Cou d'un soir
La jeune femme crie, mais elle a choisi la douleur. Ce n’est pas de sa faute, à lui, si elle préfère souffrir. Il relève la tête, l’observe un peu, puis reprend son œuvre. Évidemment, elle ne l’a pas cru lorsqu’il lui a assuré que la douleur serait insupportable.
L’Ancien Monde a laissé des traces dans les esprits. Il lui a pourtant expliqué que les fables d’autrefois n’avaient rien à voir avec la réalité. Il n’a pas de grandes dents, ni la capacité de l’hypnotiser. Servir de repas à un Vampire n’a rien de romantique. Dracula et ses amis n’étaient que des histoires. Les gens ont tendance à confondre la fiction et la réalité.
Elle fait un vacarme insupportable.
Pas moyen de lui faire entendre raison. Elle n’a pas voulu prendre le sédatif. Tant pis pour elle. En général, il ouvre une veine à l’aide d’un petit poignard qu’il affectionne particulièrement. Malheureusement, il n’avait pas prévu de faire une rencontre ce soir. Faute de mieux, il a dû déchirer la peau avec ses dents. Ce n’est pas beau à voir. Il est désolé pour elle.
Il aurait préféré qu’elle absorbe la drogue. Il aurait pu manger en paix.
Björn n’est pas quelqu’un de méchant. Il déteste la violence. La preuve, il ne se nourrit que sur des personnes consentantes. Pour être honnête, ce n’est pas bien compliqué. Quand on le voit, on devient très vite consentant quelle que soit sa proposition. Il paraît que les gens comme lui exercent une attraction surpuissante sur les gens normaux.
Il a un doute. Au milieu des hurlements de souffrance, la femme semble jouir.
Il est encore tombé sur une détraquée. Elles sont de plus en plus nombreuses à rechercher la compagnie des Vampires. Elles prennent des risques insensés. Certaines tombent sur de véritables fous. Ce n’est pas parce qu’on est Vampire qu’on jouit d’un esprit supérieur. Loin de là. Beaucoup ont une morale discutable. Encore que, les choses vont un peu mieux depuis quelques années.
La voix suraigüe lui vrille les oreilles. Il a l’ouïe particulièrement développée, comme les autres individus de son espèce. Cette folle le sait, mais elle beugle tout de même. Elle n’a vraiment aucun respect.
Il se redresse, aussi rassasié qu’agacé. Il n’aime pas les pensées qu’il vient d’avoir. Le lit est souillé. C’est terrifiant. Il se tourne vers le miroir en pied et observe son reflet. Son visage délicat est barbouillé de sang. Sa barbe est dans un sale état. Il faudrait qu’il pense à ne plus se séparer de son couteau pour manger plus proprement. Il attrape un vêtement au hasard et entreprend de s’essuyer la bouche.
Sa peau est particulièrement pâle. Il aime bien son corps. La croix brille sur son torse. La croix des Vampires. Il se perd un peu dans la contemplation de cette lumière qui dégage un mauve cru. Cette couleur lui va bien au teint. Il a de la chance. Son énergie vitale aurait pu être jaune ou, pire, rouge !
Il déteste le rouge. Ça fait vulgaire. Certains Vampires ont une croix qui luit de cette couleur. Ils sont souvent hautains, et peu subtils. Ils arborent cette énergie comme une fierté, car ça fait frissonner les humains. C’est ridicule. Il a remarqué qu’aucun Vampire d’énergie ne possédait une magie rouge. Elle semble réservée au Vampire de sang. C’est agaçant. Tous les Vampires de sang ne manquent pas autant de goût !
La femme roule sur le côté, tachant encore plus, si cela est possible, ses draps. Elle lâche un râle. Il se demande s’il doit lui signaler que c’est fini.
Il se concentre sur son reflet. Était-il aussi musclé avant sa transformation ? Il n’arrive pas à s’en souvenir. Sa vie d’avant est un peu confuse. Lorsqu’il a été marqué par la croix, il ne s’y attendait pas le moins du monde. C’était juste après l'Apocalypse.
Les premiers temps n’ont pas été faciles. Sergeï avait pris le pouvoir chez les Vampires, et il ne manquait pas d’exercer sa tyrannie sur les siens comme sur les humains. Quand Björn a rejoint Cracovie, la capitale Vampire, la ville semblait plongée dans la folie. Ça a duré deux ans.
A l’époque, il était très mal vu de ne pas torturer un humain avant de s’en nourrir. Et certains se faisaient un plaisir de suivre les préceptes sadiques de Sergeï. Les gens étaient devenus des marchandises. Déchus de leurs droits les plus élémentaires, ils servaient et mourraient.
Heureusement, c’est de l’histoire ancienne. La Reine a tué le chef des Vampires et remis de l’ordre dans ce Monde avant de disparaître. Une sacrée femme.
Depuis son intervention, donner la mort à un humain est, à nouveau, interdit. Le faire souffrir aussi. Björn en est ravi. Sauf quand il tombe sur une des ces allumées, qui veut se faire dévorer par un Vampire. Là, tout se complique. Elles attendent de souffrir, et n’en ont jamais assez.
Il se retourne et passe ses cheveux blonds derrière les oreilles. Il fait toujours ça quand il est nerveux. Il faudrait être plus malin à l’avenir. Ce n’est pas parce qu’elle est consentante qu’il doit se laisser aller.
Il se penche au-dessus d’elle. Son souffle est faible. Il va falloir attendre avant de lui faire le coup du mot sur la table de chevet « Merci, c’était super. On se revoit bientôt ».
Björn fait les cent pas. Ce n’est pas la première fois qu’il a un coup d’un soir comme celui-ci. A chaque fois, il se dit qu’on ne l’y reprendra plus. Mais l’appel du sang est implacable. Il a du mal à raisonner, quand la faim se fait ressentir. Et si elle crie, il a envie de la faire taire. Il n’aime pas penser du mal des gens, et ce genre de fille révèle tous ses bas instincts. Elles devraient porter un badge pour qu’il puisse les éviter facilement.
Il fait le tour de la chambre et se rhabille. Il vérifie qu’il n’a rien oublié dans ce taudis.
A l’occasion, il faudrait vérifier si la vieille magie ne peut l’aider dans ce genre de situation. Après tout, pour faire appel au pouvoir de la planète, l’Emanance, pas besoin d’être un Sorcier.
Il prend le poignet de la fille entre ses doigts. Plus de pouls.
Il soupire.
Il va encore devoir cacher un cadavre cette nuit.
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