25. Tout ce que tu veux !

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25. Tout ce que tu veux !

   « ... pris les polycopiés, également. Je peux te les apporter ou les conserver jusqu’à ton retour, à ta guise. N’hésite pas à m’appeler s’il te faut autre chose, mes hommes s’absentent tout le week-end donc je serai assez disponible. Bon rétablissement si tu es souffrante et peut-être, en tout cas je l’espère, à lundi ! Bise. »

   Thaïs raccrocha et balança son téléphone sur une chaise tandis qu’un soupir coupable lui soulevait la poitrine. Les partiels du premier semestre débutaient dans un peu plus d’une semaine, et elle venait de sécher deux journées complètes. D’après son message, Edwige avait eu la gentillesse de lui prendre une copie des documents distribués et de signer à sa place les feuilles de présence quand il en circulait ; son quota d’absences restait donc intact, mais Thaïs allait devoir opérer un sérieux changement d’attitude vis-à-vis de ses études. Non pas qu’il fût trop tard pour s’en sortir aux examens, le travail régulier et rigoureux fourni jusque-là lui sauverait sûrement la mise, mais l’intérêt, la motivation à s’y remettre ? C’était une autre affaire. Ses attraits actuels, symbolisés par une pochette à l’effigie d’une boutique de lingerie rapportée plus tôt dans la matinée, la conduisaient dans une direction tout à fait différente.

   Sourou n’avait pas tari d’éloges sur les sous-vêtements dont il l’avait effeuillée avec une lenteur presque religieuse et l’évocation de ses pièces et tissus favoris n’était pas tombée dans l’oreille d’une sourde. En pénétrant dans le magasin, Thaïs savait précisément vers quel secteur se diriger et, clairement, ce n’était pas celui des culottes gainantes. Sa carte de paiement mettrait un certain temps à refroidir après ça, mais l’étudiante n’en éprouvait nul remords : la promesse d’aventures que Sourou incarnait valait bien un coup de fil alarmé du banquier. Enfin, si Sourou revenait, car les heures l’avaient avalé aux premières lueurs du jour, et toujours pas recraché.

   Typique, songea la jeune femme avec résignation. Pas grave, elle ne manquait pas d’occupations de toute façon : descendre à la laverie, faire quelques courses, s’épiler – Sourou s’en foutait, certes, mais il n’effacerait pas des années de formatage d’un claquement de doigts, fût-il bien exécuté –, nettoyer l’appart’... potasser.

   Thaïs fit tout ça, précisément dans cet ordre – à l’exception de la dernière corvée –, avant de voir son partenaire pointer le bout de son nez. Et à la seconde où celui-ci franchit le seuil, elle sut que le vent avait tourné. Pas tant parce que Sourou paraissait mal à l’aise, ni même à cause de son regard préoccupé, non : à cause de ses pieds.

   Un pas en avant, deux pas en arrière, pivot, pause ; un pas en avant, deux pas en arrière, pivot : la valse-hésitation de ses orteils était éloquente.

   Quoi encore ? soupira l’étudiante à part elle.

   Quel lapin allait-il sortir de son chapeau cette fois-ci ? Après l’ex, la fille, la vie désordonnée, quel prétexte concocté dans sa cuisine de matière grise s’apprêtait-il à servir pour ne pas aller au bout de ce qu’il se bornait à commencer avec elle ?

   L’étudiante referma la porte d’entrée. Dépassant Sourou dans la plus grande ignorance, elle s’assit ensuite à son bureau, ramena un genou sous son menton et attendit, un regard peu amène braqué sur lui.

   — J’ai pensé à rapporter ton écharpe, dit-il en la déposant près d’elle.

   Attention, geste et information qui ne suscitèrent chez Thaïs qu’un clignement de paupières indifférent, tandis que lui se frottait l’arrière du crâne, un peu nerveusement.

   — Bon, je vais pas tourner autour du pot, attaqua-t-il alors que ses jambes entamaient une nouvelle gigue, je pense qu’on devrait arrêter de se voir.

   La jeune femme se fendit d’un rire mauvais. Son regard dévia de Sourou vers le mur voisin tandis qu’elle se passait la langue sur les dents puis se mordait la lèvre. Ce mec était la caricature de lui-même, il ne s’en rendait même pas compte.

   — Dis-moi pourquoi, l’invita-t-elle à continuer d’un geste blasé.

   L’expression embarrassée de Sourou se mua en reproche. Thaïs le vit osciller entre hésitation, détermination, culpabilité, colère ; il ne devait pas faire bon séjourner dans sa tête.

   — J’ai pas de place pour une relation sérieuse, finit-il par décréter alors que ses pieds se remettaient à danser. Pas de temps, et pas de moyens.

   Il s’immobilisa pour allumer une cigarette, recracha la fumée. Son regard errait dans le vide, Thaïs n’était même pas sûre qu’il fût encore conscient de sa présence.

   — Tu vas passer à côté de ta vie avec moi, tes études, tes potes. Je suis pas un mec qui va en soirée, je vais pas au restau, j’ai rien à t’offrir et rien à t’apporter, enchaîna-t-il, de plus en plus agité. Je peux pas m’occuper de toi.

   La vache ! songea la jeune femme qui sentait ses sourcils se percher de plus en plus haut sur son front et sa mâchoire se relâcher au fil des allées et venues. Il est parti loin...

   — Et moi aussi j’ai des trucs à faire, je peux pas m’enfermer avec toi comme ça et tout négliger ! C’est pas comme ça que ça marche, tu comprends ?

   — Bah, euh... non, fit l’étudiante en secouant la tête, reprenant ses esprits tant bien que mal. Tu...

   Un rire tendu s’égara hors de sa gorge. Elle ferma les yeux, pinça l’arête de son nez quelques secondes, rouvrit les paupières, replaça une mèche de cheveux derrière son oreille, changea de position sur sa chaise pour s’asseoir en tailleur.

   Non, elle ne comprenait pas. En fait, elle ne comprenait rien.

   — J’apprécierais que tu me laisses décider de ce que je cherche ou ne cherche pas chez toi, pour commencer, s’efforça-t-elle de répondre calmement. Et je... tu peux t’arrêter de bouger deux secondes, s’il te plaît ?

   Cet arpentage incessant devenait infernal !

   À contrecœur sans doute, et au prix d’un gros effort, Sourou reprit le contrôle de ses pieds et les ramena vers le lit, où il s’assit. Sa cigarette écrasée, il voulut en allumer une autre et se ravisa, déçu, devant son paquet vide.

   — Tu foutras pas mon avenir en l’air parce que j’ai manqué deux jours de cours, reprit Thaïs. Et quand bien même je me planterais, ce serait de ma faute, pas de la tienne, parce que je suis une grande fille et que je prends mes décisions toute seule, bonnes ou mauvaises. D’accord ?

   L’assentiment tarda à venir. Sourou tenait son visage tourné vers le sol, offrant un point de vue très net sur ses narines frémissantes. Thaïs patienta jusqu’à ce qu’il hoche la tête.

   — Bien. Autre chose : je ne danse pas – et en disant cela, elle appuya sur chaque syllabe. Je te l’ai dit le premier soir. Les j’avance, tu recules, très peu pour moi. Donc je ne vais pas te supplier de... je sais même pas de quoi en fait, j’ai pas saisi ce que tu voulais dire, mais je ne vais pas faire l’aumône, en tout cas. On se voit, on se voit pas : je prends les choses comme elles viennent, moi, j’en demande pas plus. Soit ça te convient, soit ça te convient pas, mais tu ne choisis pas ton camp selon ce qui t’arrive dans la journée. Je te suivrai pas sur ce terrain-là.

   Sa tirade achevée, le silence investit la chambre et Thaïs sentit quelque chose d’étrange la traverser. Elle prit conscience de sa posture, bien droite ; de son timbre de voix, assuré ; même de son regard, fixe et résolu ; soudain, elle réalisa qu’elle se sentait femme et non plus fille. Cela la rendit étonnement zen.

   « Donc juste un plan cul. » C’était drôle, elle s’était presque sentie insultée par la conclusion lapidaire de Sasha la semaine précédente ; comme si sa sœur avait insinué qu’elle ne se respectait pas. Or ça, c’était un principe de leur mère, un principe que Thaïs aussi avait repris à son compte sans y réfléchir ni y apporter la moindre nuance. Mais elle venait de se réapproprier le concept.

   On aurait pu faire valoir qu’elle proposait bel et bien un plan cul en substance, mais non, c’était moins tranché que ça. Ce qu’elle suggérait, c’était simplement de se laisser vivre : leur relation évoluerait peut-être ou peut-être pas, quelle importance ? Il n’était pas nécessaire de tout nommer. Une fois nommées, les choses devenaient connotées, alors que la curiosité qui l’animait était neutre.

   Non, elle n’était pas obligée d’observer les préceptes de sa famille ou de la société ; non, elle n’était pas tenue au romantisme ; oui, elle pouvait décider par et pour elle-même, se créer ses propres codes, et oui, les choses pouvaient tout aussi bien se passer. Ou mal tourner, on s’en fichait ! Du moment qu’elle choisissait.

   Un sourire discret lui étira les lèvres. C’était donc ça, le truc étrange qu’elle venait de ressentir : l’envol de son indépendance. Pour la première fois, elle prenait conscience de sa personne et s’assumait. Et, aussi paradoxal et ironique que cela pût paraître, c’était Sourou, avec les injonctions à s’accepter telle quelle et à se faire confiance qu’il multipliait depuis des mois, ses allées et venues sur l’échelle de l’équilibre, c’était lui, à force de la faire tourner en bourrique, qui avait rendu ça possible.

   Une nouvelle fois, Thaïs faillit se mettre à rire.

*

   OK, OK. Donc, là, elle avait complètement inversé les rôles. C’était elle l’adulte de trente piges, et lui le poussin qui sortait de l’œuf. Elle qui abordait les choses simplement, et lui qui s’encombrait de conneries conformistes.

   Sourou avait envie de rire. De lui-même, et pas de gaieté. Il se sentait vraiment con ! Thaïs ne demandait rien, non, jamais. Aucun message, aucun appel, pas même l’ombre d’un reproche ne lui parvenaient quand il disparaissait. Mais lui... Lui nourrissait des ambitions plus grandes à son sujet. Elle méritait mieux que ça, mieux que lui, mieux que l’incertitude permanente qui l’habitait.

   — J’ai pas besoin que tu t’occupes de moi, souffla Thaïs, toute proche.

   Plongé dans ses réflexions, il n’avait pas remarqué que l’étudiante quittait sa chaise et venait à sa hauteur. Le temps qu’il réalise le déplacement, elle s’invitait sur ses cuisses et repoussait son buste vers le matelas d’un geste affirmé.

   Sourou contempla son visage en contrebas. Elle ne souriait pas, n’affichait qu’une détermination farouche. Il vit encore resurgir son côté punk et le sang afflua massivement dans sa région pelvienne. Il se sentit frémir. Thaïs posa alors une paume sur son ventre. Sans même avoir l’air de bouger, elle entreprit d’exercer contre son entrejambe des pressions discrètes, intermittentes, telle une Amazone entamant sa chevauchée confiante, un rictus satisfait à peine visible au coin des lèvres. Cette fille le retournait. Un peu plus chaque fois qu’il la regardait.

   La jeune femme ôta son t-shirt sans interrompre son manège, révélant un soutien-gorge de tulle chair aux arabesques noires qui se fondait sur ses seins comme une peau striée de veines de velours. Sourou se prit de passion pour leur tracé.

   — Je me fous d’aller au restau, affirma Thaïs avec une assurance qui s’avéra pour lui tout aussi incendiaire que ses gestes.

   Il posa des mains avides sur ses cuisses, voulut se redresser pour l’embrasser, mais fut repoussé, ses mains stoppées net dans leur ascension vers le creux de l’aine par l’étudiante qui les emprisonna entre ses doigts fermes et les ramena, sans appel, par-dessus la tête de sa proie. D’un geste de la nuque, elle dégagea ensuite son visage de la crinière de boucles qui le masquait et vint glisser ses lèvres dans le cou de son partenaire, les dents et la pointe de sa langue s’aventurant lascivement du côté de l’oreille.

   — Je m’en tape des soirées, susurra-t-elle entre deux morsures du lobe.

   Sourou sentit la pression sur ses poignets se relâcher. Il crut pouvoir enfin user de ses mains, mais Thaïs repartit en sens inverse, soulevant son T-shirt tout au long de sa descente pour goûter sa peau, un baiser après l’autre, plus bas, toujours plus bas, faufilant son corps entre ses cuisses, jusqu’à l’extrémité supérieure de son jean dont elle détacha le bouton, ouvrit la fermeture. Genoux au sol, elle leva vers lui un regard provoquant tandis qu’elle libérait sa verge et l’emprisonnait entre ses phalanges pour la porter à sa...

   — Oh, Thaïs !

   Sourou émit un rugissement sauvage. Thaïs déployait un talent qu’il ne lui connaissait pas encore et il lutta pour garder les yeux ouverts. Il voulait voir, la voir, mais, bordel, le plaisir dépassait tout, le clouait au matelas, lui coupait le souffle ! Il n’émit bientôt plus que des râles formés de monosyllabes, et finalement, même le prénom de sa muse devint trop long pour sa capacité d’élocution.

   Alors Thaïs cessa toute activité. Elle se remit debout, retira le reste de ses vêtements et revint, sadique, se placer au-dessus de son partenaire qui haletait, à sa merci.

   — Je t’en demande pas plus que ça, lui murmura-t-elle à l’oreille, juste avant de porter le coup de grâce d’un basculement sec.

   Sourou se crut sur le point de clamser. En proie à une fibrillation inquiétante, il se cramponna à ses hanches.

   — Tout, pantela-t-il. Tout ce que tu veux !

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