30.
Le plus silencieusement possible et sans allumer la moindre lumière, Rick traversa le salon pour aller s’enfermer dans le garage, sans faire grincer la moindre charnière. Il avait eu envie de passer directement par l’extérieur mais le mécanisme produisait un tel vacarme qu’il aurait réveillé toute la rue.
Sur une console murale, il tâtonna jusqu’à palper le sac de sport. Quand il le toucha, ce fut comme mettre la main sur ce vieux paquet de clope oublié quand on est à sec. Décidément, tout filait comme sur des roulettes.
Au moment de retourner côté maison, il se demanda si le sac n’était pas un peu juste. Alors il se souvint en posséder un autre, plus petit, mais qui permettrait de faire la différence.
Les étagères contenaient un bordel aussi vaste qu’hétéroclite. Des cartons avec presque rien dedans, des bidons de lessive vide, des outils cassés, et tout un tas d’autres conneries qui encombraient chaque niveau. Toujours avec précaution, Rick déplaça chaque objet avec l’espoir de trouver le sac juste derrière. Sans succès. Puis en rangeant une caisse, il sentit quelque chose se dérober et tomber. Il passa une main entre le mur et les équerres, manqua de se couper sur des vis mal vissées qui débordaient, et extirpa une quelque chose de cartonné. Il se mit près de la petite lucarne qui éclairait vaguement la pièce. C’était le garage Parking Ramp d’Archie. L’emballage était un peu poussiéreux mais toujours aussi neuf. Rick souffla dessus et l’ausculta quelques secondes. Il se souvenait parfaitement de ce qu’il avait ressenti le jour de l’achat. Du bonheur que cela allait procurer à son fils. À ce moment-là, il ne se serait jamais douté que ce jouet demeurerait dans sa boite d’origine, à moisir entre des bidons de mayonnaise et une vieille gamelle dont le font avait cramé. Il s’était imaginé de longues parties de petites voitures, lui à tourner la manivelle du monte-charge, Archie à pousser les auto dans le toboggan et à se marrer. Un jeu simple qui l’aurait peut-être un peu emmerdé par moment, mais dont il aurait aimé se souvenir des années plus tard. Mais les années étaient passées, et aucune voiture n’avait jamais dévalé le long des glissières.
Rick abandonna l’idée du bagage supplémentaire. Il conserva le Parking Ramp sous son bras avant de le mettre dans le sac. Puis il prit la direction du salon et s’y figea au beau milieu.
Un calme étrange régnait dans la maison. Rick aurait même pu le qualifier de silence inquiétant, s’il avait éprouvé un peu de méfiance. Denise n’avait pas répondu au téléphone lorsqu’il avait voulu la faire prévenir de son retard. Et là, à son retour, à pas loin de minuit, elle brillait par son absence. D’habitude, elle ne dormait jamais à cette heure-ci – surtout s’il n’était pas encore rentré. Elle passait des heures devant la télé, à regarder des feuilletons complètement débiles et aussi niais qu’une vierge catholique. Et dès qu’il franchissait la porte, elle le regardait du coin de l’oeil et le sommait qu’il avait plutôt intérêt à se la fermer car c’était le dénouement de l’histoire. Généralement, il n’avait pas l’intention de lui parler et allait se manger un morceau.
Qu’elle soit déjà au lit était donc bizarre. Le film était sûrement à chier. À moins qu’elle ne se soit tapé une de ces migraines de bonne femme dont on a jamais l’explication.
Ou bien peut-être qu’elle n’en avait tout simplement plus rien à foutre après tout.
Il inspecta la table de la cuisine, les plans de travail. Tout était aussi propre que d’ordinaire. Hormis le fait qu’elle n’avait même pas laissé une assiette ou une casserole pour lui, rien ne semblait inhabituel par ici. Il ouvrit le réfrigérateur, prit une bière qu’il glissa dans le sac et inspecta chaque niveau. Rien. Il n’y avait pas le moindre plat à se réchauffer.
— La garce, dit-il.
Ça lui arrivait de rentrer à des heures pas possibles le week-end, mais il y avait toujours quelque chose à se mettre sous la dent pour aider à dessouler. Voilà, ils étaient visiblement entrés dans une nouvelle phase de leur couple, songea-t-il, celle où madame envoie balader monsieur rentre-tard.
Rick grogna :
— Qu’elle aille au diable.
Néanmoins le doute persistait. Qu’est-ce que ça lui coûtait de vérifier si elle pionçait après tout ? Il n’aurait qu’à contrôler si la couette se soulevait au rythme de sa respiration, et voilà. Ça ne l’empêcherait pas de transvaser ses dollars un peu plus tard.
Rick eut sincèrement envie de monter à l’étage, de s’appuyer contre le montant et d’observer sa femme dormir en se ressassant le bon vieux temps. Il voulut même lui écrire une lettre. Mais la porte de la cave le ramena à ses vieux démon, et il bifurqua vers l’entrée de la maison.
Il posa une main sur la poignée mais la lâcha. Il avait quand même une petite faim. Et contrairement à son genre d’appétit, une faim plutôt sucrée. Il retourna vers la cuisine, ouvrit le placard à bonbons et attrapa le premier emballage qui venait.
— Ça lui fera ça en moins sur le cul, marmonna-t-il en déposant le paquet de milky way entre la bière et le Parking Ramp.
Et il partit.
Annotations
Versions