7. Elle s’en allait à regret (1/2)
Pour l'ambiance musicale : https://www.youtube.com/watch?v=6oQnDbhrCgU&ab_channel=Deluxe
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Alcool de riz et pastèque : ainsi se composait, dans les grandes lignes, le Saïgon magique de Paulo. Il passait bien, celui-là. Très bien, même ! Thaïs se mit à parler de plus en plus vite et à rire de plus en plus souvent sans s’en rendre compte. Jusqu’au troisième verre.
Je gère ! se réjouit-elle intérieurement tandis qu’elle traversait la salle et gagnait les toilettes. Puis le mouvement de la porte qu’elle ouvrait la propulsa vers l’avant, et l’étudiante comprit qu’en fait, non, elle ne gérait plus. Saleté de paille ! Traitresse qui t’envoyait des flots de liqueur bien planqués sous une tonne de sucre au fond du gosier ! Thaïs prit soudainement conscience du poids de sa tête sur ses épaules. Boudiou, fallait le porter, le machin ! Verrouiller derrière elle se révéla plus ardu que prévu. La jeune femme observa son bras se lever pour atteindre le loquet. Il se mouvait avec une telle lenteur… le bar fermerait avant qu’elle touche au but, à ce train-là. Thaïs s’esclaffa. Pendant un instant, elle se vit de l’extérieur, affalée contre le panneau de bois et gloussant comme un dindon en essayant d’attraper cette fichue languette de cuivre qu’il lui faudrait ensuite pousser vers le haut puis vers la droite pour sécuriser l’accès – un jeu d’enfant qu’elle savait hors de portée pour l’heure –, et son hilarité redoubla. Allez cocote, tu peux le faire…
Sa vessie se rappelant à son bon souvenir, l’étudiante dut se résoudre à abandonner. Elle se soulagea en prenant soin de garder un bras tendu devant elle au cas où quelqu’un chercherait à entrer ; le ridicule de sa posture l’amusa presque autant que son incapacité à tirer le verrou. Elle se payait une bonne cuite.
En position de squat, trente centimètres au-dessus de la cuvette, Thaïs regarda les murs trembler au rythme de la musique qui pulsait dans la salle voisine et se mit à réfléchir. Actuellement, elle estimait se trouver dans la Phase 1 de sa bitture : elle aimait les gens. Elle leur parlait volontiers et les considérait tous comme des potes par défaut. Néanmoins, elle savait encore se tenir et pouvait faire illusion. Mais plus pour longtemps. Sans nourriture pour éponger le liquide dont elle s’inondait l’estomac, elle attaquerait bientôt la Phase 2 et l’on pourrait mesurer son taux d’alcoolémie au premier regard. Elle arrêterait aussi de parler, et prendrait toute la gent féminine en grippe, car pendant la Phase 2, ses hormones se déchaînaient. L’alcool lui provoquait des envies de sexe dévorantes. Des injonctions au plaisir. Plaisir bien souvent déçu, au final, enfin la question n’était pas là, pas encore. La question, c’était : fallait-il appeler Sasha à la rescousse avant de faire n’importe quoi ou se laisser vivre, histoire de voir comment on s’en sortait ? Jamais encore l’occasion d’agir bêtement ne s’était présentée. Jusqu’ici, Thaïs avait toujours eu de la compagnie : sa sœur, leurs amis, ou son mec, ce qui la dispensait de faire son marché parmi les inconnus. Or ce soir, elle était seule. Seule avec Sourou. Sourou, le camarade de promo. Sourou, le mec qui ne lui avait pas plu au premier regard mais que le sourire lumineux rendait envisageable. Seule avec des tas d’étrangers. Des gars qu’elle pourrait piocher au hasard, et potentiellement regretter d’avoir suivis ou ramenés chez elle. Mauvais plan, ça, mauvais, mauvais…
Plongée dans ses réflexions, Thaïs se rhabilla, se lava les mains et retourna à sa place. Sourou avait commandé une nouvelle tournée entre-temps, mais discutait avec une autre fille. Femme. Meuf. Greluche ? Ouais, voilà : greluche. Décolleté invitant, sourire aguicheur et culotte humide – probablement. Sentant la jalousie lui serrer les mâchoires, Thaïs fendit l’espace encore raisonnable qui séparait les tourtereaux, saisit son verre, recula de quelques pas et sortit son téléphone. Il lui restait assez de lucidité pour reconnaître qu’elle prenait la mauvaise pente. Sasha devait la sortir de ce bar avant qu’il ne soit trop tard.
Furieuse que ses messages aient été ignorés deux heures durant, la frangine commença par déverser tout son fiel dans le combiné sans la laisser en placer une. L’aînée attendit la fin du monologue en sirotant son cocktail, un regard peu amène braqué sur la nana qui monopolisait Sourou.
— Je débute la Phase 2, annonça-t-elle simplement lorsque Sasha se tut.
— Dis-moi où t’es, je viens.
De l’avantage d’avoir une sœur qui vous connaissait par cœur…
Coordonnées prises, la cadette estima pouvoir arriver dans vingt minutes. Elle recommanda à Thaïs de ne parler à personne et de poser son verre, d’ici-là. Quand l’étudiante raccrocha, Sourou était de nouveau libre et observait sa camarade en souriant. Thaïs aimait beaucoup ce sourire. Il lui donnait chaud. Un peu trop. Elle ôta son pull, le jeta sur son tabouret. La température ne redescendait pas.
— Je vais fumer, déclara-t-elle tout à trac.
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