Chapitre 4

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Dans l’humidité de la nuit, faiblement éclairée par les loupiottes des petites vendeuses, Hythlodée descendit du taxi qui l’avait conduite dans les quartiers chauds de la ville. Elle se faufila entre les étals, ignorant les appels sucrés des travailleuses de la rue. Tu viens coco chéri ? Surveillant toutefois ses arrières, elle prit le temps de faire le tour du pâté de maisons puis revint sur ses pas et emprunta une sombre ruelle de terre battue. Elle se laissa guider par la lanterne rouge qui indiquait l’entrée du cabaret. Deux hommes montaient la garde. Le plus âgé, habitué à ses visites souleva le drap qui faisait office de barrage et s’effaça contre le mur. Au fond de la salle, sur une estrade, un orchestre de jazz improvisait et variait à l’envi sur une vieille rengaine de Fela Kuti. Elle ne leur accorda pas un regard et se contenta de rejoindre le groupe assis dans l’angle de la pièce. Elle salua chacune d’une brève accolade et commanda une bière. Elles formaient une poignée de femmes prêtes à entreprendre une profonde transformation des instances du pays. Leur ligne de conduite était claire : influer sur la démographie pour améliorer le niveau d’éducation de la population et, de fait, les conditions de vie, éradiquer la corruption qui découlait de l’incapacité à envisager un avenir. Le programme était ambitieux, certes, mais avant tout, leur objectif principal était de consoler la jeunesse et d’en ouvrir à nouveau les consciences. Les élections se dérouleraient dans six mois. Elles étaient sûres de l’emporter.

Dans le moindre village, une effaceuse formée se préparait à passer à l’action. Chaque vieille femme avait été sollicitée. Toutes avaient accepté. Coutumières des confidences, il leur suffirait d’imposer leurs mains sur les tempes des plus jeunes pour que les idées les plus sombres soient remplacées par l’envie d’apprendre. Elles parviendraient ainsi à lutter contre tout ce que la médiocrité des anciens dirigeants avait laissé fleurir sur son territoire. Les écoles privées laïques, les écoles coraniques, les médersas, les écoles chrétiennes, ou encore les écoles communautaires devraient définitivement céder la place à une école nationale, gratuite, laïque et ambitieuse. L’instruction permettrait à chacun de devenir un homme et une femme libres. Ce à quoi elles avaient eu droit, tous devaient y avoir accès à leur tour. L’ignorance et la bêtise engluaient les cerveaux, avilissaient les esprits, altéraient le jugement. La vie ne pouvait se réduire à la croyance en un au-delà improbable, inapte à lutter contre la violence et une souffrance quotidienne. Elle seule inculquerait la maîtrise d’un raisonnement argumenté. L’arme séculaire qui permettait de tenir tête à toute stratégie visant à imposer des décisions injustes et inéquitables. C’était elle, encore, qui permettrait de comprendre pourquoi une régulation des naissances s’opposerait à la réalité de la situation. Leur plan était simple. Il leur fallait se servir des forces vives de la nation, de celles qui cédaient rarement à la tentation, car leur sens du sacrifice était depuis des siècles le moteur de leur survie. Trop longtemps ignorées et cantonnées aux tâches domestiques, peu scolarisées, les femmes devaient prendre la place qui leur revenait de droit. Elles deviendraient le fer de lance de la nation. Intègres, elles seraient à même de modifier le rapport de forces au sein des institutions internationales. Plus aucun homme ne devait pouvoir accéder aux postes décisionnels. Elles changeraient la constitution. Après quelques heures, la jeune femme se leva et franchit à nouveau le rideau de toile.

Hythlodée portait bien le prénom que sa mère et son père lui avaient donné, en vérité un nom plutôt qu’un prénom, elle le savait. Raphaël Hythlodée, le navigateur portugais rencontré par Thomas More. Un nom d’homme.

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