Chapitre 3 : Des rêves dans le brouillard.
1735
Une foule de personnes vêtues de leurs plus beaux atours sortait de l'Opéra de Paris. Ils discutaient gaiement du spectacle qui s'était déroulé sous leurs yeux. Certains critiquaient durement alors que d'autres, au contraire, louaient le compositeur et les danseurs. Toutes ces personnes venaient d'assister à une représentation des « Indes Galantes », un opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau. Un « ballet héroïque » rempli de danses, de musiques et de costumes au sein d'un tableau exotique. Et l'amour en était le thème central.
C'est ainsi que de nouveaux souvenirs plein la tête, un homme grand et brun dont les vêtements élégants laissaient deviner un rang social élevé, vit un homme plus jeune et habillé de manière bien plus modeste, se faufiler derrière la foule, essayant de se montrer discret. Ce qui attira l'œil de l'homme brun, était que lorsqu'il s'était arrêté de marcher, savourant l'air frais de cette soirée et rêvassant sur le spectacle auquel il venait d'assister, il l'avait vu glisser souplement du mur sur le côté du beau et imposant bâtiment.
Mais par où était-il passé, exactement ? se demanda-t-il, un sourire amusé naissant sur ses lèvres. Personne ne semblait l'avoir aperçu à part lui, ce qui ne l'étonna guère, les riches ignoraient généralement les plus pauvres mais lui, était intrigué et il se mit à le suivre à bonne distance pour ne pas se faire repérer, jusqu'à un chemin où personne d'autre ne se dirigeait puisqu'il menait vers un quartier de la ville assez pauvre. Cet homme mystérieux rentrait sans doute chez lui, pensa-t-il.
Ils marchaient tous deux depuis un petit moment lorsqu'un craquement se fit entendre, l'homme brun avait marchait sur une petite branche. Il baissa la tête par réflexe et quand il la releva, il ne vit plus personne sur le chemin. Où était-il passé ? Il regarda tout autour de lui mais ne vit personne !
-HA ! cria-t-il en recevant un coup au niveau de la cheville et en étant brusquement plaqué sur le sol.
-Pourquoi me suivez-vous ?
L'homme brun reprit rapidement ses esprits et leva les yeux vers le joli visage qu'il découvrit, penché sur le sien.
-Vous allez me répondre ? s'énerva le jeune homme face à son silence.
L'homme étalé sur le sol qui ne bougeait plus, occupé à le dévisager, finit par cligner plusieurs fois des yeux, semblant reprendre contact avec la réalité.
-Je... Excusez-moi mais vous pressez une certaine partie de mon corps et cela commence à être douloureux...
Sous ses paroles, il eut la surprise d'apercevoir les joues du jeune homme se colorer en voyant qu'effectivement, son genou pressait son entrejambe. Il se dépêcha donc de reculer un peu et de le lâcher, le visage aussi rouge qu'une tomate bien mûre.
-Alors ? Pourquoi me suivez-vous ?
Il se redressa, s'époussetant un peu avant de plonger son regard dans de beaux yeux verts.
-Vous avez assisté à la représentation des « Indes Galantes », n'est-ce pas ? Je vous ai vu sortir d'une bien plaisante manière... Si je ne me trompe pas, vous êtes entré sans payer et en vous cachant, dit-il en détaillant les vêtements usés et de piètre qualité de celui qui lui faisait face.
Des yeux baissés vers le sol lui répondirent sans qu'un mot ne soit prononcé. Plus que de la gêne, il crut déceler de la peur et se dépêcha bien vite de le rassurer.
-N'ayez crainte, je ne vous dénoncerai pas. Je voulais juste... A dire vrai, je ne sais pas ce que je désirais mais... Lorsque je vous ai aperçu, je n'ai pas pu m'empêcher de vous suivre. Vous m'avez intrigué...
Seul le silence lui répondit.
-Avez-vous aimé ?
Des yeux surpris le regardèrent.
-La représentation ? Qu'avez-vous pensé de la musique ? Ou encore du spectacle ?
Toujours silencieux, le jeune homme se releva et il en fit de même. Ils s'époussetèrent un peu.
-J'ai... tout d'abord été surpris. La richesse de la musique de monsieur Rameau a pris le pas sur le reste. A tel point que j'ai, durant un moment, fermé les yeux pour en savourer la musique...
-Je suis d'accord, dit-il dans un sourire. Vous parlez de bonne manière. Ce qui m'étonne assez au vu de votre condition modeste... Ho, je ne voulais pas vous vexer ! s'exclama-t-il en voyant le visage devant lui, prendre un air gêné, voire un peu scandalisé. Je suis réellement intrigué, voilà tout !
Il ne désirait pas le blesser mais il savait que nombre de personnes de sa condition étaient illettrées et peu cultivées.
-J'ai eu de la chance. Mon maître à la menuiserie sait lire et m'a pris sous son aile lorsque mes parents sont morts de maladie quand j'étais petit. Il possède de nombreux livres qu'il tient de son propre père. J'ai pu beaucoup apprendre...
Le silence devenant pesant, le jeune homme aux yeux verts releva la tête pour croiser un regard sombre pétillant de satisfaction. Ou bien était-ce... de l'admiration ?!
-Je ne me suis pas trompé... Vous êtes réellement une personne très intéressante et intrigante...
Le jeune homme ne savait que répondre. Il se sentait... existé. Oui, existé au regard d'un homme qui n'était pas son père adoptif et de plus, de la haute société, c'était nouveau pour lui. La vie était dure, surtout pour les pauvres, il l'avait appris bien assez jeune lorsque ses parents n'avaient pas eu les moyens de se soigner. Donc, en dehors de ses livres et de son travail à la menuiserie, il se tenait un peu en retrait du monde. Ce soir, il avait pris des risques car il désirait tant entendre la musique de monsieur Rameau et il avait entendu parler de son nouveau spectacle alors, connaissant le bâtiment pour y avoir apporté du matériel, il avait décidé de faire quelque chose de complètement fou et il ne le regrettait absolument pas. Surtout maintenant qu'il se trouvait devant le plus bel homme qu'il ait sans doute vu de toute sa vie...
Les yeux dans les yeux, sous la lumière de la Lune bienfaisante, un moment passa où seule existait l'alchimie qui se formait entre les deux hommes. Ils se sentaient tous deux troublés et ne voulaient pas briser ce moment qui éveillait intensément leurs cœurs à un sentiment nouveau et inconnu...
**
-Nathanaël ! Nathanaël !
Le jeune homme qui était plongé dans ses pensées, sursauta brusquement.
-Qu'est-ce qu'il y a ?
-Ca fait une heure que je t'appelle ! Ce n'est pas encore ton jour, on dirait ! s'exclama Marcus, les yeux rieurs. Aurais-tu passé une nuit si torride que tu aurais du mal à t'en remettre ? Est-ce qu'une certaine partie de ton anatomie serait douloureuse et t'empêcherait de te concentrer ?
Un joli doigt d'honneur lui répondit, ce qui eut pour effet de le faire rire. Rien, absolument rien ne pouvait entacher la bonne humeur du libraire aux nombreux pulls de Noël. D'ailleurs, aujourd'hui, son pull était jaune moutarde avec pour motifs, de nombreux sapins de toutes les couleurs. Parfois, Nathanaël se demandait où il pouvait bien trouver tous ses pulls...
-Ok... Susceptible avec ça, mon petit Noël ! Enfin bon. Je te prévenais qu'on avait reçu le nouveau stock.
-Enfin ! Je vais aller voir ! dit-il sans un regard pour le blondinet qui le regardait d'un air un peu dubitatif car celui-ci voyait bien que quelque chose clochait chez son patron et ami mais il savait également que Nathanaël était quelqu'un d'assez renfermé, alors il préférait ne pas poser de questions.
Le jeune homme aux yeux verts ne pouvait s'empêcher de ressasser le rêve étrange qu'il avait fait cette nuit. Les sensations, les décors, tout lui avait semblé si réel. Il avait même l'impression d'en sentir encore les odeurs. Et n'était-ce pas bizarre d'avoir rêvé de manière si détaillée d'une époque qu'il n'avait pas connue ?! Surtout qu'il n'avait pas vu de film historique depuis longtemps ! Et cet homme... Cela faisait deux fois qu'il rêvait de lui. Enfin... Une petite voix dans sa tête lui soufflait que la nuit dans le brouillard était quelque chose de différent mais c'était impossible, n'est-ce pas ?
Il soupira. Ces derniers temps, il n'était pas lui-même. Etait-ce la perspective de se rapprocher de la trentaine en étant célibataire, qui le stressait au point de fantasmer et d'en être atteint même la journée ? Ressentait-il cette pression de la société d'être absolument en couple ? Pourtant, il avait décidé de ne plus attendre un hypothétique prince charmant ou tout ce qui s'en rapprocherait, depuis déjà longtemps ! Alors, que se passait-il ? Il soupira de nouveau et décida d'essayer de ne plus y penser. Il avait du boulot avec le nouveau stock de livres qui venait d'arriver ! Au travail ! s'encouragea-t-il.
**
25 décembre 1737
-Ha...
Le jeune homme aux yeux clairs regardait le sang qui coulait de son poignet. Seules quelques bougies éclairaient la chambre richement meublée et décorée, et les deux corps nus s'y trouvant installés sur une couverture étalée à même le sol.
-Tu es sûr ? Tu peux encore changer d'avis... commença le plus âgé avant d'être interrompu par un doigt qui venait de se poser sur ses lèvres.
-Arrête ça ! Charles, je te l'ai déjà dit. Je t'aime plus que tout au monde. Cette pierre d'Egypte que tu as héritée de ton père, est une chance merveilleuse ! Es-tu sûr qu'il n'en connaissait pas le pouvoir ?
-Mon cher père n'était pas un passionné d'Histoire contrairement à moi. Je ne pense pas qu'il savait ce qu'il avait entre les mains. L'inverse me surprendrait beaucoup mais je ne peux être sûr de rien...
Le jeune homme aux yeux verts hocha la tête avant de reprendre la parole :
-Ton père ne l'a peut-être jamais utilisée mais ce ne sera pas notre cas. Nous ne pouvons être sûrs de rien non plus en ce qui concerne cette pierre mais cette chance, ne la laissons pas passer ! Ce monde n'est pas fait pour nous ! Pour l'instant, du moins... J'ose espérer qu'un jour, je pourrai te tenir dans mes bras et t'embrasser sans que ça ne choque qui que ce soit ! Notre amour comme notre amitié ne peuvent être acceptés par la société mais peut-être qu'un jour, cela sera possible. De tout mon cœur, j'ose l'espérer... Deux hommes de rangs sociaux différents... Le destin est parfois bien cruel...
Le jeune homme, le cœur serré, s'arrêta un instant avant de reprendre :
- Je rêve de choses simples comme n'importe qui. Je rêve de pouvoir t'épouser, de vivre auprès de toi chaque jour et pas seulement quelques jours de temps en temps afin de ne pas attirer l'attention ! Je rêve de fonder un foyer, une famille avec toi... Je t'aime et cela ne devrait pas être une honte ! Toujours se cacher et trouver des excuses pour ne pas se marier avec une femme... Je sais que ta famille t'accable de cette pression. Un homme de ton rang devrait suivre ce chemin...
-Jamais je n'épouserai qui que ce soit ! Jamais ! Je suis à toi comme tu es à moi, mon amour ! s'écria Charles en lui prenant la main qu'il serra pour lui transmettre sa détermination, son assurance et toute la force de ses sentiments.
-Deux hommes qui s'aiment... Même dans ces circonstances, l'amour est beau, n'est-ce pas ? demanda le plus jeune sans énergie, morose, les yeux baissés afin de cacher sa tristesse.
Charles releva alors délicatement de son doigt, la tête de son amant et plongea son regard doux et déterminé dans le sien.
-Joseph, ne doute pas un seul instant que notre amour EST ce qui fait partie des merveilles que peut offrir la vie et je refuse de tourner le dos à cette chance de t'avoir trouvé. La vie sans toi serait si fade, si triste que je n'ose l'imaginer...
Sur ces mots, il prit le couteau bien aiguisé et le visage sérieux, s'entailla à son tour le poignet. Il attrapa la main de son amant, entrecroisa leurs doigts et leva leurs mains liées juste au-dessus de la pierre à la jolie forme de losange qui brillait d'un beau vert clair et sur laquelle étaient taillés de légers reliefs de la même forme. Elle reposait sur un support recouvert d'un tissu noir et les deux hommes tinrent leurs mains scellées où leurs sangs se mélangeaient en coulant le long de leurs poignets pour finir par immerger la pierre. Ils regardèrent ce spectacle un moment avant de fixer leurs regards l'un à l'autre.
-Je t'aime aujourd'hui et pour l'éternité, dit le plus âgé.
-Je t'aime aujourd'hui et pour l'éternité, répéta le plus jeune.
Charles guida alors leurs mains toujours soudées et ensanglantées, jusqu'à la pierre qu'ils attrapèrent.
-Il est temps de passer à l'étape la plus agréable, mon amour... dit-il, les yeux pétillants, un sourire plein de luxure sur les lèvres.
A ces mots, le plus jeune rougit en souriant également, laissant avec un plaisir évident, son amant se laisser glisser contre son corps, l'allongeant sur la couverture.
-N'oublie pas. Nous ne devons pas lâcher la pierre pendant que nous ferons l'amour. Nos corps vont achever d'accomplir le lien éternel de nos âmes, de les unir, elles ne feront plus qu'une. Ainsi, nous nous retrouverons toujours...
-Oui, toujours... dit Joseph, le cœur tellement rempli d'émotions qu'une larme roula doucement sur sa joue. Je t'aime. Ce cadeau que tu me fais, que nous nous faisons, est le plus beau cadeau dont je pouvais rêver pour mon anniversaire.
Son amant lui fit un sourire plein de tendresse.
-Je t'aime plus que tout et je fais le serment de te chérir dans chacune de nos vies.
Charles posa ensuite ses lèvres sur celles de Joseph, débutant l'union de leurs corps dans un plaisir si puissant qu'ils perdirent connaissance après avoir joui ensemble. La pierre reposant encore dans leurs mains sur le sol, soudainement étincelante, éclaira alors d'une lumière dorée, toute la pièce...
-Nathanaël...
Le jeune homme commença à émerger de son rêve, le cœur serré.
-Nathanaël... Mon amour... Il est temps que tu te souviennes de nous. Viens à moi !
Il ouvrit les yeux, complètement réveillé, désormais, et sortit de son lit afin de rejoindre la voix qui l'appelait dans le brouillard qui emplissait de nouveau l'obscurité de la nuit...
Annotations