22.

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Il s'était moqué de lui lorsque Hank s'était mis à faire ses premiers voyages vers les toilettes. Il avait ri en le voyant ressortir la peau du front humide et le teint pâle. Mais Freddy riait moins depuis une heure.

Pour lui, cela avait débuté par une douleur lointaine quelque part au milieu de son ventre. Un spasme tolérable et ne durant pas plus de cinq secondes dans les premiers temps. Et puis les douleurs s'étaient rapprochées, revenant par vague de plus en plus grandes et intenses. Il avait eut l'impression qu'on jouait un morceau de musique là-dedans. Que l'orchestre était sagement parti des plus basses octaves pour remonter lentement vers les aiguës. Et là c'était carrément devenu strident, à la limite du supportable. Début octobre, des masses d'air venant du Canada avaient provoqué les premières gelées durant une semaine. Puis il s'était mis à faire beau et à pleuvoir. Le temps idéal pour redonner vie à la gastro-entérite si chère à nos boyaux. Pour Freddy, il n'y avait pas encore eu d'évacuation ni par le haut ni par le bas. Il souffrait sagement sur le canapé, parlant de moins en moins et priant pour que le mal cesse. Mais il avait compris que ce qui lui tombait dessus n'était autre que ce satané virus.

Au bout de presque deux heures à souffrir, il se dit qu'un peu d'eau lui ferait peut-être du bien. Il se leva et sentit instantanément que la vidange se ferait par voie haute. La nausée lui chatouillait le ventre et il n'aurait suffit que de renifler une odeur malsaine de friture ou d'oignon pour humidifier le parquet.

Kennedy allait mieux de son côté. Il s'était installé autour de la table et souriait gaiment aux blagues que débitaient les autres. La place sur le trône était donc libre. Cependant, Freddy avait constaté qu'avec un seul chiotte pour une dizaine de bonhommes, ses habitudes seraient ébranlées. Sa mère travaillant avec l'espèce la plus contaminante que sont les enfants, elle lui avait inculqué une éducation stricte quant à l'hygiène. Fais ton affaire, fais la bien en visant bien. Mais surtout assieds-toi pour faire pipi. S'il y a bien une chose insupportable pour une dame, c'est bien de poser ses fesses sur une cuvette humide. Et par pitié mon garçon, lave-toi les mains. Freddy avait respecté sa volonté jusqu'à l'adolescence, époque où il avait entendu ses potes dire que pisser assis était un truc de gonzesse. Il s'était alors mis à asperger sans vergogne les lunettes de tous les wc de l'école. Tant pis pour ceux qui livreraient la grosse commission. Et puis sa nouvelle attitude de bonhomme s'était estompée, le naturel et le bon-sens reprenant le dessus.

À Corner Peek, aucune femme de ménage n'avait jamais mis les pieds. Les sanitaires étaient à charge des employés. Autrement dit : livrés à eux-même. Freddy savait qu'à peine entré dans les toilettes une baffe puante et magistrale l'aurait fait rendre tout ce qu'il avait ingurgité. Et ce, bien avant d'atteindre le bouillon de culture qu'était la cuvette. C'est pourquoi il enfila son manteau et sortit du chalet. L'air frais le raviva un temps. Si bien qu'il se dit que l'envie de vomir allait peut-être lui passer. Mais après quelques pas, la boule dans son estomac donna l'impression de gonfler bien au-delà de ses capacités.

Freddy inspira, se pencha et dégueula.

Il n'était pas du genre à contrôler l'aspect de ses reflux mais ayant ressenti une brûlure intense en envoyant le jet, il inspecta d'un rapide coup d'oeil ce que son corps avait refusé de digérer. Il y avait un peu de matière solide issue du déjeuner de midi, mais surtout de la bile gluante. La gastro. Belle et simple gastro.

Il patienta quelques instants histoire qu'un épisode de dégueuli ne revienne pas donner à manger à la faune, et alors qu'il se sentait revigoré et prêt à rentrer, il entendit des grognements pareils à ceux d'ours en pleine bataille.

Il remarqua rapidement qu'il s'agissait de deux types qui se roulaient par terre derrière un pick-up. Mais qu'est-ce qu'ils foutaient ici ces deux-là ?

Freddy s’approcha et reconnut le véhicule dans lequel ils étaient arrivés au matin.

— Rick ? C'est toi ? lança-t-il.

Il n'obtint qu'un cri étouffé en retour.

Freddy Nakata avait toujours porté une étiquette de poule mouillée dans son dos. Totalement non violent, cela faisait partie de l'éducation de son père pour qui le contrôle de soi-même était un maître mot. Pour le coup, pensa-t-il, ces deux-là ont l'air d'avoir perdu les pédales. Et d'ailleurs, qui est le second ? Si Rick était bien visible et semblait l'avoir reconnu, ce n'était pas le cas du deuxième gars qui, à califourchon, lui tournait le dos.

Il avança davantage et lorsqu'il fut à quelques mètres, il remarqua un fusil au sol.

— Ramasse-le, beugla Rick avant de se faire museler.

Mais il ignora le conseil, préférant ses méthodes pacifiques.

— Arrêtez ! Lâchez-le ! canonna-t-il d'une voix déraillant vers les aiguës.

Il se répéta plusieurs fois avant d'admettre que les mots et la raison ne suffiraient pas à calmer cet acharné. C'était à croire que Rick représentait tous les malheurs de sa vie et que ceux-ci venaient enfin de se matérialiser en un beau défoule-nerf humain.

Il dut donc se résoudre à ramasser l'arme, au moins pour menacer le type. Surpris par son poids, il l'épaula dans un premier temps en réitérant sa mise en garde.

— Lâchez-le ou je tire.

Le type ne bougea pas d'une once et envoya même un furieux coup de poing dans la mâchoire de Rick. Freddy refusant de se servir de la fonction principale de la Winchester, il l'utilisa comme d'une matraque et frappa la tête de l'assaillant avec la crosse. Le gars émit un bruit sourd et tomba sur Rick. Ce dernier le bascula avant de se redresser sur son séant et de tousser comme un tuberculeux.

— Ça va ? C'est qui bordel ? demanda Nakata.

Rick le regardait d'un oeil embarrassé. Comme s'il venait d'interrompre une phase secrète qui allait maintenant devoir être étalée aux yeux du monde entier.

— McPherson.

— Quoi ?

Il se pencha sur lui et fut à deux doigts de hurler en le reconnaissant.

— Mais qu'est-ce qui lui a pris ? demanda-t-il en commençant à inspecter son patron.

Rick haletait encore un peu. Même s'il en avait l'air et qu'il gueulait fort, ce n'était pas un bagarreur. Son créneau se situait plus dans une forme d'intimidation dissuasive. Il jappait et montrait les crocs comme un petit chien qui veut faire croire qu'il peut mordre n'importe quand, mais s'il fallait passer aux choses sérieuses, il n'était pas plus doué à se battre que deux gamins dans une cour d'école. La preuve en était que McPherson l'avait maitrisé assez facilement et l'aurait probablement complètement neutralisé si Nakata n'était pas intervenu.

Il observa son sauveur un instant. Ce dernier en fit autant.

— J'en sais rien.

— Il était à deux doigts de te zigouiller et tu sais pas ce qu'il te voulait ?

Rick expira en fixant ses bottes crasseuses.

— Tu peux garder un secret ?

— Oui, répondit-il instinctivement tout en inspectant McPherson. Je peux.

Et alors qu'il se redressait, il entendit Nakata murmurer :

— Oh putain. Oh putain !

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