Labyrinthe
“Rien n’est plus tragique que de rencontrer un individu à bout de souffle, perdu dans le labyrinthe de la vie.”
Martin Luther King
Le Labyrinthe est mon domaine. J'aime errer à travers ses couloirs, me perdre dans ses méandres. Son calme m'apaise. Entre ses murs, je me sens en sécurité, loin du désordre extérieur. Ici, tout est agencé selon une logique qui m'échappe, mais cela me rassure. Je sais qu'il existe une sortie, je n'ai juste pas envie de la trouver. La savoir quelque part me suffit. Elle se dérobe sans cesse à mon regard, recule à chacun de mes pas. Elle se joue de moi. Qu'importe. Lorsqu'elle se rapproche, je bifurque pour m'en écarter. C'est un rituel entre nous. Quand j'arrête d'y penser, elle se rappelle à mon bon souvenir, à tel point que je la discerne parfois au détour d'un chemin. Quand cela arrive, je reviens en arrière et m'enfonce plus profondément dans le dédale.
Le Labyrinthe est changeant, comme mon humeur. Sa configuration chaque jour se modifie. À chaque nouveau réveil sa surprise : que vais-je croiser aujourd'hui lors de mes déambulations ? Quelles horreurs ? Quelles merveilles ? Quelles idées germeront de mes explorations ?
Comme je l'ai dit, j'aime me promener dans le Labyrinthe. Il est la source de mes récits, la rivière de mes pensées. Parfois ruisseau, parfois fleuve, plus rarement mer. Plus simplement, il crée dans mon esprit des tableaux mouvants. Je n'en suis que le spectateur, le projecteur, un outil par lequel transitent les mots. C'est ma fonction : j'écris les images qui vivent en moi. Le Labyrinthe me nourrit, et je le régurgite au mieux de mes capacités. Mes talents de conteur ne suffisent que rarement à reproduire les épopées qui s'agitent dans ma tête. L'espace y est réduit et la foule nombreuse. Quand les voix chantent distinctement, je parviens à en extraire leur quintessence. C'est là que mon "talent" brille le mieux, quand tout est clair comme le cristal. Mais quand les voix se mélangent en un concert discordant, qu'elles m'empêchent de saisir leur mélodie, les mots m'échappent, coulent entre mes doigts en une boue visqueuse. Le résultat, souvent médiocre, me rappelle d'où je viens : la glaise originelle. J'appartiens à la terre et lorsque ma vie s'achèvera, je retournerai à mon état initial. Mais avant, je produirai le plus d'histoires possibles. Je ne sais faire que cela : mettre en scène les voyages fournis par le Labyrinthe. Quand le torrent s'asséchera, viendra l'heure de ma mort. Il ne me restera plus qu'à contempler mes errances passées, témoignages de mes vagabondages, immortalisées dans la pierre. En attendant, je poursuis ma route.
Le Labyrinthe est ma prison. Et j'en suis le gardien. Dans ses couloirs, je traîne mes démons. Ils remuent dans mon ombre, entrelacs de formes imprécises. Ils me murmurent de sombres secrets et de tout aussi ténébreux mystères. Je m'en gargarise, en saupoudre mes œuvres pour en relever le goût. Détails scabreux, tortures et obstacles pimentent mes récits. Plus mes personnages souffrent, plus mon extase grandit. Mais gare à la chute, à trop vouloir épater la galerie, on frôle l'indigestion. Alors j'essaie de rester sobre, pour ne pas finir en pature face à la meute, charognes et vautours qui se jettent sur mes écrits comme des morts de faim. Heureusement, cela arrive rarement. Pour qu'ils en profitent, je dois trouver une fenêtre et le Labyrinthe en comporte peu. Toutefois lorsque j'en découvre une, je ne peux m'empêcher d'y jeter un de mes textes, comme on jette un os à des chiens affamés. Alors je pleure devant cette violence crue. Ils s'étripent pour quelques mots, prêts à toutes les bassesses, toutes les mesquineries. Ils ne comprennent pas. Ils ne comprendront jamais...
À cet instant, je me souviens pourquoi je me sens si bien dans le Labyrinthe, pourquoi la vue de mes semblables me répugne, pourquoi, pour rien au monde, je n'emprunterai la sortie pour retrouver l'extérieur. Il n'y a que dans le Labyrinthe que je suis heureux.
Moi... et mes démons.
Chuck Mac Cracker 10/01/19
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