Épilogue
— Pffff ! C’est quand qu’on arrive ?
— On y est presque.
— Tu l’as déjà dit tout à l’heure !
— C’est normal, c’était il y a deux minutes. Tu sais, ce n’est pas en posant la question sans arrêt que nous y parviendrons plus vite.
La plus jeune des deux enfants s’arrêta, croisa ses bras, fronça les sourcils et gonfla ses joues.
— J’en ai marre de marcher.
La grande sœur lui lança un regard exaspéré.
— Tu n’es qu’une petite paresseuse, Aisa !
Les yeux de la fillette se remplirent de larmes.
— C’est pas vrai ! Je ne suis pas paresseuse ! Tu es méchante Cinia !
Aisa hoqueta éprise de sanglots. L’adolescente en fut embarrassée. Elle souhaitait révéler une belle surprise à sa petite sœur, mais à la place elle la faisait pleurer. Cinia s’approcha, s’agenouilla afin de se mettre à son niveau, puis lui murmura :
— Tu veux monter sur mon dos ?
Le visage mouillé de l’enfant s’illumina. L’adolescente se retourna et lança d’un air espiègle :
— Allez, dépêche-toi avant que je ne change d’avis.
Aisa s’agrippa à Cinia et toutes deux poursuivirent leur chemin à travers les arbres centenaires.
Les bois de la Bergésir étaient, à présent, une forêt sûre et accueillante. Mais cela ne dispensait pas de rester vigilant, car les fées et les lutins pouvaient se révéler d’humeur facétieuse et égarer les promeneurs imprudents. Une fois lassés d’avoir tourmenté leur victime, ils finissaient par les laisser reprendre leur route, comme par enchantement.
Cela faisait quinze ans que le bisclaveret n’était plus qu’une vieille légende, que les tricoteurs d’histoires narraient au coin du feu.
Les deux jeunes filles arrivèrent à destination.
— Eh, Aisa ! Regarde un peu ça !
L’enfant tendit le cou pour découvrir par-dessus l’épaule de Cinia le paysage qui s’offrait à elle. Une clairière verdoyante et parsemée de fleurs s’étendait devant ses yeux. Mais ce qui attira l’attention d’Aisa était un étang dont l’eau cristalline apparaissait telle une invitation à la baignade.
L’adolescente aida sa petite sœur à descendre puis lança malicieusement :
— La première à l’eau a gagné !
Toutes deux coururent en riant à travers les herbes hautes. Une ombre traversa la clairière. Surprise, Cinia s’arrêta et observa le ciel. D’abord éblouie par le soleil, elle plissa les yeux et distingua une forme ondulante. Le visage de l’adolescente s’assombrit puis se teinta progressivement de terreur. Un serpent ailé géant survolait la Bergésir. Sans réfléchir, elle saisit Aisa par la main et l’emmena se cacher derrière un rocher. L’enfant ne comprit pas la panique qui s’empara de sa sœur. Elle lui fit signe de se taire. Le regard apeuré de Cinia l’incita à obéir. Toutes deux se blottirent l’une contre l’autre en tremblant. L’aînée espérait que la créature ne les avait pas vues. Un lourd silence pesait dans la clairière. Cinia tendit l’oreille. Les clapotis de l’eau se mêlaient aux bruissements d’une légère brise, mais aucun chant d’oiseau ne se faisait entendre. Rien.
C’est alors que, dans un fracas terrifiant, la bête se posa devant elles. L’adolescente avait vu juste : une Wiverne. Le reptile ailé les avait malheureusement repérées. La créature prit une profonde inspiration. Cinia savait très bien ce que cela signifiait : une haleine de feu s’abattrait sur elles et les carboniserait toutes les deux. Elle serra sa petite sœur de toutes ses forces. Même si elle était incapable de la protéger, elle pouvait la préserver du spectacle de leur fin inéluctable. Elle ferma les yeux à s’en fendre les paupières. Elle entendit un objet fuser dans l’air et se planter quelque part. Une chose tomba au sol dans un terrible tremblement.
Plus rien.
Elle attendit quelques secondes avant de se décider à regarder. C’est alors qu’elle vit avec stupeur la Wiverne gésir, sa tête empalée d’une énorme flèche.
Une femme se tenait à côté du rocher, une massive arbalète à la main et une cape écarlate qui flottait au vent.
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