Chapitre 13
Après avoir entendu ce simple mot, Lynnette se mit à crier jusqu’à s’en casser la voix. Asher en conclut sans mal à qui ils avaient affaire.
— Bravo pour être arrivés jusqu’ici. Vous devez être courageux pour avoir pénétré dans le dragon pourpre.
— Inconscient. Le mot est « inconscient », murmura Asher.
— Sachez que vous êtes les premiers. Je me demande même si d’autres vont venir… Enfin, suivez-moi.
Alors qu’Alias Myo n’était jusque-là qu'une ombre, sous la lumière d’un lampadaire, il apparut comme un jeune homme aux cheveux bouclés roses, le corps fin et la peau couverte de taches de rousseur. Il guida ses invités vers des chaises pliantes. Il y en avait une centaine.
— Installez-vous, je vous en prie. Le concert va bientôt commencer. L’heure approche à grands pas.
Devant eux se tenait un tabouret. Il semblait constituer à lui seul la scène. Il n’y avait ni enceintes, ni rideaux. Asher trouva cela étrange. Néanmoins, celui-ci cessa d’y réfléchir quand le chanteur se plaça face à eux, une guitare à la main. Lynnette, elle, gigotait d’impatience.
— Bon, ça fait trop longtemps que je meurs d’ennui ici. On y va. Je ne vous cache pas que ça fait longtemps que je n’ai pas joué devant un public aussi restreint. J’en aurai presque le trac. Heureusement, ce côté minimaliste me rappelle de bons souvenirs. D’ailleurs, une personne que j’ai rencontré pendant mes débuts va me rejoindre pour faire ma première partie.
Soudain, quelqu’un s’appuya sur les épaules d’Asher.
— Surprise !
— Hein ? Que ? Quoi ? Où ? Enfin, pourquoi ? Non, je veux dire… Que fais-tu ici, Vénus ?
— Quel accueil. C’est de moi dont Julien vient de parler.
— Julien ?
— C’est le vrai prénom d’Alias Myo, expliqua sa sœur. Salut ! ajouta-t-elle à l’intention de l’artiste.
— Coucou ! J’étais sûre que tu réussirais et que je te verrais ici. Je ne me suis pas trompée.
Vénus se mit à côté du chanteur qui se posa sur le tabouret.
— Les premières chansons que vous allez entendre ont été écrites pour l’occasion. C’est une exclusivité, dit-il avant de jouer quelques notes avec sa guitare.
Vénus l’accompagna aussitôt avec sa voix pour une ballade. Asher et Lynnette balançaient instinctivement leur tête de gauche à droite. Chacun fixait son regard sur un artiste, un large sourire aux lèvres. Ils furent tous deux transportés pendant cette performance. Si la première partie du concert était plus calme, la seconde était plus dansante. Lynnette se trémoussait debout sur sa chaise tout en chantant à tue-tête en même temps qu’Alias Myo. Asher jouait le jeu, pour sa sœur, mais y prit vite goût. Il riait à pleins poumons en la voyant s’agiter dans tous les sens, elle qui vivait les meilleurs instants de sa vie. Vénus s’était également jointe à eux.
— Alors ? C’est aussi grandiose que tu te l’imaginais ? souffla-t-elle au jeune homme pour ne pas couvrir la voix du chanteur.
— Je t’avoue avoir pris le terme au sens littéral. Cependant, je n’en suis pas déçu. La surprise était grandiose.
— Est-ce que tu peux venir avec moi ? Je dois te parler.
Sa sœur les regardait du coin de l’œil. Alias Myo partagea son sourire malicieux. Asher, quant à lui, fronça les sourcils avant de s’exécuter. Ils s’étaient mis à l’écart afin de ne pas déranger plus longtemps pendant le concert.
— Je voulais m’excuser pour la discussion que j’ai coupée court après le dîner avec tes parents.
Il se mit à rougir.
— Il n’y a pas besoin… C’était sûrement déplacé.
— Pas du tout. Tu as dit tout haut ce que je pensais tout bas.
Elle attendit quelques secondes avant de poursuivre.
— Je ne sais pas si tu suis les potins, mais j’ai eu des relations plus ou moins sérieuses avant toi. Seulement, j’ai fait l’erreur de trop m’exposer. Et ça n’a pas loupé. À chaque fois, rupture. Et plutôt destructrice, pour eux comme pour moi. Tu n’as rien à voir avec toutes les personnes que j’ai pu rencontrer dans ma vie. Je ne veux pas te faire subir ça.
Vénus triturait ses doigts, la tête baissée.
— Eh, lança Asher d’une voix douce. Tu ne dois pas t’en vouloir. Tu imagines ? Si ce n’était pas arrivé, tu ne m'aurais pas comme amant. Tu aurais manqué quelque chose !
Elle lâcha un rictus.
— On ne se serait peut-être même pas rencontrés ! Te rends-tu compte de la perte que ça représente ? À aucun moment, je me suis dit que je pourrais vivre sans toi. Et puis, ce qui est fait est fait, mais tu n’es pas obligée de reproduire ces erreurs. Au contraire, tu as appris à tes dépends. Tire les leçons de ces malheureuses expériences.
— Attends, intervint-elle. Qu’est-ce que tu viens de dire ?
— Euh… Je parlais de mauvaises expériences.
— Avant.
Il réfléchit un peu.
— Les erreurs ?
— Encore avant.
— Le fait que je sois un bon coup ?
— Fais pas le malin, dit-elle en riant. Après ça.
— La perte que ça représenterait si tu n’avais pas rencontré un aussi bon coup ?
— Asher… C’était juste après.
— Eh bien je ne vois pas, dit-il avec un sourire exagéré.
— Tu as dit que… tu ne pourrais pas vivre sans moi.
Le visage d’Asher se colora d’un rouge éclatant.
— Je… J’ai dit ça… ? Je n’en ai pas le souvenir.
Il se mit à regarder un peu partout autour de lui, sans oser croiser le regard de Vénus.
— Tu es mignon.
Aussitôt, elle déposa un doux baiser sur la joue du jeune homme.
— Wouhou ! s’écria Lynnette. Oups, pardon, ça m’a échappé. Désolée. Vous pouvez continuer.
Sans dire un mot de plus, Vénus partit la rejoindre, laissant derrière elle un Asher complètement paralysé.
— Apparemment, je mens très mal. Enfin, peut-être que ça a fait avancer les choses.
Le concert prit fin quelques instants après cela. Personne d'autre n’était arrivé entre temps. Lynnette avait alors pu discuter avec son idole et ce dernier signa même son sweat et un poster. Toutefois, ils ne traînèrent pas plus longtemps. Alias Myo expliquait qu’il avait loué ce lieu à des brigands, mais qu’il ne devait pas dépasser l’horaire convenu. Lui et les hommes de la sécurité rangèrent les chaises dans un camion qui les attendait en dehors du dragon pourpre. Les deux chanteurs montèrent ensuite dans une voiture.
— On vous raccompagne ? demanda Alias Myo.
Avant que Lynnette ne puisse dire quoi que ce soit, Asher déclina la proposition, sous l’air ahuri de cette dernière. Les artistes leur souhaitèrent une bonne fin de soirée puis s’en allèrent.
— Qu’est-ce qui t’a pris ? s’exclama sa sœur une fois le véhicule bien loin. Il fallait en profiter, que ce soit pour toi comme pour moi ! Surtout pour moi !
— Je te comprends, mais on n’aurait pas profiter l’un de l’autre. Là, on va pouvoir le faire sur le chemin du retour.
— Tu as raison.
Ils commencèrent à marcher.
— Tu as apprécié le concert ? Je suis consciente que je dois vous dégoûter d’Alias Myo.
— Je confirme. Je n’étais pas parti très enthousiaste. Seulement, je ne regrette pas de t’avoir accompagné. J’ai écouté sa musique dans un tout autre cadre.
— Alors ça t’a plu ?
— Évidemment ! On ira ensemble au prochain.
L’adolescente affichait un large sourire.
— Tu ne peux pas savoir à quel point ça me fait plaisir d’entendre ça. Par contre, tu y irais même sans Vénus ?
— Argh !
Asher feignit de souffrir à la poitrine.
— Tu as tiré à balle réelle…
Ils rirent alors de bon cœur.
— Plus sérieusement, j’ai cru comprendre que vous aviez fait un bond tout à l’heure.
— Tu trouves ?
— Bien sûr ! Elle t’a embrassé sur la joue ! Bientôt ce sera sur les lèvres ! J’en suis certaine.
— Effectivement… On a passé un stade, dit-il en détournant le regard.
Jusqu’à l’appartement d’Asher, tous deux continuèrent de parler de Vénus, sans qu’il n’ose dévoiler la réelle nature de leur relation. Lynnette se confia aussi sur les siennes et son frère fut ravi de l’écouter et la conseiller. Les cours de danse qu’Asher devait lui dispenser revinrent ensuite sur la table. Ce dernier fit même quelques démonstrations en pleine rue. Devant des passants qui semblaient toujours chercher le lieu où se tenait le concert. Leur conversation s’arrêta aussitôt qu’ils avaient passé le seuil de la porte.
— Alors, mes deux chéris ? s’exclama leur mère qui semblait prête à veiller jusqu’à leur retour, une tasse de café à la main.
— C’était géant ! s’écria l’adolescente.
— Chut, souffla Cécilia. Mavuto dort. D’ailleurs, tu ne devrais pas tarder non plus.
— Oh oui, c’est vrai… Mais je ne vais pas pouvoir fermer l'œil de la nuit. C'était la soirée de ma vie !
— Chut.
— Pardon. Je n’arrive toujours pas à m’en remettre.
— Je te reconnais bien là, Lynnette, déclara sa mère avec le sourire. Et toi, Ash’ ?
— Aucun regret. On s’est bien amusés.
Elle soupira.
— Ça me fait extrêmement plaisir de savoir que vous avez passé un bon moment ensemble. Par contre, Lynnette, tu ferais bien d’aller te laver les dents. Après, zou, au lit. Ou plutôt, le sac de couchage.
Sa fille s’en alla dans la salle de bain. Alors que Cécilia comptait retourner bouquiner l’un des nombreux livres sur les bébés, Asher lui tapota le bras.
— Maman ?
— Oui ? En quoi je peux t’aider, mon grand garçon ?
— Dès que j’aurai des vacances, je passerai à la maison.
Elle semblait d’abord ne pas le croire.
— C’est vrai ?
— Oui. Ça fait longtemps après tout avec mes semaines de vacances qui se comptent sur les doigts d’une main et surtout mon mal de mer.
Sa mère l’enlaça aussitôt avec une force qui en disait beaucoup.
— Maman… Tu vas me briser une côte…
— Pardon. C’est l’émotion. Et ce sera quand ?
— Je n’en ai pas la moindre idée, je ne peux pas partir quand je veux. Mais ça arrivera.
— Je me posais une question : ça fait un moment que tu fréquentes Vénus ?
Face à ce début d’interrogatoire, Asher opta pour la vérité.
— Quelques années…
— Et aucun congé paternité à l’horizon ?
— Il ne faut jamais que nos discussions s’éternisent…
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