Chapitre 2
La journée s'était déroulée presque sans accroc. La petite, prénommée Kassie, s'était rapidement ouverte aux autres. Ses parents avaient trouvé le lieu, l'organisation et les employés exemplaires et avaient donc décidé d'inscrire leur fille. Tout s'était très bien passé, si l'on mettait de côté le fait que Keaton avait vomi une partie de son déjeuner sur Asher. Ce dernier rentra donc du travail en T-shirt avec son sweatshirt bon pour aller au panier de linge sale.
Lorsqu'il arriva dans le hall de son bâtiment, il prit immédiatement son courrier et un journal qui traînait là. Il se mit à le lire pendant son ascension, non sans manquer de louper une marche ou deux et de trébucher. Sur le palier de son appartement, une femme, plus jeune que lui de quelques années, attendait. Elle portait un long manteau rouge style cardigan et en dessous une robe d'hiver noire. Elle feuilletait un petit calepin et faisait tourner machinalement une mèche de sa chevelure blond platine. De temps en temps, elle remettait en place les bracelets qui entouraient son poignet droit puis jetait un œil à sa montre. Enfin, si elle lisait, elle semblait surtout regarder dans le vide, jusqu’à ce qu’elle se tourne vers le jeune homme.
— Tu comptes m’observer avec ses yeux encore longtemps ?
— Qu-Quoi ?
Elle arborait un sourire narquois.
— Je ne pensais pas viser juste.
— Que… Que fais-tu ici, Vénus ? Je peux t’aider d’une quelconque manière ?
— D'accord, j'admets que je suis en avance.
— Mais ça ne m'explique pas le pourquoi du comment, insista-t-il. On n'avait rien prévu pour aujourd'hui.
— Comment ça on n'avait rien de prévu ? s'insurgea-t-elle. Tu m'as invitée à dîner, je te rappelle !
— Ah, c'était ce soir ?
Les exclamations firent sortir un voisin de chez lui.
— Loin de moi l'envie de me mêler de ce qui ne me regarde pas. Toutefois, serait-il possible de faire moins de bruit ? J’entends tout depuis l’intérieur.
— Oui bien sûr, Georges. Excuse-nous pour ce petit dérangement.
Les deux jeunes gens entrèrent aussitôt dans l'appartement.
— Bon, fais comme chez toi, déclara Asher. J'ai complètement oublié que c’était ce soir. Laisse-moi le temps de me changer et on s'en va.
— Prends quand même une douche. Je ne t'en voudrai pas d'attendre un peu plus longtemps en échange d'un gars qui ne sent pas le vomi.
L'éducateur soupira puis retira sans gêne son haut.
— Ça, ça part directement pour la laverie.
— Bah tiens ! Au lieu de la laverie, je peux m'en occuper, lança Vénus.
— Ça va te prendre du temps, tu le sais ça ?
— Mais non. Quelques minutes pour aller chez moi, je lance le programme et je reviens. Tu récupéreras tes vêtements demain.
— Eh bien si ça ne te dérange pas...
— Pas le moins du monde ! En plus ça te fait faire des économies. Allez, retire-moi tout ça.
Asher s'exécuta et finit nu comme un ver. Vénus, quant à elle, rassembla le linge à laver et s'apprêtait à partir quand elle regarda brièvement par la grande fenêtre de l'appartement.
— Pense à fermer les rideaux lorsque tu te balades ici à poil. Un de ces quatres, tu vas perdre ta vieille voisine.
Sur ces mots, Vénus embarqua les vêtements dans un grand sac tandis que son ami se dirigeait vers sa salle d'eau. À peine fut-il sous l’eau qu’il commença à se trémousser et à chantonner. Quand il voulut se savonner, il coupa l’eau et frotta chaque recoin de son corps. Chaque recoin excepté le dos. Il avait fait le deuil sur ce point-là : son dos ne connaîtrait jamais le bien-être procuré par le mélange de la coco et de la fraise.
— Je suis persuadé que cette voisine n’est pas si innocente que ça, se dit-il pendant qu’il lavait ses pieds. À tous les coups, elle m’observe discrètement. Ou vend des photos de moi en caleçon ! Non, Asher ! Ce n’est pas elle qui est habillée d’un caleçon, retire-toi cette image de la tête ! Et attends ! Et si elle avait créé un club de mamies maléfiques qui se délectent de tisane, de sablé et de ces photos ! Je suis sûr que ça commente… Wow !
Il avait glissé et s’était rattrapé aux parois de la douche. Il décida de se rincer en vitesse et, sa fidèle serviette autour de la taille, se posta devant le miroir. Une nouvelle mélodie lui vint en tête, mais il entendit toquer à la porte.
— Dommage.
Dans la pièce de vie, Asher fixa la baie vitrée. Il fit alors demi-tour et revint, tout fier, en sous-vêtement à motifs noix. Il ouvrit à Vénus et l’invita à s’installer sur le petit canapé. Celle-ci se mit à lire l'un des nombreux livres sur les bébés, stockés sur la table basse. Son ami, désormais dans sa chambre, s’activa à choisir une tenue. Un sourire se dessina sur son visage quand il vit un ensemble.
— Ah ! Ça, ça va lui faire de l’effet.
À son retour, et après un crochet par la salle d’eau, Asher était vêtu d'un costume trois pièces, couleur bordeaux, d'un nœud papillon assorti, d'une chemise blanche et de chaussures en cuir noires. Il avait également relevé ses cheveux bleus sur le côté.
— Comment je suis ?
— Ce... C'est…
Son sourire devint mi-amusé, mi-gêné.
— J'en fais trop, c'est ça ?
— N-non... Non, non, c'est... C'est parfait !
— Tant mieux. Je ne voulais pas faire tache à tes côtés. Ça pourrait te faire une mauvaise publicité.
Le jeune homme prit son amie sous le bras, direction le restaurant situé en bas de l’immeuble. Dès leur arrivée, ils furent chaleureusement accueillis par un serveur qui leur présenta une table proche d'un immense aquarium. Galant, Asher tira la chaise de sa partenaire puis s'assit à son tour. À peine furent-ils installés qu'une jeune femme, accompagnée de quelqu’un qui semblait être son copain, interpella Vénus.
— Euh... Excusez-moi... Je... Je...
— Ce que ma copine veut dire, c'est qu'elle apprécierait d’avoir un autographe.
— Ah oui, bien sûr. Vous auriez une feuille ?
Le petit ami lui tendit un bout de papier et Vénus y appliqua sa signature, avant de le rendre avec le sourire. Elle se tourna ensuite vers son compère qui passait commande.
— Et pour madame ?
— Comme d'habitude, répondit-elle à la serveuse qui partit aussitôt.
— Cela ne te dérange pas de dîner souvent au même endroit ? lui demanda Asher.
— Non, pas vraiment, même si certains m'attendent de pied ferme chaque soir mais je m'y suis habituée.
— D'ailleurs, comment se passe le travail ?
Elle soupira.
— Je t'avoue que ces dernières semaines ont été épuisantes. Avec ma tournée, je n'ai pas arrêté de courir un peu partout dans le pays. Ça me fait un bien fou de me poser quelques jours à Draguisier. Même si c'est à ce moment-là que la presse à scandale se déchaîne. D'ailleurs, plusieurs magazines déclarent que nous serions en couple, informa-t-elle sur un ton laissant entendre que c'était ridicule.
La nouvelle fit rire Asher.
— En même temps, ça peut porter à confusion, ajouta-t-il.
Un silence s’installa aussitôt, jusqu’à ce que Vénus réponde.
— Tant que l'on ne te harcèle pas. Bon, et toi alors ? Les bébés se portent bien ?
— Eh bien, oui. Mais mon travail est pépère comparé au tien.
— Quoi ? Non, pas du tout. Pour s'occuper d'enfants, il faut être patient, attentif, attentionné. J'ai conscience que c'est très dur.
— Peut-être, mais à vrai dire, je ne trouve pas trop. Ce doit être l'habitude.
Pendant tout le repas, les deux jeunes gens poursuivirent leur conversation sur leur métier respectif, en racontant chacun leur tour des anecdotes.
L'addition payée, ils sortirent du restaurant en riant. Vénus, parce qu’Asher la faisait rire et ce dernier, parce qu'il était un peu trop arrosé.
— Je t'avais dit d'y aller mollo sur la bouteille, lui rappela-t-elle.
— Ne t'inquiète pas, je vais bien. Je tiens bien l'alcool, répondit-il alors qu'un pied partait de temps à autre de travers.
C’est à ce moment-là que Vénus remarqua des flashs d'appareil photo au loin.
— Asher, on rentre chez toi, s'il te plaît.
— On nous observe ?
— Oui.
Soudainement, le jeune homme se tint droit et l'expression de son visage devint sérieuse.
— Laisse-moi juste trouver mes clés, prévint-il en fouillant ses diverses poches entre son pantalon et sa veste.
Ils s'introduisirent en vitesse dans le bâtiment et montèrent jusqu'à l'appartement.
— Il n'est pas très tard, fit-il remarquer avant d’ouvrir en grand la porte.
Vénus eut un rictus qui entraîna un regard interrogateur de la part de son ami.
— Même éméché, tu es prévisible.
Sur ces mots, elle l'embrassa avec fougue. Asher répondit avec un baiser tout aussi passionné.
❤︎ • ❤︎
Le lendemain matin, Asher se réveilla seul dans son lit. Il se leva malgré un fort mal de tête et se rendit dans le salon, où il retrouva un petit mot, posé sur la table.
Coucou. J'espère que tu as bien dormi. Moi, oui. Je suis désolée de ne pas être restée, mais tu me connais, moi et le temps libre… Je passerai ce soir pour te rendre ton linge. Je te remercie pour cette merveilleuse soirée ;) et te souhaite une bonne journée !
P.S. : Le double de la clé de la porte d'entrée est sous le paillasson.
Sans attendre, Asher se couvrit de sa robe de chambre et récupéra la clé en question avant d’aller dans la salle d'eau. Cette fois encore, petite chorégraphie improvisée, qui se poursuivit dans le salon, sans, heureusement pour la voisine, le même final que la veille. C'est que cela lui coûterait cher si une tasse lui échappait tous les matins.
Ce jour-là, le trentenaire se vêtit d'un pull en laine bleu-gris et d'un pantalon rouge. Il se servit son bol de céréales habituel en guise de petit déjeuner et partit pour la crèche, son sac à dos sur l’épaule.
Le quartier orange de Draguisier, communément appelé « le dragon orange », était essentiellement résidentiel, avec au nord, des immeubles, au sud, des maisons individuelles, et éparpillés, ça et là, quelques commerces. Là, comme dans toute la ville, si certains bâtiments restaient sobre avec un ravalement blanc, la plupart arborait des couleurs en référence au nom du quartier.
Le dragon violet rassemblait, lui, tout ce qui se rapportait aux loisirs. On y trouvait donc, entre autres, de larges piscines, un parc d'attractions et un cirque, qui attiraient des visiteurs des quatre coins du royaume. Aucune école n'y était implantée, afin d'éviter une trop grande distraction des élèves. Néanmoins, plusieurs crèches y avaient été implantées dont celle dans laquelle travaillait Asher.
En entrant dans l'établissement, il se dirigea dans la salle réservée aux adultes. Il y trouva Flavie qui donnait le biberon à son fils.
— Tu es toujours très matinale, fit-il remarquer.
— Aie un enfant en bas âge et tu verras si tu ne deviens pas un lève-tôt. Voire un lève-trop-tôt.
Elle sourit.
— Peu importe, tu as passé une bonne soirée ? Tranquille ?
— Bah, je n'ai rien fait de spécial.
— Ça fait longtemps qu'on n'a pas passé une soirée ensemble. Un de ces quatre, je laisserai Keaton à mon copain.
— Ce serait super ! La commentatrice impulsive de film commence sérieusement à me manquer.
Alors que la conversation suivait son cours, Pauline, la directrice, fit irruption.
— Je me demandais où vous étiez. Tiens, Asher, le nouveau numéro de « BébéMag » est arrivé ce matin. Comme d'habitude, un exemplaire pour la crèche et un pour toi.
Elle lui tendit le bimensuel d'une centaine de pages et reçut en échange un billet. Le trentenaire, tout content, le rangea dans son casier. Voilà une journée qui commençait bien.
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