Un Réveil Brutal
Phargeh était penché sur un grimoire quand il entendit du bruit. Il leva la tête et regarda autour de lui à la lumière de la chandelle. La nuit était tombée et c’était le calme plat tant à l’extérieur que dans sa grotte. Il se tourna vers le blessé et il le vit toujours allongé sur la table, immobile, respirant simplement et profondément dans son sommeil. Il n’y avait rien. Cela ne devait être que le vent comme souvent. Ou alors sa petite protégée, sa créature favorite, sa chimère qu’il avait été obligée de créer pour avancer sur le chemin de la nécromancie.
Rassuré, il se saisit de sa chandelle qu’il rapprocha un peu de son ouvrage et retourna à sa lecture.
Ses sens se mirent soudain totalement en alerte et il évita de justesse son couteau à trancher. Il tomba de sa chaise et fit une roulade pour s’écarter du chemin du berzerker. Quand il se redressa, il lui fit alors face. Il vit le blessé à moitié affalé sur sa seconde table, ayant renversé tout ce qu’il y avait dessus. Son grimoire était à terre, quelques bols de bois roulèrent et cruche en terre cuite se brisa sur le sol, répandant l’eau fraîche sur le sol brut. Sa chandelle renversée roulait vers une paroi de sa demeure avant d’heureusement s’éteindre au contact de l’eau. La seule lumière restante venait du feu qui brûlait à quelques pas d’eux.
Il reporta son attention sur son agresseur et le vit se redresser et se tourner vers lui, armé d’un couteau et lui grognant dessus. Voilà qui n’était pas rassurant. Pourtant, il ne fit rien qu’observer tout en restant sur ses gardes, mains en l’air en signe de paix. Il nota bien rapidement le sang sur la chemise qu’il lui avait fait enfiler. Il avait sans aucun doute fait sauter ses points de suture. Il allait devoir les refaire…
Avant que tout ne dégénère et sachant ce qu’il devait avoir vécu là d’où il venait — le fouet, les combats, les souffrances, … — il allait tenter une approche plus douce. Enfin, autant que possible au vu de la menace juste en face de lui.
— Doucement, dit Phargeh en laissant ses mains bien en vue, non menaçantes. Je ne te veux aucun mal.
La Chimère grogna encore et l’attaqua une nouvelle fois. Il esquiva encore mais il ne put éviter le coup de genou dans le ventre. A ne plus être sur le terrain, il avait peut-être un peu perdu de ses réflexes mais sa force et son endurances, elles, étaient toujours intactes. Heureusement pour lui, ce coup ne le blessa pas. Il n’eut que le souffle brièvement coupé. Cela ne l’empêcha pas de riposter en conséquence pour autant. Il se saisit de son adversaire et le retourna pour le plaquer au sol. Puisqu’il ne l’écoutait pas de manière pacifique, il allait alors l’obliger. Cela commençait donc par lui faire mordre la poussière.
Il frappa directement. Il manqua son premier coup et s’en prit un autre direct en plein visage. Malgré sa lèvre fendue, il ne s’arrêta pas et contrattaqua en coup du tranchant de sa main directement dans le flanc gauche, à l’endroit précis où les points de suture avaient sautés. Son adversaire percuta la roche avant de s’effondrer à terre. Et il ne put se relever, une main maintenue sur sa blessure.
Voilà qui était fait, songea Phargeh alors qu’il calculait les chances de la Chimère de se relever de ce coup puissant. Il soufflait comme un bœuf et sa main serrée contre sa blessure tremblait de rage. Quant à son regard, il était chargé de colère et de haine. Mais aussi de l’intelligence, nota-t-il en survolant la surface de son esprit sans pour autant y pénétrer. Ce n’était pas qu’un animal répondant à ses instincts de prédateur. Il y avait aussi un être pensant derrière cette épaisse couche de muscles et de violence.
— Du calme, tenta-t-il à nouveau en levant les mains, paumes ouvertes dirigées vers lui, bien en vue. Tu m’as attaqué le premier. Je n’ai fait que me défendre.
Il s’agenouilla pour éviter d’avoir l’air menaçant ou de montrer une quelconque supériorité face à lui. Il ne voulait que l’aider s’il le pouvait.
— Je veux juste t’aider, lui dit-il d’ailleurs. Il attrapa un bout de tissu d’une vieille chemise déchirée et le lui tendit. Tiens. Pour ta blessure.
La Chimère le regarda bouger, analysant le moindre de ses gestes, mais n’en tenta aucun pour se saisir du tissu.
— Est-ce que tu comprends ce que je te dis ? demanda Phargeh. Toujours aucune réponse. Mais quelle langue utilisent-ils au Conditionnement de nos jours ?
Mentionner le Conditionnement fit grogner son invité.
— Du calme ! Je ne te veux aucun mal, je t’assure.
— Je ne. retournerai. jamais. là-bas !
Le Nécromancien soupira avant de rire doucement. Il desserra le lacet de la manche de sa chemise et la remonta.
— Comme je te comprends, lui dit-il en découvrant un tatouage qu’il avait en dessous de l’épaule droite. Regarde. Je suis comme toi. Moi aussi, j’ai été là-bas. J’ai subi ce que tu as subi. Les coups de fouet… les entraînements au combat intensifs… la douleur… et la mort. Je sais ce que c’est, crois-moi. J’ai été entraîné tout comme toi. Mais contrairement à toi, moi, je n’ai pas pu me libérer. Pas du Conditionnement en tout cas.
Il se redressa et ramassa sa chaise pour s’y installer. Maintenant qu’il avait l’attention de la Chimère, cela serait plus simple. Il montra la blessure d’un geste de la main.
— Il faut soigner ça.
— Je cicatrise vite.
— J’ai pu le remarquer, oui. Mais vu l’état dans lequel je t’ai trouvé et ta nature même, ta cicatrisation est ralentie, je pense. Il te faut des …
— Du sang.
— J’aurais dit des points de suture dans un premier temps, mais oui, du sang aussi. Nous irons chasser après.
— Nous ?
— J’ai moi aussi besoin de sang. Et je dois avouer que le tien est alléchant. Soignons d’abord tes blessures, après nous aviserons si tu es capable de me suivre à la chasse ou non.
— Pourquoi chasser ?
— Ici, tu es dans les montagnes, loin de toute civilisation. Navré mais tu n’auras pas de livraison de sang dans ta petite cellule, ni de combat à mort avec un camarade pour t’abreuver directement à la source.
— Mais je n’ai jamais chassé.
— Ah ! Tu n’as pas appris la traque ? La Chimère secoua négativement la tête. Ce n’est pas un problème. Je t’apprendrai à chasser, promit Phargeh.
— Et pourquoi je te ferai confiance ? Je ne te connais pas.
Le Nécromancien soupira. Que pouvait-il répondre à cela ? Dans la même situation que lui, il ne ferait lui-même confiance à personne. On n’était jamais mieux servi que par soi-même. Et quand on est seul, on ne risque pas d’être trahi non plus …
— Je n’ai pas de bonne raison à te donner, répondit-il honnêtement. Je n’avais pas de raison non plus pour te sauver. J’aurais pu te laisser mourir dans la montagne, te laisser te vider de ton sang, ou pire, m’en abreuver.
— Pourquoi ? Phargeh releva un sourcil. Pourquoi … tu m’aides ?
La Chimère avait hésité à prononcer ces mots. De toute évidence, l’altruisme n’était pas quelque chose dont il avait l’habitude. Le Conditionnement était si cruel, si difficile. Seuls les plus forts et les plus obéissants y survivaient. Phargeh ressentait dans cette hésitation beaucoup de confusion et de peur. Quant à la confiance, elle était totalement absente car il ne savait tout simplement pas ce que c’était. Ce n’était qu’un mot pour lui, avec rien derrière si ce n’est une possible faiblesse. Il ne connaissait que les ordres, la souffrance en cas de désobéissance et la peur. Rien d’autre. De cela, Phargeh s’en rappelait très bien même si cela remontait à plus de deux-cent soixante ans.
— Je ne sais pas, répondit-il alors. Je n’avais aucune raison pour ne pas agir. Je t’ai trouvé… et je t’ai ramené chez moi. C’est aussi simple que cela.
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