Let me be the one to hold you
Je reste au début sans voix, je ne comprends pas le lien entre ce que je lui ai raconté et cette histoire de secte.
« Développe.
- J’appellerai plutôt ça une communauté.
- Mais encore ?
- Attends je réfléchis à ce que je vais dire. »
Elle me fait attendre encore un peu avant de se lancer dans une explication. Je confirme, elle devait choisir les bons mots pour ne pas me faire stresser.
« Je pense que ça n’a pas de rapport avec Charlotte et Nathaniel, mais je sentais que c’était le moment pour te parler de ça. Tu sais, j’ai gardé contact avec plusieurs personnes du collège, qui sont maintenant dans ton lycée. C’est Lisa Bodon qui m’en a parlé parce que l’un des gars du groupe voulait la recruter. Il lui a déballé des trucs assez fous, et tu peux me croire, Lisa ne mentirait jamais sur ce sujet. Il a dit qu’en gros il s’agissait d’un empire avec un empereur et deux généraux. Et le délire, enfin ça c’est le résultat de mes petites recherches, c’est que les garçons ont tout le pouvoir et que les filles sont soumises.
- Dans le sens que je pense ? dis-je, la gorge nouée.
- Dans le sens que tu penses. »
Je prends quelques minutes pour digérer l’information. Je n’arrive pas à comprendre que ce genre de pratiques puisse attirer des gens.
« Tu sais combien ils sont ?
- Non. Mais si tu veux une petite idée de la chose, je dirais une dizaine de gars et, au prorata, deux ou trois fois plus de filles.
- Sérieusement... »
Je soupire en espérant que Nathaniel ne fasse pas partie de ce groupe. Je le trouve trop gentil et trop démonstratif avec Charlotte pour juste en faire son esclave sexuelle. Le mot me dérange même sans le prononcer, alors j’éviterai toujours de le dire, c’est presque impensable. Le problème, c’est que seulement deux moyens s’offrent à moi pour savoir si Nathaniel est impliqué dans ces histoires.
« Nathaniel…
- Je t’ai dit que je ne pensais pas qu’il en faisait partie, Amélie. Ne te préoccupe pas de ça, on veut juste savoir que Charlotte se sent bien, et si elle le dit, moi je lui fais confiance.
- Peut-être qu’elle n’est pas au courant qu’il en fait partie.
- Je ne crois pas.
- Peut-être qu’il a trouvé des moyens de pression sur elle pour ne pas qu’elle en parle ou qu’elle le quitte. Peut-être qu’elle l’aime tellement qu’elle n’ose pas en parler.
- C’est très peu probable, je t’ai dit. Si Nathaniel fait partie de la secte, il en aurait parlé à Charlotte et ils ne seraient plus ensemble depuis le début.
- Peut-être qu’il lui a présenté comme un jeu. Un jeu de rôle. »
Je vois le regard de Cléophée se perdre quelques instants avant de revenir sur moi à travers la caméra. Je m’efforce de mettre mon t-shirt dans mon pantalon en attendant sa réponse.
« C’est possible.
- Mais comment le savoir ? je continue. Je viens d’y réfléchir et deux choses se présentent. Soit, et c’est l’option la plus sensée mais la plus inconcevable pour moi, attendre que Charlotte nous en parle et cela pourrait arriver seulement après… qu’il lui ait fait du mal.
- Je refuse. Donne-moi ta deuxième option.
- Il faut trouver cet « empereur », l’obliger à dire que Nathaniel fait partie de la secte, et le forcer à libérer Charlotte de son emprise.
- C’est insensé.
- Trouve mieux et je te suivrai.
- Obliger Nathaniel à avouer à Charlotte et lui ordonner de la quitter.
- Le problème, c’est que Charlotte le prendrait très mal et ne nous ferait pas confiance, on risque de vraiment la perdre. J’y ai aussi pensé, mais l’ordre doit venir de l’intérieur.
- De l’intérieur ?
- De l’intérieur du groupe. Et l’« empereur » est la personne la mieux placée pour faire plier et obéir Nathaniel.
- Ça me paraît de moins en moins faisable. Comment comptes-tu faire, reprend-elle, pour trouver l’« empereur » ?
- Je vais commencer par parler à Lisa Bodon. J’irai la voir demain matin. Ensuite, si elle ne sait pas, je vais demander à des gens au hasard s’il ne sont pas au courant de quelque chose par rapport à Nathaniel. Si un gars le défend trop ou alors laisse échapper quelque chose, j’aurais une petite idée. C’est très vague mais je saurais bien viser, j’espère. Il faut quelqu’un qui a du charisme. Un gars, c’est sûr, et qui a une certaine autorité, une certaine prestance.
- J’ai pas tout suivi, mais je peux t’aider à présenter des hypothèses. Tu as encore du temps devant toi ?
- T’inquiètes pas Féfée, ce soir mes parents ne rentrent pas pour le repas, je peux te garder avec moi pendant que je mange. »
Je descends dans la cuisine pour me préparer un petit repas, même si je n’ai vraiment pas faim. J’appuie mon téléphone sur la bouteille d’eau pour que ma chaise soit en direction de la caméra. Je m’éloigne du champ de vision de Cléophée et y reviens quelques minutes après pour manger.
« Depuis combien de temps sais-tu que la secte existe ?
- Depuis la fin d’année dernière, mais Lisa m’a donné quelques précisions là-dessus. En fait, l’« empereur » l’aurait créée avec ses deux généraux au collège, il y a trois ans. L’un avait le même âge et il était en troisième, et l’autre était plus jeune d’un an, donc était en quatrième.
- C’est si jeune…
- Au début il semblerait que c’était simplement un petit délire entre potes, mais ça a pris de l’ampleur au lycée. Il y a deux ans. Je dirais que les trois principaux piliers de la secte sont donc en terminale et en première pour le troisième.
- Donc je côtoie leur « empereur » depuis plus de deux ans, et peut-être plus, sans savoir qu’il est impliqué dans une organisation comme celle-là ?
- C’est ce que je crois. »
On discute tout le long de mon repas, mais j’ai juste l’impression qu’on tourne en rond. Peut-être même que Nathaniel ne fait même pas partie de cette petite communauté.
« N’essaye pas de jouer à l’héroïne, Amélie, me met en garde Cléophée après que je lui ais présenté quelques idées.
- Ce serait ridicule de sauver seulement Charlotte et de laisser une vingtaine de filles dans la souffrance sans qu’elles puissent se confier !
- Je te jure que si tu te mets en position où tu ne peux que être blessée, je te tue.
- Ça n’arrivera pas Féfée. Je sais très bien que je ne peux pas sauver tout le monde, je vais me concentrer sur Charlotte.
- Bon, du coup on reste sur le fait qu’il faut que tu parles avec Arthur, Louis, Gaétan, Ariel et Damien ?
- Oui. Après avoir parlé avec Lisa, ça va être ma mission du jour demain. »
On s’est quittées quelques minutes plus tard, après presque deux heures de FaceTime. Je met quelques affaires dans mon sac pour le lendemain et me couche, la tête emplie de question. J’ouvre les yeux plusieurs fois dans la nuit, lorsque mes parents rentrent enfin et à cause de cauchemars idiots qui me font me réveiller en sursaut. Je n’ai jamais demandé à être poursuivie par un rhinocéros alors que je ne peux pas décoller en deltaplane.
Le lendemain, à la récréation de dix heures, je cherche Lisa que je finis par trouver au milieu d’un groupe de filles. Le temps est charmant, et je trouve ça plutôt ironique pour une journée comme celle-ci.
« Salut ! C’est bien toi Lisa ?
- Oui… et toi c’est Amélia c’est ça ?
- Juste Amélie. Je peux te parler seule à seule deux minutes ?
- Bien sûr. Je reviens les filles. Tu me voulais quoi ? me demande-t-elle après qu’on se soit éloignées.
- Je suis désolée si je te parle de ça maintenant, mais je voulais savoir si tu avais d’autres renseignements sur le groupe qui a voulu te recruter la dernière fois. Tu sais… l’« empire ».
- Ah, je vais te dire tout ce que je sais, je n’ai rien à cacher. Tu as du en entendre parler par Cléophée. »
Je hoche la tête affirmativement et l’écoute attentivement. Je lui demande des précisions sur l’« empereur », mais elle ne peut me dire son nom. Alors, je lui parle de ce garçon qui lui avait exposé la chose en lui proposant de se joindre à eux.
« Tu sais qui c’est ?
- Non, je ne connais pas du tout son nom. Mais je pourrais peut-être te le montrer si je le reconnais.
- J’ai une petite idée. Je vais te montrer un gars tu me diras si c’est lui.
- Je te suis. On aura fini après ça ?
- Oui oui, je vais pas te voler indéfiniment à tes amies. »
Je dois vérifier s’il ne s’agit pas de Nathaniel. Au fond de moi, je sais que c’est probable mais je n’espère pas. Je cherche Charlotte du regard, son sac rouge est visible à des kilomètres et elle n’est jamais loin de son amoureux. Je les trouve en une minute et je montre Nathaniel du doigt à Lisa et elle n’hésite pas à me renseigner.
« Oui. C’était lui. C’est sa copine à côté ?
- Ne m’en parle pas… merci Lisa. Tu m’aides beaucoup. »
Elle s’éloigne sans demander plus de précisions et je me retourne pour me diriger vers un banc libre. Je m’assois lentement. Mon cœur, qui s’était emballé, me semble ne battre plus qu’une fois par minute. Je souffle un grand coup pour me calmer. J’ai vraiment peur pour Charlotte. Et si elle n’était pas encore au courant ? Et si elle prenait ça pour un jeu ? Et si elle en avait déjà fait les frais ? Je sens quelques larmes perler au coin de mes yeux et j’essaye en vain de me reprendre.
« Ça va Amélie ? me dit une voix un peu grave que je reconnaîtrais entre mille. »
Je sèche les quelques larmes qui coulaient sur mes joues rougies, et tente de réguler ma respiration. Je connais Ariel depuis un peu plus d’un an, et on a passé énormément de temps ensemble l’année dernière, étant donné on était dans la même classe. Cette année, nous avons seulement les cours de langues en même temps. Malgré la courte amitié qui nous a liés, il est sur la liste des gens que l’on soupçonne avec Cléophée, alors je ne lui fais pas confiance. Je ne pense pas du tout que ce soit lui, et j’en serais très déçue. Je n’ai jamais eu de sentiments pour lui mais il est certain qu’il me fait un certain effet. Je lève les yeux vers lui et m’oblige à afficher un petit sourire sur mon visage. Il me regarde de haut en bas, s’assoit à côté de moi et plante ses yeux dans les miens. Ses cheveux châtains avec ses magnifiques boucles sont à la merci du vent. Ses yeux verts tirant sur le gris m’ont toujours fascinée. Ce gars est juste beau. Je baisse la tête en lui répondant, je suis censée être très timide.
« Oui ça va.
- J’ai du mal à le croire. Tu n’as pas de problèmes avec tes amis ou ta famille au moins ?
- Non ne t’inquiètes pas. Je… »
Je me redresse un peu et le regarde à nouveau dans les yeux.
« Je voulais te demander quelque chose.
- Dis toujours, si je peux te renseigner je le ferais avec plaisir. »
Ses lèvres s’étirent en un sourire et je commence. Je lui parle de la secte et de ce que j’en sais rapidement, sans rentrer dans les détails et sans en parler mal. Je lui décrit comme un délire de potes, et je fais attention à tous les petits changements d’expression de son visage. Je lui demande alors s’il sait si Nathaniel en fait partie. Les révélations de Lisa m’ont extrêmement aidée pour cette partie de l’interrogatoire, car je sais que s’il me dit qu’il est certain que le garçon n’en fait pas partie, il est lié à l’« empire ». Alors qu’il réfléchit, je prie pour qu’il me dise qu’il n’a jamais entendu parler de ça. Mais je n’ai pas fait d’erreur dans mon discours.
« En effet, j’ai entendu dire qu’il s’agissait d’un délire entre potes et pas de quelque chose de grave. Tu n’as pas à t’en faire, même si Nathaniel en faisait partie ça ne poserait aucun problème. Mais en plus de ça, il n’en fait pas partie. Je connais quelques personnes, qui ne m’ont jamais parlé de lui. En plus j’ai déjà discuté de ça avec lui, et il m’aurait sans aucun doute dit qu’il appartenait à cet « empire », ajoute-t-il en faisant le signe des guillemets avec ses doigts.»
Je le remercie de m’avoir accordé un peu de temps et me lève, décidée à aller voir Nathaniel et lui poser des questions sur Ariel. Je pense que mes yeux sont toujours un peu rouges, mais Charlotte ne réagira pas de toute façon. C’est un poison ce gars. Je lui demande si l’on peut parler deux minutes seulement tous les deux et il accepte, demandant à Charlotte de ne pas bouger avant qu’il ne revienne.
« Est-ce que tu as déjà discuté avec Ariel de l’« empire » qui regroupe quelques personnes au lycée ?
- L’« empire » ? Non j’en ai jamais entendu parler… c’est quoi ? »
Ariel, je te tiens. Nathaniel, par contre, tu n’es vraiment pas très futé.
« Je ne sais pas en fait… je me disais peut-être que tu connaissais.
- Vraiment, je n’ai jamais entendu ce nom. Je suis désolé de ne pas pouvoir t’aider.
- C’est pas grave du tout, tu m’aides quand même en ne sachant rien. »
Je suis très déçue d’Ariel. A présent, j’espère que l’esprit de déduction de Cléophée et le mien ont raison, et qu’il est bien cet « empereur ».
Je suis partie du lycée après avoir un peu mangé à midi et je suis rentrée chez moi. C’est sur le trajet que j’ai réalisé qu’Ariel habitait dans la rue juste avant la mienne, et que je faisais la même route que lui chaque matin et chaque soir, du moins lorsqu’on avait les mêmes heures de cours. Par chance, je suis persuadée qu’il ne sait pas où se trouve ma maison, contrairement à moi. Ce sera peut-être plus facile de mettre mon plan à exécution.
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https://www.youtube.com/watch?v=U8ai37gFvMk
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