurante. Elle la pétrifia sur place.
« Profite bien de ton frère, ma jolie. Bientôt, nous devrons vivre sans lui. »
Elle aurait voulu reposer le combiné, se persuader qu'il s'agissait d'un vilain cauchemar mais elle n'était plus sûre de rien. Elle sentait qu'elle ne pouvait pas échapper à cette conversation, qu'un lien étrange l'unissait à la voix qui l'appelait.
« N'oublie pas, Lili : dans cinq ans, tu seras moi. Tu n'y échapperas pas. »
Le murmure se transforma en rire effrayant, pas plus fort qu'un chuchotement, qui sembla résonner à l'intérieur même de son crâne avant d'être remplacé par un bip sonore. L'autre avait raccroché. Combien de temps s'était écoulé ? Elle avait l'impression d'être là depuis heures, à écouter cette voix terrifiante, à attendre la sentence. Quelques secondes à peine, pourtant, avaient suffi à laisser Lili plus effrayée, plus seule qu'elle ne l'avait jamais été. Il lui semblait même sentir autour de sa gorge les mains glacées de son destin. Qu'allait-elle devenir ? Elle faisait si peur à entendre. Néanmoins, elle ne pouvait pas fuir. Il n'y avait aucune échappatoire. Elle ne pouvait rien faire.
Lili respira donc profondément et embrassa la fatalité. Cinq ans... c'était tout ce qu'on lui donnait.
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