4. Il n'est pas certain que je survive à Justine (1/3)

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4. Il n'est pas certain que je survive à Justine

   Thaïs s'était trompée : Sourou n'avait rien d'un papillon quand il se déplaçait. Il ne sautait pas de fleur en fleur, ne changeait pas de route au gré des courants d'air. Au contraire, il maîtrisait tous ses écarts et décidait de la façon de se rendre d'un point A à un point B pour interagir avec les autres en pleine conscience. Au terme de cette deuxième journée, après quatre heures dans son giron pendant lesquelles l'étudiante rencontra sans doute plus de monde qu'en ses dix-neuf années d'existence, elle réalisa qu'en fait... il dansait.

   Il avait dansé comme au temps du disco, la veille. Dans une sorte de remake de la célèbre scène de La Fièvre du Samedi Soir, il s'était lancé à la conquête d'un espace qui s'élargissait sur son passage, virevoltant ici et là sans marquer d'arrêt, son corps propulsé vers l'avant puis vers l'arrière, à gauche, à droite, à la recherche d'un partenaire de jeu. Aujourd'hui encore il dansait, mais différemment : il glissait sur le sol, comme s'il exécutait un moonwalk vers l'avant, fendait l'air avec assurance et ses mouvements coulaient de source. C'était fluide. Fluide pour lui, oui, mais pas pour Thaïs, dont la raideur naturelle sur le dance floor lui avait valu le surnom de Bambou dans sa famille. Sa sœur le considérait même comme son prénom officiel.

   Marcher au côté de Sourou se révélait perturbant. Elle, dont la trajectoire ne connaissait quasiment que des lignes droites ponctuées d'angles droits, s'agaçait des hachures que les haltes répétées de son camarade lui causaient. Estimait-il sa journée perdue s'il n'adressait pas la parole à chacune des âmes qu'il croisait dans un couloir, ou un truc comme ça ? Malgré tout, elle appréciait sa compagnie aujourd'hui. Certes il gigotait constamment, mais se montrait plus serein que la veille. Il s'enthousiasmait d'un rien, plaisantait beaucoup, s'intéressait aux autres et trouvait une parole bienveillante pour tout le monde. Il rayonnait. Et c'était agréable. Thaïs ressentait sa présence comme une bulle d'air frais, une fenêtre ouverte sur l'été tout juste achevé. Elle le ressentait d'autant plus qu'Edwige était revenue crispée de son déjeuner et semblait se faire un devoir de peindre des nuages gris dans le ciel bleu. Elle n'avait consenti à se dérider qu'au moment des présentations, en expliquant à Sourou qu'elle entamait ce cursus après avoir obtenu tour à tour une licence d'histoire et de philosophie.

   — J'aime étudier, avait-elle affirmé. J'ai la chance de ne pas devoir m'inquiéter pour l'avenir, alors je m'instruis.

   Aucun n'avait demandé ce qui la mettait si bien à l'abri des aléas de la vie : à l'évidence – quoi d'autre ? –, elle venait d'une famille particulièrement aisée. Cette confidence passée, Edwige s'était murée dans le silence, hormis pour de brèves questions durant les cours. Thaïs aimait bien ses interventions. Les mots qui sortaient de sa bouche sonnaient comme des pointes de ballerine caressant le parquet d'une scène en toutes petites foulées. C'était doux et gracieux. Elle lui enviait ça. Cette éloquence, cette prestance, cette sérénité née de la certitude que tout irait bien, quoi qu'il advienne. Sourou ne paraissait pas aussi impressionné. En fait, Thaïs sentait qu'un fossé s'était creusé entre lui et Edwige depuis l'évocation de ses diplômes. Il ne l'enviait manifestement pas. Ou peut-être que si, d'une certaine manière, dans la mesure où Thaïs avait cru percevoir dans le ton sur lequel il avait livré sa réponse un mélange d'amertume et d'agacement.

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