Chapitre 6 : Et le brouillard disparut… (Partie 2)
Nathanaël ouvrit brusquement les yeux. Il savait, il se souvenait de tout, désormais. Il se redressa dans son lit et regarda par la fenêtre dont il n'avait pas fermé les volets. Le brouillard était revenu hanter la nuit. Nous étions le 25 décembre, le jour de son anniversaire. Il avait vingt-huit ans, l'âge qui était le sien lorsqu'il avait rencontré Charles, l'homme qui avait changé le cours de sa vie. Le même jour où le serment fut prononcé entre les deux amants éternels, il y avait de cela deux cents quatre-vingt-deux ans.
-Philippe... murmura Nathanaël, le cœur étreint par l'émotion et les larmes emplissant ses yeux.
Il se dépêcha de sortir de son lit, dévala les escaliers et courut jusqu'à la porte d'entrée qui donnait sur la petite cour.
-PHILIPPE ! cria-t-il dans la nuit en avançant dans le brouillard.
Une silhouette se dessina dans la brume épaisse. Son cœur qui battait déjà si vite, s'accéléra encore en le voyant.
-Philippe... murmura-t-il comme pour lui-même avant de courir et de se jeter dans les bras de son amant qui lui souriait tendrement.
Ils s'étreignirent un long moment, aucun des deux ne voulait rompre le contact. Ils se serraient à s'étouffer comme s'ils désiraient se fondre l'un dans l'autre. Puis, Nathanaël finit par relever la tête et prit celle de Luke entre ses mains.
-Je t'aime, je t'aime, je t'aime... murmurait-il en couvrant de ses baisers, le visage de son amant.
-Mon amour...
Ne tenant plus, Luke le stoppa afin de prendre sa bouche avec passion. L'homme qu'il aimait plus que tout au monde, plus que sa vie elle-même, se souvenait enfin de lui ! Il se sentait à présent, complet, entier. Ils allaient pouvoir commencer leur nouvel vie ensemble ! Cette année à attendre lui avait paru si longue !
Dès qu'il s'était rappelé, qu'il avait compris qui il était réellement grâce aux rêves provoqués par la pierre comme ce fut le cas pour Nathanaël, il avait commencé à chercher où se trouvait celui qu'il aimait depuis près de trois siècles. En n'ayant que sa date de naissance, cela lui avait pris du temps mais il avait fini par le retrouver et depuis quelques mois, il le regardait de loin, s'empêchant de l'approcher, de le toucher, de lui parler... Souffrant en silence... Mais c'était fini. Maintenant, il n'avait plus à se cacher.
Luke savait qu'il y avait certaines règles à respecter avec la pierre. C'était elle la maîtresse de leur destin. S'il avait tout raconté à Nathanaël avant qu'elle n'intervienne, le lien aurait soit était affaibli, soit rompu. Il le savait, alors il s'était retenu. Et puis, de toute manière, son amant l'aurait sans doute traité de fou et ne se serait peut-être jamais rappelé qui il était ! Il ne voulait prendre aucun risque. Leur lien, leur amour étaient trop importants pour lui comme pour celui qu'il aimait. Tous les deux avaient compris qu'ils devaient leur destinée à cette pierre qui traversait les siècles avec eux.
Avant de mourir, pour la mettre en sécurité, il la donnait en succession à sa famille puis, dans la vie suivante, lorsqu'il se rapprochait de l'âge qu'il avait lors de sa première rencontre avec son amant, c'est-à-dire trente-trois ans, il recherchait les membres de son ancienne famille et la leur rachetait. Cela lui permettait de garder des liens avec ceux dont il était proche auparavant, de savoir ce qu'ils étaient devenus, d'en connaître les descendants.
Il existait des constantes dans chacune de leurs vies puisqu'il avait la chance de toujours naître dans une famille aisée, ce qui lui facilitait bien les choses pour faire les recherches nécessaires afin de retrouver son destiné et obtenir le financement pour racheter la pierre. Cependant, il fallait bien admettre que les recherches pour trouver la pierre n'étaient jamais difficiles. Luke avait bien remarqué que celle-ci se rappelait à lui, attirée comme un aimant, quand, durant leur seconde vie dans les années 1800 à une journée de ses trente-trois ans, il avait assisté à une vente aux enchères et que la pierre était apparue comme objet à vendre. Oui, il avait conscience que leur destin était de se retrouver tous les trois et il n'avait plus peur depuis qu'il en avait eu la preuve. A chacune de leurs vies, il était confiant et savait qu'il retrouverait forcément l'homme qu'il aimait.
Sachant ce qui allait se passer, Luke détacha doucement ses lèvres de celles de Nathanaël.
-Mon amour... Regarde.
Le plus jeune détourna son regard des beaux yeux sombres afin de regarder autour de lui. Il savait également ce qui allait arriver mais il aimait le voir de lui-même, c'était symbolique pour les deux amants éternels.
Le brouillard si épais qu'on ne pouvait rien distinguer, commença à se dissiper autour d'eux, jusqu'à totalement disparaître, laissant la lumière de la lune, les étoiles scintillantes et la nuit reprendre place. Puis ce fut au tour de la pierre elle-même de marquer un changement. Elle, qui était posée sur un coussin proche de Luke et que Nathanaël n'avait pas remarqué avant, perdit son éclat incandescent sous leurs yeux.
-Ca y est. Le lien est complet pour notre nouvelle vie, dit Luke en ramassant le petit coussin sur laquelle elle était posée.
Il se tourna ensuite vers le jeune homme et lui caressa délicatement la joue.
-Et si tu me faisais entrer chez toi ? Hum ? La chaleur bienfaisante de la pierre est partie et tu ne portes qu'un fin pyjama.
Nathanaël hocha la tête et un sourire aux lèvres, il prit la main de son amant et le mena vers sa maison. Une fois entrés, il ne dit rien mais entreprit de retirer le long manteau sombre de Luke et son écharpe qu'il accrocha au porte-manteau dans l'entrée. Luke attrapa ensuite la taille de Nathanaël et posa un tendre baiser sur son front.
-Joyeux anniversaire, mon amour ! Et joyeux Noël, également !
-Ho, Phillipe ! Joyeux Noël ! s'écria le plus jeune en lui sautant au cou, les larmes aux yeux.
-Dans cette vie, c'est Luke, mon amour... dit tendrement le plus âgé en le serrant à l'étouffer.
-Oui, c'est vrai, excuse-moi. Je me sens encore un peu confus, ça ne fait pas si longtemps que tout m'est revenu. Luke, c'est un joli prénom.
Les deux amants se sourirent, le cœur apaisé.
-Comme Joseph, Simon, Mathieu, Nathanaël. J'aime toujours tes prénoms, ils sont doux à prononcer, comme toi. Ils te vont bien.
Les joues de Nathanaël se colorèrent sous le compliment. Cela aussi était une constante dans chacune de leurs vies car celui pour qui son cœur battait follement lui faisait toujours énormément d'effet, comme au premier jour.
-Comme Charles, Jules, Phillipe et Luke. Je les aime tous aussi. Est-ce que... tu as des obligations, aujourd'hui ? J'aimerais beaucoup te présenter à ma famille mais je peux comprendre que tu veuilles sans doute de même...
-Nous passons toujours Noël ensemble, une fois que nous nous sommes retrouvés. Ca ne changera jamais ! le rassura Luke. Dans cette vie, je ne suis pas très proche de mes parents et je n'ai ni frère ni sœur. Je serai très heureux de rencontrer ta famille, mon amour.
-Il y a vraiment des choses qui ne changent jamais... Dans chacune de nos vies, tu n'as pas une famille aimante alors que de mon côté, j'ai la chance d'avoir des proches qui veillent sur moi et qui m'aiment...
-Ce n'est rien. C'est toi ma famille, tu es tout ce dont j'ai besoin. De plus, il y a bien quelque chose de nouveau cette fois-ci dans cette vie, à cette époque.
Etonné, le jeune homme se recula un peu, le dévisageant, attendant la suite. Luke sortit alors de sa poche, une petite boîte et mit un genou à terre.
-Nathanaël Noël, je t'ai aimé dès le moment où mes yeux se sont posés sur toi, il y a de cela deux cents quatre-vingt-quatre ans. Je t'aime d'un amour aussi fort si ce n'est encore plus avec les années passées à tes côtés et c'est avec certitude que je puis t'affirmer que je t'aimerai toujours à travers les siècles qui nous attendent. Tu es l'homme de ma vie, mon destiné et tu me l'as répété assez souvent pour que je puisse affirmer que je suis le tien. Nos vies précédentes ne nous permettaient pas d'officialiser notre amour, nous qui venons pourtant d'une époque ancrée dans les traditions mais aujourd'hui, cela est possible. Nathanaël, veux-tu me faire l'immense bonheur de devenir mon époux ? demanda Luke en ouvrant la petite boîte dans laquelle un anneau en argent était posé.
Des larmes de joie commencèrent à couler sur les joues de Nathanaël.
-Oui... Oui, oui, oui ! s'écria-t-il en se jetant dans les bras de son fiancé qui ne perdit pas de temps pour lui passer sa jolie bague au doigt.
Il sortit alors un autre anneau de sa poche et le tendit au jeune homme en pleurs.
-Regarde, mon amour. J'ai fait graver nos initiales, un N et un L entrelacés. Tu veux me mettre le mien ? demanda-t-il.
Nathanaël hocha la tête, ne pouvant pas parler, submergé par les fortes émotions qu'il ressentait. Il prit la bague, puis la main gauche de son amant et la passa doucement à son doigt avant de l'embrasser passionnément.
-Je t'aime tant ! s'écria Nathanaël sur les lèvres de son amant.
-Je t'aime aussi, mon amour et pour l'éternité ! répondit Luke, les yeux remplis de tendresse pour celui qu'il aimait.
Les deux amants éternels ne pouvaient se détacher l'un de l'autre, tout à leur joie de leurs retrouvailles mais également de cette nouvelle vie qui commençait pour eux. Ils avaient pour conviction que cette fois, cette époque leur permettrait de vivre leur amour au grand jour, comme Joseph, Simon, Mathieu et Nathanaël mais également Charles, Jules, Phillipe et Luke en avaient toujours rêvé, comme ils en avaient tous deux rêvé. Oui, ce 25 décembre était un jour plein d'espoir et de promesses délicieuses.
Ce jour de fête qui était habituellement détesté par le jeune homme aux yeux verts, se passa d'ailleurs sous les meilleurs auspices pour Luke et Nathanaël. La famille de ce dernier, heureux qu'il leur présente enfin « un homme qui pourrait prendre soin de lui » pour citer sa mère, le reçut à bras ouverts. Fidèle à lui-même, Marcus qui était également présent, ne put s'empêcher de taquiner son ami sur « ses petites fesses qui devaient être plus que ravies d'avoir été présentées à un dieu grec » et le repas se passa chaleureusement entre les parents de Nathanaël, sa sœur Amy et son mari Noah, Marcus et son petit-ami Henri avec qui il était en couple depuis le lycée et les deux nouvellement fiancés. Luke en profita pour offrir à Nathanaël comme cadeau d'anniversaire, le livre qu'il avait acheté à la librairie, les « Fleurs du mal ». Il savait que Charles Baudelaire était le poète préféré de celui qu'il aimait. Après tout, ils avaient eu trois vies pour apprendre à se connaître !
Et c'est ainsi, lors de cette belle journée de Noël, qu'un amour éternel brilla de sa lumière, liant les deux amants pour l'éternité. Il avait fallu plusieurs vies pour que les deux destinés puissent vivre de la manière qu'ils le désiraient, ensemble, sans se cacher, sans mensonges, sans faux-semblants dus à une société si peu tolérante envers ceux qui s'aimaient. Seulement un couple d'hommes ressentant des sentiments l'un pour l'autre si forts qu'ils pouvaient transcender le temps. Rien ne pouvait éteindre un amour aussi puissant, aussi beau, aussi pur. La pierre l'avait bien compris, les deux amants éternels n'avaient pas assez d'une seule vie pour vivre leur amour. Même l'éternité n'était sans doute pas suffisante pour épuiser ce lien indéfectible. Tous deux étaient destinés à s'épanouir à travers leurs cœurs unis, à s'aimer pour toujours. Oui, pour l'éternité...
FIN
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