Vendredi 24 janvier

6 minutes de lecture

Je me suis réveillé dans un hôpital, il y a deux jours. J’y suis encore en observation. Il y a du monde. Je savais bien que je ne pouvais pas être le seul, avec toute la marmaille, à être resté. C’est rassurant, je trouve.

Un coup d’œil par la porte entrouverte de la chambre. Je viens de voir passer une femme, avec de longs cheveux blonds, attachés en chignon. Elle était en uniforme. Pompier, je crois. Il me semble avoir reconnu Coralie, mais je ne suis pas sûr.

Un médecin entre dans ma chambre, accompagné de plusieurs personnes, dont une élève infirmière que je connais. Grande-Julie me sourit, je lui renvoie la politesse. Ça s’arrête là. C’est ce que je n’ai jamais réellement compris avec ces hôpitaux. Les personnels doivent avoir la consigne de faire semblant de ne pas connaître les patients en dehors. Ça doit être lié au secret médical, quelque chose comme ça…

Après la rapide visite du corps médical, ses questions basiques, « Pouvez-vous me rappeler votre nom et votre date de naissance ? », « Vous avez mal quelque part ? », « Sur une échelle de 1 à 10, à combien estimez-vous la douleur ? », je me penche sur mes souvenirs.

Après avoir récupéré les prétendus monstres volants dont ce gros con d’Alban m’avait parlé, je suis rentré avec les filles à la base. Là, on a passé la nuit. Avant d’aller dormir, les petites m’ont fait un énorme calin. Coralie m’a remercié chaleureusement aussi, à sa manière. Elle a la peau douce, et un parfum sucré.

Et puis j’ai inspecté mon butin au petit matin. Pour la confirmation de ce que je subodorais. Les créatures en questions étaient des machines, des espèces de drones assez élaborés, équipés de sirènes, habillés de plumes, destinés à faire peur aux enfants. Une façon de les convaincre de rejoindre ces fous prometteurs d’Eden, je suppose. Je pense avoir bien fait d’emmener tout le monde avec moi.

Dans la journée, on a vu arriver ce gros con d’Alban, avec trois de ses potes, dans un véhicule militaire qu’ils ont dû recycler. Il m’a demandé ce que je foutais, avec les mômes, chez Hélène… Il m’a dit que, quand tout reviendrait à la normale, il demanderait sa main à celle qui est, désormais, mon ex-copine. Espèce de salopard !

Coralie est arrivée sur ces entrefaits, elle tenait la main de Petite-Julie. Ce gros con d’Alban m’a dit qu’il venait prendre les mômes pour les emmener dans son Eden à la con, qu’ils y seraient mieux qu’ici, avec moi. Quand je lui ai dit, avec mes mots à moi, qu’il pouvait toujours rêver, il a lâché ses chiens de garde. Je me souviens que les deux premiers paramilitaires ne m’ont pas posé de problème. Des amateurs que j’ai bousillés en deux temps trois mouvements. Le troisième était un peu plus expérimenté, sa douleur a duré un peu plus longtemps.

Et puis ce gros con d’Alban s’en est mêlé. Quand on est mal entouré, il faut bien faire le bouleau soit-même. C’est qu’il sait se battre, cet enfoiré ! On s’est mis une peignée digne d’Achille et Hector, ceux du film, pas ceux du poême. Sauf que là, pour une fois, c’est Hector qui a gagné. J’ai fini par lui péter un genou, j’ai bien dû lui casser quelques côtes, il a perdu des dents, aussi. Et puis, il avait une sale gueule, à la fin, allongé sur la pelouse d’Hélène.

De sa main gauche, la seule encore valide, il a sorti le flingue de l’étui qu’il avait à la ceinture. Il m’a visé, le coup a claqué. J’entends encore les cris de Coralie et de Petite-Julie. Je me souviens de ma vue qui se brouille. Plus vaguement, j’ai le souvenir des voix des autres marmots, catastrophés. Pas la peine de paniquer, ce gros con d’Alban devait être droitier.

Je m’aprête à quitter l’hôpital, je marche dans le couloir. Je passe devant des chambres occupées. C’est dingue, ils les ont trouvées où, toutes ces personnes ? Moi qui n’en ai vu aucune pendant quasiment deux mois…

Un coup d’œil devant moi. J’ai du mal à y croire, elle marche, d’un pas pressé, dans ma direction, les yeux au sol. Enfin, te voilà, Hélène, si tu savais comme je t’ai cherchée. Comme je suis heureux de te… Mais qu’est-ce qu’elle fait ? Elle tourne dans une chambre, à dix mètres de moi.

J’approche de la chambre, je passe la tête dans l’entrebâillement de la porte. Un type est là, couvert de bandages, de la tête aux pieds. Un plâtre autour du bras droit, un à la jambe gauche. On dirait que ce gros con d’Alban a du mal à se remettre de notre dernière rencontre…

Hélène se tourne vers moi, surprise, elle se lève de sa chaise, s’approche de moi, les larmes aux yeux, sans un mot, me ferme la porte au nez. Alors c’est vrai, elle s’est rapprochée de ce gros con… C’est navrant…

Je sors du bâtiment. Une vraie fourmilière… on dirait que tout est redevenu normal, en un mois. Je prends mon portable, j’appelle Sam, mon pote. Si tout est de nouveau comme avant, il va me répondre. Merde ! La messagerie. ! Je hèle un taxi, lui demande de m’emmener à la gare. J’essaie de rappeler Sam. Encore la messagerie. J’arrive à la gare, je paie le taxi, prends un billet de train. Je rentre chez moi. Dans le TGV qui me ramène, j’ai une place dans un compartiment, inoccupé. Ça tombe bien, je vais dormir un peu, je pense.

Le train vient de s’arrêter, je n’ai pas entendu à quelle gare. J’entends une voix qui appelle :

— Camille, Julie, laissez le monsieur, on sort du train, dépêchez-vous !

J’ouvre les yeux pour apercevoir deux fillettes poussées gentiment par celui qui semble être le père de l’une d’elles, et qui me présente des excuses pour les filles qui m'ont réveillé.

C’est bien, les petites ont donc retrouvé leur vie normale, apparemment. Je vais pouvoir me rendormir, on n’est pas encore à Dijon. Je me laisse bercer par le tata-tatoum du TGV.

Dijon, deux minutes d’arrêt, je descends sur le quai. Je vais me chercher une voiture à louer, pour finir le voyage. Il y a du monde partout. D’une certaine façon, je suis abasourdi par ce retour assez brutal à la normale. En fait, si je suis resté inconscient pendant un mois, et que l’anti-snap a eu lieu fin décembre, les gens ont dû s’habituer, déjà, à être ensemble, de nouveau. C’est sûrement pour ça, qu’ils n’ont pas l’air perdus, alors que moi, je ne sais plus trop quoi penser. Une location, soixante-dix kilomètres tout seul, dans le calme de la voiture, c’est ce dont j’ai besoin, là, tout de suite.

J’arrive chez moi, le village est calme, à peu près autant que quand je l’ai quitté. C’est presque rassurant. Je vois la vieille Marie, la maîtresse de Victoria. Je m’approche, lui demande comment elle va, où ils étaient ces derniers mois, tous… pour seule réponse à cette question qui semble tout à coup hors de propos, elle me dit que je devrais arrêter de faire la fête, que je finirai par y laisser toute ma tête… Puis elle me parle de son chien, elle se fait du souci pour Vicky, qui a l’air de déprimer, depuis quatre semaines.

— Elle mange à peine, elle se comporte bizarrement. Comme si ça lui manquait de ne pas vous voir, tous les jours, pour vous aboyer dessus et vous montrer les dents. Comme elle fait d’habitude, vous voyez bien. J’ai toujours eu l’impression que ça l’amusait de vous faire peur, cette andouille. D’ailleurs, je suis désolée pour la fois où elle a failli passer par-dessus la clôture pour vous dévorer. Je me souviens que vous aviez fait un écart énorme, vous aviez failli vous faire écraser par la voiture de la poste. Roger l’a emmenée chez le vétérinaire, on va voir ce qu’il dit. Ah tiens, puisqu’on en parle, les voilà qui reviennent. Vous devriez vous mettre à l’écart, le temps que Roger la sorte de la camionnette.

La camionnette, il a dû avoir du mal, mais il l’a retrouvée. Je ne me souviens même plus où je l’avais laissée. Roger entre dans sa cour, Marie referme le portail. Moi, je reste là, je tente ma chance. Le chien sort du van et se précipite vers la clôture, vers moi. Roger et Marie paniquent l’appellent à gorge déployée. « Vicky ! Vicky ! Viens ici ! ».

Un prénom aussi moche, même pour un chien, normal qu’elle n’y réponde pas. Victoria arrive à la clôture, se dresse sur ses pattes arrière et remue la queue, tire la langue. Je lui fais des caresses, sur la tête, dans le cou, sur les oreilles.

- Salut, bête de kien, alors comme ça, je t’ai manqué ?

Roger et Marie restent figés, la bouche ouverte.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire FredH ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0