Ma Vie en Flammes

6 minutes de lecture

Il est de ces jours, où la vie bascule, où tout se mélange, où tout se bouscule.

Il est de ces soirs où le temps s'arrête, rien qu'un petit instant, effleurer l'immortel.

Moi qui ne suis pas le plus émotif, moi qui suis loin d'un grand sensible, je n'ai pas réussi le lendemain de ce soir-là, à retenir mes larmes; en réalisant ce qui s'était passé.

C'était arrivé subitement, rien ne pouvait le prévoir, il y avait du monde, du bruit, de l'animation et des rires. Une soirée que je trouvais normale, mais qui a changé le reste de ma vie...

Je vais vous relater, -si vous voulez bien lire ces quelques lignes-, cette soirée qui a fait basculer mon existence plutôt joyeuse, dans le cauchemar.

Alexia me branchait, un verre vide à la main. Elle n'attendit pas que je lui propose, d'un signe de tête vers les boissons, de reprendre de la bière; et remplit son verre en continuant à jacasser comme une pie.

Moi, accoudé au buffet verni du salon, j'écoutai passivement la discussion de mes amis, avachis sur le canapé, un peu ivres.

"- Dis, tu m'écoutes toujours, hein!"

Alexia claqua des doigts sous mon nez. Je lui fis signe que oui, même si en réalité je n'avais pas la moindre idée de ce qu'elle venait de me raconter. Et comme d'habitude, (j'ai honte de l'avouer mais c'est vrai), je comptais sur mon handicap pour esquiver les embrouilles. Je suis muet; j'aurais dû naître sourd aussi peut-être, comme ça j'aurais une autre excuse pour ne pas avoir écouté Alexia, mais ne pas pouvoir parler me suffit. Il ne faut pas croire que je suis content d'être muet, j'essaie juste de trouver des avantages à l'être. Et vous n'allez quand même pas me critiquer, je suis handicapé!

"- Bref, comme je te le disais, il a un jacuzzi sur sa terrasse, il a des appartements luxueux partout dans presque toutes les villes de France, même en Suisse et aussi en Allemagne... Mais moi tu vois, c'est pas ce genre de mec qui m'intéresse. Lui, je l'ai quitté parce qu'il restait tout le temps chez ses potes, mais ça me soulait aussi qu'il soit si beau. Enfin tu vois, genre toutes les meufs le kiffaient et moi je restais à l'arrière... J'veux pas dire que j'aime être sous les yeux de tout le monde, mais quand même si, c'est ça. Et du coup, tu vois, comme je te disais: les mecs qui font briller leurs caisses, qui font vrombir leur moteur sur le passage des nanas, moi c'est pas ça qui me branche, tu piges? Le type de grand costaud j'aime bien, par contre. Comme mon ex, tu vois mon ex? Bah voilà. Et du coup, en fait, bah je trouve que toi aussi tu lui ressembles... Bon, toi tu... Enfin tu vois, quoi. On aura pas de très grandes discussions tous les deux, ça c'est sûr... Mais tu m'intéresses vachement."

Je ne l'écoutai plus depuis un moment, l'esprit plus occupé par une odeur de brûlé provenant, -il me semblait-, de la cuisine.

"- Mais après il faudrait que tu m'files ton num, histoire qu'on se perde pas de vue, ce s'rait trop bête, non? Bref, voilà quoi. Hé, j'ai pas l'impression que tu m'calcules? Ho, Thierry?"

Je m'approchai de la cuisine, les sourcils froncés. Personne ne semblait remarquer l'odeur prononcée de cramé qui flottait depuis une bonne quinzaine de minutes dans l'atmosphère irrespirable du salon. Tout le monde ou presque fumait.

J'allai atteindre la cuisine, lorsque Vincent Utron me bloqua le passage, tout sourire.

"- Hé, mais c'est notre ami Thierry? Dis donc, tu dis pas grand-chose, on a pas l'impression que t'es là!" Plaisanta-t-il en se tournant gauchement vers Capucine Florenbert et Jérôme Bresse. Je devinai qu'ils étaient tous les trois ivres.

"- Bon, Thierry, j'ai pas l'impression que tu t'amuses! Allez, viens jouer au billard avec nous!

Je refusai poliment d'un signe de la main, mais il m'entraîna malgré tout et me planta devant le billard. Trois types que je ne connaissais pas y jouaient. Je fus tenté de fausser compagnie à Vincent alors qu'il paraissait très absorbé par la partie.

Mais plus tôt que je ne l'espérais, on me proposa gentiment d'entamer une partie avec Capucine et Vincent. Le jeu se déroulait et j'oubliai peu à peu la fumée, peut-être aussi parce que j'avais encore bu.

Soudain Alexia débarqua, rouge de colère; à son expression furieuse je devinai qu'elle me cherchait.

Aussitôt, je laissai tomber ma canne, (alors que j'allai tenter un fameux coup), et m'éclipsai.

Vincent ouvrit de grands yeux ahuris, puis éclata de rire en apercevant Alexia.

Je me précipitai vers la cuisine et tout à coup j'eus un mouvement de recul.

De longues flammes orangées entamaient le couloir, s'immisçaient dans toutes les pièces et tentaient peu à peu de gagner le salon.

La panique m'envahit et mon esprit se brouilla.

La fumée, âcre et de plus en plus noire, se propageait rapidement; et je n'eus pas besoin d'avertir tout le monde car bien vite, tous réalisèrent que la maison de Vincent prenait feu.

L'air, déjà suffocant, devint irrespirable dans les secondes qui suivirent. Les invités, affolés, tentaient vainement de trouver une issue de secours. Vincent semblait de loin le plus déboussolé.

Terrifié, je courus aussi vite que je le pus vers la petite baie vitrée du salon. Je fus le premier à l'ouvrir, mais je ne voulais pas fuir sans m'assurer que tout le monde en sortirait sain et sauf.

La plupart des convives s'enfuirent en criant, tentant d'alerter les voisins en faisant le plus de vacarme possible. J'aperçus Capucine, la démarche gauche, se mettre dans un coin du jardin pour appeler les pompiers.

Soudain j'entendis un terrible grondement: l'étage supérieur s'écroulait. Je réalisai alors que le feu ne provenait pas de la cuisine mais de l'étage, où tout le monde s'était réuni un peu plus tôt pour fumer en papotant. Un mégot tombé par mégarde avait dû faire le reste et le feu, plutôt avancé à l'étage, n'avait pas tardé à entamer les escaliers, le couloir et la cuisine, puis s'était propagé avec une vitesse déconcertante, jusqu'au salon. Pourtant, nous aurions dû sentir l'odeur âcre de la fumée, les flammes au-dessus de nos têtes, éventuellement de la chaleur... Malheureusement, j'avais plus bu que je ne le pensais, mais de tous, je devais être le "plus sobre". Notre ébriété avait ralenti nos sens.

De plus, l'étage était tapissé de moquette, qui avait dû brûler très rapidement. L'incendie avait alors dû s'être propagé très vite, à partir de là.

L'horreur de la situation me cloua sur place: il y avait encore des invités dans la maison lorsque l'étage s'était écroulé!

Les pompiers ne tardèrent pas à arriver, ils parvinrent à éteindre le feu in extremis avant que celui-ci n'atteigne la maison des voisins. Nous nous étions tous réfugiés le plus loin possible des flammes, désorientés comme des oisillons tombés du nid. Personne n'osait évoquer la possibilité qu'il y ait eu des morts lorsque l'étage avait cédé.

Certains avaient pris leur voiture et avaient ramené le plus de personnes possible.

Je pris le volant trois heures plus tard, encore sous le choc. Les secours avaient signalé trois morts sous les décombres et un blessé: Jérôme.

Heureusement, son état n'était pas grave, il était conscient. En état de choc largement plus avancé que moi, il déclara s'être précipité vers la maison pour secourir Vincent, qui tentait de sauver le plus d'objets possible; mais avant d'atteindre la baie vitrée, l'étage s'était affaissé et il avait tout juste eu le temps de se projeter en arrière.

Alexia avait été retrouvée, le corps broyé sous les escaliers en ruine, ainsi que Vincent, lui aussi écrasé sous les décombres. Une autre femme, que je ne connaissais pas, était aussi décédée dans l'incendie, en tentant aussi de porter secours à Vincent.

Depuis ce jour, j'essaie d'imaginer ce qui se serait passé, ou plutôt tout ce qui ne se serait pas passé si Alexia n'avait pas, (sans le vouloir bien sûr), fait tomber ce mégot en le jetant approximativement dans le cendrier.

Oui, je me suis souvenu après coup d'avoir vu ce mégot à terre. Je l'avais remarqué tomber.

Je l'avais remarqué. Distraitement, comme à mon habitude. Alexia, elle, ne l'avait pas remarqué. Et si je l'avais prévenu? Tout aurait pu changer.

Si je n'avais pas été aussi passif, comme je le suis d'ordinaire. Trois vies auraient pu être sauvées.

Je suis en partie responsable de cette tragédie.

Et depuis, ma vie a changé, je ne dors plus. Les remords me poursuivent et croyez-moi, je ne suis plus passif...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Hedwige et sa plume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0