Chapitre 1
L’ombre et la lumière jouent avec adresse entre les lits disposés en soleil tout autour de la pièce. Au pied de chacun, un carton rempli du strict nécessaire. Après un bref coup d’œil circulaire, la porte se referme doucement et des pas s’éloignent.
Dans le quartier sinistré, on n’entendait plus un bruit. La poussière continuait de cuire au soleil. Des écuelles empilées, quelques cuillères cabossées en métal argenté et une tour de verres en plastique coloré, zébrés de lumière, attendaient, prêtes à être rincées à l’eau savonneuse par des mains agiles et juvéniles. Un gros morceau de savon gisait un peu plus loin, souillé par la latérite rouge qui vous emplit les narines dès qu’un gros quatre-quatre traverse l’artère principale. Des chèvres capricieuses abandonnées à leur sort, bêlaient à cœur fendre, les mamelles raidies par la tension provoquée par l’absence de traite. Deux jours déjà. L’attaque avait eu lieu au petit matin, l’internat plongé dans les dernières lueurs de la nuit. À peine le chant d’un coq dans le lointain quand un grondement soudain, un convoi, le bruit des portières qui claquent, quelques tirs nourris et puis plus rien. L’œil apercevait des trainées de sang, des sandales orphelines, de celles qu’on appelle « en attendant », des sachets plastiques abandonnés à même le sol. Près des ustensiles, l’offre du jour, écrite à la craie sur un chevalet grossier recouvert d’une peinture pour tableau noir. Café, thé, chocolat en poudre, lait, spaghettis à la tomate, omelette, œufs durs, pain beurre. En attendant d’avoir mieux, plus tard. Au-dessus de l’humble liste, un titre souligné de deux traits. Si Dieu le veut, cuisine maison. Les vendeuses terrorisées avaient serré un peu plus fort leur pagne, leurs cuisses et le petit sachet contenant la caisse du jour, glissé dans l’emmaillotage savant des tissus aux couleurs fanées. Elles s’étaient empressées de fuir par les arrières du bâtiment, abandonnant sans la moindre hésitation leur gagne-pain quotidien. De toute façon, la vie sur terre n’était qu’un passage. L’ailleurs se devait d’être meilleur. Les plus faiblement éduqués le pressentaient.
Une fois de plus, les hommes n’avaient enlevé que les jeunes filles. Les dortoirs des garçons avaient été épargnés. Même si quelques professeurs, réveillés à la hâte, s’étaient précipités vers la cour centrale, tout était allé trop vite. Les rapaces avaient fondu sur leurs proies et s’étaient envolés aussi promptement qu’ils étaient apparus en contre-jour du soleil levant. La population avait l’impression d’être revenue à un temps préhistorique où nul ne savait quand les grands prédateurs surgiraient au-dessus de sa tête. À chaque nouvelle attaque de masse, les autorités affirmaient ne payer aucune rançon aux ravisseurs, ce que des experts en sécurité jugeaient peu plausible. Ce jour-là, c’était plus de cinquante jeunes filles qui avaient été enlevées pour servir au mieux de contrepartie, au pire d’esclaves sexuelles et domestiques. Les familles, rapidement alertées, s’étaient mises à compter les heures, ne sachant plus vers quel Dieu se tourner pour adresser leurs lamentations.
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