Chapitre 4

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Sulo s'était fait de nouveau recaler. Heureusement pour lui, il savait se remotiver. Les deux hommes avaient prévu d'aller au parc d'attraction du dragon violet. Ils s'y hâtèrent, non sans faire quelques arrêts à cause du dragueur impulsif. Ils parvinrent toutefois à y arriver sans avoir perdu plusieurs heures. Face aux guichets, Asher se rappela de son petit souci.

— Oh, non ! C'est vrai que je n'ai pas d'argent sur moi !

— Ça tombe bien, en fait.

Sulo dégaina fièrement deux cartes plastifiées.

— Mon père nous a payé un pass chacun. Ça va nous permettre de venir ici quand on veut. Et gratuitement !

— Je ne peux pas accepter... C'est... C'est trop.

— À ta place, pour ne pas être de nouveau confronté au regard insistant de mon père, je le prendrai sans discuter.

Asher vit ce qui apparaissait comme des mauvais souvenirs dans le regard de son ami. Il dévoila un grand sourire, tandis qu'il saisit son pass.

— Eh bien, profitons-en au maximum !

Ils franchirent le guichet en présentant leur pass, puis s'arrêtèrent devant un gigantesque panneau qui servait de carte. On pouvait y retrouver les attractions, mais également les boutiques et les snacks. Les deux amis n'avaient pas défini une liste d'attractions où ils devaient absolument aller. Par conséquent, ils décidèrent sur le moment.

— Que dirais-tu du « Grand 88 » ? proposa Asher. C'est comme un « Grand 8 », mais avec deux fois plus de loopings !

— Surtout pas ! s'écria Sulo qui faisait la grimace.

— Bah pourquoi ? Ça devrait attirer le regard de s'attaquer à une telle attraction.

— Pas avec moi. On n'a pas une bonne image de toi quand tu vomis pendant le manège et que tu déverses une pluie de... Beurk !

— Vraiment ? s'étonna son ami. Ça t'est vraiment arrivé ?

Asher passa de la surprise au fou rire quand le jeune homme acquiesça, peu fier.

— Inutile d'enfoncer le couteau...

— Oh, ça va ! Je m'excuse ! Pour la peine, tu choisis notre prochaine destination.

— Super ! Je savais que tu n'allais pas accepter ce que je vais te dire, mais là, tu n'as pas le choix.

— Oh non... Qu'est-ce que j'ai été dire... ?

◎・◎


— Quoi ? Ah non ! Pas ça ! Le petit train enchanté, à la limite ! Mais pas ça, Sulo !

— Enfin, Asher, qu'as-tu contre « Le facteur de l'amour » ?

— Tout d'abord, ce n'est pas une attraction. C'est un appât à pigeons ! 

— Hmm ? Tu disais ? demanda Sulo qui avait déjà inséré deux pièces pour participer.

— D-deux ? Mais je n'en ai pas envie, moi !

— C'est trop tard. Allez, dépêche-toi, lança-t-il.

Il attrapa la main de son ami et l'entraîna à l'intérieur du bâtiment ressemblant à une immense boîte aux lettres.

« Le facteur de l'amour » consistait en plusieurs étapes. Dans un premier temps, il fallait payer. Ensuite, les hommes et les femmes d'une même session étaient séparés. On leur demandait leur prénom, leur âge, leurs passions et leur travail. Aucune information n'était vérifiée. On leur attribuait une toute petite salle avec un numéro et un mur qui était une glace pour que l'on puisse voir de l'extérieur, mais pas de l'intérieur. Il y avait une chaise pour que les locataires puissent s'asseoir. Enfin, les visiteurs devaient observer chacun leur tour les autres, hommes et femmes, avant de retourner dans leur pièce et d'être jaugés par la suite. Le temps était limité à vingt secondes par personne. Lorsque tout le monde avait vu tout le monde, ils pouvaient écrire une brève lettre aux personnes qui les intéressaient. Ainsi, il fallait donner le meilleur de soi-même pendant que l'on était regardé. Il fallait se mettre en valeur.

Sulo avait opté pour une posture des plus basiques, mains sur les genoux. Quant à Asher, il avait fait exprès d'écarter exagérément les jambes, avachi sur sa chaise et n’avait même pas pris la peine de regarder la glace. Sulo avait observé tout le monde avec minutie. Asher avait fermé les yeux. Sulo avait écrit une lettre à chacun d'entre eux. Asher n’avait pas touché au stylo.

Lorsque les lettres furent distribuées, le monde sembla s'effondrer pour Sulo, tout comme pour Asher, en quelque sorte. 

— Mais ! s'estomaqua Sulo. Je n'ai rien eu...

— Et moi, tout...

— C'est stupide comme truc, en fait !

— Je te l'avais dit. Allons-nous en.

— Tu ne réponds à personne ? demanda Sulo.

— Non, je m'en fiche, avoua-t-il avec le sourire.

— Mais ne laisse pas passer une telle chance !

— Ça ne sert à rien. Il y a déjà quelqu'un...

Asher s’interrompit puis tourna la tête en direction de son ami avec une lenteur sans égale. Il redoutait la réaction de celui-ci.

— J’ai bien entendu ?

— Probablement que non. J’ai remarqué qu'il y a une mauvaise acoustique…

Celui-ci se rapprocha de la sortie de cette boîte aux lettres géante.

— Tut ! Tut ! Tut ! Ne t’enfuis pas, Asher.

Depuis la gaffe de la part d’Asher, Sulo n'avait cessé de le harceler dans le but de lui tirer les vers du nez. Il insistait, encore et encore, mais n'arrivait pas à ses fins. Entre temps, les deux hommes avaient quitté « Le facteur de l'amour » et fait une halte au stand d'un marchand de glace.

— Sulo. Pour la énième fois, j'ai fourché. Ce n'est pas ce que j'insinuais.

— Mais bien sûr. Arrête ton char et dis-moi la vérité. Trois glaces vanille, s'il vous plaît, déclara-t-il à l'adresse du glacier.

— N'insiste pas plus... Attends, trois glaces ?

— Oui. Une pour toi, une pour moi et la dernière est pour la prochaine personne séduisante que je croiserai.

Bien qu'un peu irrité sur le moment, Asher ne put s'empêcher de pouffer. Par ailleurs, il avait toujours été amusé par sa constante recherche de sa moitié.

Les deux amis s'étaient rencontrés à la crèche, quatre ans plus tôt. En réalité, Sulo était le frère de Jérôme. Un jour, alors que ce dernier faisait le ménage avec son collègue assez tard, une fois les petits partis, un jeune homme fit irruption dans le hall d'entrée, trempé jusqu'aux os. Il pleuvait des cordes, si bien que son T-shirt blanc en était devenu transparent. Il portait également un grand sac de sport dont la lanière tenait sur son épaule. À peine entré, il croisa le regard de Asher.

— Euh... Bonsoir. En quoi puis-je vous aider ?

— Je suis venu voir Jérôme. C'est mon frère.

Sans rien ajouter, l'éducateur de jeunes enfants partit informer son collègue et revint rapidement avec lui.

— Sulo ? Que veux-tu ? Et... pourquoi sortir ainsi avec un temps pareil ?

— J'ai un rencard dans un quart d'heure. Je voulais avoir ton avis sur ma tenue.

— Sur celle que tu portes maintenant ? Eh bien, elle est...

— Non. Pas celle-là, le coupa son frère. J'ai pris ce qui me paraissait le plus adapté dans mon sac.

Tandis qu'il le vidait, Jérôme l'interrompit à son tour.

— Attends. Hormis le fait que tu viennes à la dernière minute...

— Aux quinze dernières, rectifia-t-il.

— Peu importe. Je ne vois pas pourquoi tu me demandes ça.

— Du fait que tu sois en couple. J'ai considéré que tu savais quels sont les vêtements qui font le plus d'effet.

— Eh bien, tu as mal raisonné, regretta Jérôme. Je suis incapable de t'aider dans ce domaine.

Asher, qui s'était fait discret depuis le début de la conversation, se décida d'intervenir.

— Excuse-moi... Sulo, c'est ça ?

Le principal concerné acquiesça.

— Il est environ dix-huit heures et la nuit commence déjà à tomber. Choisis des couleurs claires pour bien attirer l'œil. Je crois apercevoir une chemise bleue. Bleu clair justement. Essaye la avec... un bas d'une teinte plutôt sobre. Mais pas accordé au haut. Je pense à du marron par exemple.

— J'en ai un !

Le jeune homme sortit les vêtements en question et les présenta de sorte que l'on voit le résultat que cela pourrait donner. Les deux employés de la crèche montrèrent leur approbation. Il se changea donc dans les toilettes et en ressortit peu de temps après. Une fois de plus, les deux hommes exprimèrent aussitôt leur avis positif.

— Maintenant, rappela Jérôme. Il reste un problème. Il pleut. Tu ne vas pas te présenter comme tu l'as fait avec nous.

— J'ai pris un parapluie, déclara Asher. Prends-le avec toi, Sulo.

— Vraiment ? Mais ce sera toi qui va finir trempé.

— Cela ne me dérange pas le moins du monde. Tu en as plus besoin que moi. 

— C'est... très gentil de ta part. J'en suis même gêné. Je repasserai demain pour te le rendre. Et je te revaudrai ça !

— Tu n'es pas obligé.

— Si ! J'insiste.

Jérôme se pencha vers les deux hommes.

— Je m'immisce dans votre duel de politesse pour vous signaler que Sulo va être en retard.

— Zut ! C'est vrai !

Asher s'absenta brièvement pour récupérer son parapluie et le remettre aux mains de Sulo.

— Merci beaucoup !

Celui-ci reprit son sac et se sauva.

— Merci pour lui, ajouta son frère. Il court après la moindre personne qu'il trouve belle. Mais rien de malsain. Il cherche l'amour, le vrai. Il fera tout pour atteindre cet objectif. Il s'y consacre corps et âme. J'espère que le parapluie l'aidera. Ce qui est sûr, bien qu'il soit protégé de la pluie, c'est qu'il sera... sous l'eau.

À vrai dire, le parapluie n'avait pas servi directement. Le courant n'était pas bien passé pendant le rendez-vous. Là où il avait été utile, c'était quand Sulo le rendit à son propriétaire et l'invita à manger un morceau. Il n'avait pas trouvé l'amour, mais un véritable ami.

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