Cache-cache
« Je t’aime. Joue avec moi ! »
Alice scruta son écran, ses sourcils étaient froncés, l’incompréhension se lisait sur son visage. Elle avait reçu ce message quelques minutes auparavant, et tentait toujours d’y trouver un sens. L’auteur lui était inconnu, mais, visiblement, lui la connaissait. Devait-elle répondre ? Finalement, Alice verrouilla l’écran et rangea le portable dans son sac. Elle avait du travail, et peu de temps pour ce genre d’enfantillages.
« Etape 1 : cherche la clef dans la boite à gants de ta voiture. »
Le portable n’était pas resté éteint très longtemps. A l’arrêt dans un embouteillage sans fin, Alice soupira. Comment cette personne avait-elle pu mettre quelque chose dans sa boite à gants ? Elle vivait seule, et personne d’autre qu’elle n’avait accès à ses clefs de voiture. Pourtant, poussée par la curiosité et l’ennui, elle se pencha pour ouvrir le compartiment côté passager.
« Tu l’as trouvée, bravo ! Maintenant, étape 2 : cherche ce que cette clef peut bien pouvoir ouvrir. Tu as dix minutes. »
Une bouffée d’angoisse envahit la jeune fille. Elle observa partout autour d’elle, mais personne ne semblait l’observer. Y avait-il des caméras dans sa voiture ? Toute cette histoire ne lui inspirait rien qui vaille. Pourtant, Alice ne put s’empêcher de faire tourner la petite clef de fer entre ses doigts fins et tremblants. Elle était délicatement sculptée, ornée de singuliers motifs. Elle savait parfaitement ce qu’elle déverrouillait, et pour cause, il n’y avait qu’une chose qu’elle n’avait jamais mis sous verrou. Alors que la circulation commençait à peine à se fluidifier, Alice donna un coup de volant, s’attirant quelques klaxons bien sentis, et fit demi-tour. Ah, certes, son patron n’en sera pas ravi, mais si c’était bien ce qu’elle croyait…
Le jeu en vaudrait la chandelle.
« J’ai bien cru que tu ne prendrais jamais cette décision. Bon, maintenant, étape 3 : tu l’ouvres, ce coffre ? »
Il était à présent clair que quelqu’un l’observait. Le trajet sembla durer une éternité. Alice se gara en quatrième vitesse et peina à ouvrir la porte d’entrée, tant ses gestes étaient imprécis. Elle jeta son sac sur le canapé et marqua un temps d’arrêt. Depuis combien de temps n’était-elle pas venu ici, dans cette maison qui l’avait vu grandir ? Voir ses parents vieillissants ? Elle se sentit misérable tout d’un coup. Le portable vibra dans sa poche.
« Etape 3 : Tu l’ouvres ce coffre ? Oui, tu es une fille indigne, mais tu y penseras plus tard, ok ? Il y a plus urgent. Mon jeu prime sur tout, tu m’entends, je suis le maître du temps. »
Par reflexe, Alice tourna sur elle-même, mais encore une fois, il n’y avait personne. Ces messages commençaient sincèrement à lui faire peur, mais il était trop tard pour reculer. Après tout, elle avait déjà décidé de prendre sa journée, et sans en parler à personne. La jeune femme traversa les pièces pour se rendre au grenier. La petite échelle descendit en grinçant. L’endroit était plein de poussière. Quelqu’un y était-il allé récemment ?
Prenant une grande inspiration, Alice gravit les marches et pénétra dans le grenier. Les lattes du parquet craquaient sous son poids, et la poussière la fit toussoter. A tâtons dans le noir, Alice cherchait l’interrupteur.
Dans un éclair grésillant, une ampoule s’alluma.
Alice chercha pendant longtemps. Elle passa en revue tous les meubles, les amas de brics et de brocs, tout ce qui était susceptible de contenir le coffre. Où l’avait-elle entreposé ?
« Il est toujours là, écrit l’inconnu à l’adresse d’Alice, si c’est vraiment ce que tu te demandes. Cherche, ma mignonne, cherche, mais presse toi, le temps tourne. »
Le malaise d’Alice s’accentua légèrement, mais elle reprit ses fouilles avec un peu plus d’ardeur. Le temps tourne. Qu’est-ce que cela voulait dire ?
Il était là. Petit coffret, tout de bois sculpté, caché sous les décombres. La jeune femme passa une main dessus, enlevant une couche de poussière imposante. Elle sortit la petite clef de sa poche, voulu l’introduire dans la serrure, mais s’arrêta à mi-parcours. Elle allait déterrer son plus terrible secret, et elle ne savait même pas pourquoi. Quelque chose ne tournait pas rond : à part ses parents, personne n’en connaissait l’existence…
« Bien. Nous avançons. Etape 4 : Ouvre le coffre ! Et ne perd pas de temps, je te prie. »
Alice obéit et introduisit la clef dans la serrure, avant de la déverrouiller d’un coup sec. Le coffre s’ouvrit lentement ; l’armature était abimée. Encore une fois, elle mit longtemps avant de se remettre du choc. Devant ses yeux reposaient une multitude de lettres, de photos, de souvenirs. Elle les caressa du bout des doigts, comme s’ils risquaient de se détruire à chaque instant. C’était elle, il y a bien des années. C’était eux, avant qu’ils ne se soient quittés. Alice passa en revue les photos, les mots doux, de plus en plus vite, encore et encore, puis poussa un hoquet de surprise.
« Etape 5 : désamorce la bombe. Etape 6 : viens me retrouver dehors, je t’attends sur le banc dans le jardin. »
Le téléphone vola à l’autre bout de la pièce. Pour tout dire, il n’eut pas le temps d’atterrir qu’Alice était déjà au travail. C’était une petite bombe artisanale, qu’il était très facile de désamorcer, du moins pour quelqu’un travaillant au service de déminage. Sa besogne terminée, Alice se rua à la fenêtre. Elle pouvait y voir le jardin, peint en jolies couleurs automnales.
— Quelqu’un de normal m’aurait simplement donné rendez-vous, lança-t-elle sans préambule, tout en s’asseyant.
— Qui t’a dit que je souhaitais être normal ? Mais tu m’as manqué également, si tu veux savoir.
— Quand es-tu rentré ?
— Je ne suis jamais parti. Tu sais que j’aime jouer. En fait, j’affectionne particulièrement cache-cache.
— Cette partie a tout de même duré dix ans. Je t’aime mais, la prochaine fois, file moi un plan.
— D’accord soeurette. Moi aussi, je t’aime. Bon, on joue à un autre jeu ?
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