1. Il ne portait pas de pull (3/3)

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   Dans la file d’attente de la cafétéria, il envoya textos sur textos, sans cesser un instant de danser d’un pied sur l’autre, puis, le moment venu, demanda à Thaïs ce qu’elle voulait – un cappuccino, merci –, paya la note d’autorité, lui colla sa boisson entre les mains et lui fit signe de le suivre dehors.

   Thaïs n’aimait pas sa façon d’être. Sa nature introvertie l’incitait à se méfier des gens survoltés, et lui, c’était une pile. Une pile qui la baladait d’un couloir à l’autre depuis maintenant un bon quart d’heure et Thaïs n’appréciait pas ce genre de balade.

   — Alors, t’es fan de Dante ? demanda le camarade de promo en tirant un paquet de clopes de sa poche.

   — Non, juste des citations lugubres, répliqua-t-elle avant d’allumer aussi une cigarette.

   — Elle donnait le ton, en tout cas.

   Thaïs ne répondit pas. Elle observait le sol détrempé que seul le soleil inondait à présent et savourait ce retour au calme, après ce qui lui avait fait l’effet d’une course un peu trop folle pour ce qu’elle était.

   — Ça fait drôle de revenir ici, reprit le garçon au bout d’un moment, toujours en dansant d’un pied sur l’autre. Je me sens vieux.

   L'étudiante reporta son attention sur lui, ne sachant trop que répondre. Elle réalisa cependant qu’en effet, il était vieux. Oh bien sûr, pas vieux-vieux, il ne devait pas dépasser la trentaine ; mais la trentaine, c’était toujours une dizaine d’années de plus qu’elle. Et de pratiquement tous les autres, alentour.

   — Tu reprends tes études ? questionna-t-elle.

   — Ouais. Enfin, je vais essayer. C’est dur une fois qu’on est dans la vie active.

   — J’imagine.

   Non, elle n’imaginait pas, elle n’avait simplement rien d’autre à dire. Elle pensait de nouveau à sa lettre de motivation, à l’aménagement de son cocon. Entre deux taffes, elle observait aussi l’homme – elle eut une pensée pour sa mère qui prétendait qu’avant trente ans, les garçons n’étaient pas « finis ». Quelque chose la chiffonnait. Le gars n’avait pourtant rien d’exceptionnel : il la dépassait d’une tête, mais comme sa tête à elle ne s’élevait pas bien haut au-dessus du sol, on ne pouvait le qualifier de géant ; il n’était ni beau ni laid, quoique ses lèvres trop épaisses au goût de Thaïs auraient plutôt eu tendance à faire pencher la balance du mauvais côté, tout comme sa peau grêlée – le pauvre, son acné avait dû le malmener sévèrement à l’adolescence.

   Un nouveau changement de posture provoqua un déclic chez la jeune femme : il bougeait trop, voilà ! Constamment ! Il n’avait pas arrêté de se trémousser sur sa chaise en classe et semblait monté sur ressort depuis la sortie du cours. À présent encore, bien que statique, il tirait sur sa clope avec une nervosité manifeste et secouait régulièrement la tête, comme assailli d’idées qu’il ne partageait pas. Mais non. Non, c’était encore autre chose.

   — Je m’appelle Sourou, au fait, reprit-il. Et toi ?

   — Thaïs.

   — Cool. On se voit demain ?

   — Tu ne viens pas aux cours suivants ?

   — Non, je peux pas aujourd’hui.

   C’était ça, comprit Thaïs. Ce truc qui la dérangeait : le mec se comportait comme un touriste ! Il ne trimbalait ni sac, ni pochette, ni rien. La séance terminée, il avait fourré son unique feuille A4 et son unique stylo dans une poche de son manteau et était reparti comme il était venu, les mains libres, comme s’il ne devait sa présence qu’au hasard d’une balade. Et maintenant il s’en allait, comme ça.

   Sourou écrasa sa cigarette, salua Thaïs et papillonna hors de l’enceinte de l’université. Il venait de tourner le coin du bâtiment lorsque l’étudiante prit conscience d’un autre détail curieux. Quand l’avait-elle remarqué, elle n’aurait pu le dire, mais elle le savait, c’était sûr : sous son manteau de peau lainé, il ne portait qu’un débardeur. Son subconscient lui renvoyait maintenant l’image d’un carré de peau couleur café vêtu de coton blanc. Un débardeur, pas un T-shirt, elle en mettrait sa main à couper. C’était étrange, ça. Elle ne comprenait pas pourquoi, ne se l’expliquait pas, mais ce détail-là, c’était ça, précisément ça qui la turlupinait et la tarabiscoterait toute la matinée : il ne portait pas de pull.

*

N'hésitezpas à me dire ce que vous pensez de mes personnages et de ce premier chapitre, à présent terminé :)

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