Ils t'oublieront demain
Buk a tout dit, je crois, en une phrase et en une question. Pour autant, il faut bien avancer, même seul. Même maudit des dieux. Parce que finalement, je ne sais pas faire autrement, et se faire crever comme une bête décharnée dans un fossé, c'est trop compliqué, je suis trop poltron pour ça finalement. Donc j'avance. Et dans cette solitude, j'arrive à trouver une sorte de liberté, celle de ne pas dépendre des autres, de ne pas m’exposer, le moins possible, en marge. Il y a alors une sorte de joie teintée de tristesse à vivre ainsi, comme détaché des autres, des choses. Vivant, mais pas tout à fait dans la même vibration que le commun, en légère dissonance. Tout en sachant que, si demain j'étais accompagné dans ma vie, j'aurais une soif inextinguible de tendresse et de douceur à étancher, depuis le temps. Et j'ai bien trop peur de faire peur avec. Aussi, je préfère me tenir en retrait, prudemment, pudiquement. Ce à quoi on m'a objecté, laisse les gens choisir de t'approcher, à un moment, c'est aussi leur décision. Je me souviens de l'histoire d'un renard, d'une rose et d'un Petit Prince. De cette responsabilité particulière. Donc que répondre à ça, trop habitué désormais que je suis de ma faroucherie dont il faudrait me bouchonner comme une mauvaise carne ? Qu'en attendant, je n'attends personne et je décide de vivre malgré tout, faseyant certes dans les vents parfois contraires, mais avançant coûte que coûte, vague après vague. Sans réel but que de rester debout.
Vampires are lucky, they can feed on others. We gotta eat away at ourselves. We gotta eat our legs to get the energy to walk. We gotta come, so we can go. We gotta suck ourselves off. We gotta eat away at ourselves til there’s nothing left but appetite. We give, and give and give crazy. Cause a gift that makes sense ain’t worth it. Jesus said seventy times seven. No one will ever understand why, why you did it. They’ll just forget about you tomorrow, but you gotta do it.
Les vampires ont de la chance, ils peuvent se nourrir des autres. Nous devons nous nourrir de nous-mêmes. Nous devons manger nos jambes pour avoir l'énergie de marcher. Il faut venir pour pouvoir partir. Il faut s’aspirer nous-mêmes. Il faut se dévorer jusqu'à ce qu'il ne reste plus que l'appétit. Nous donnons, donnons et donnons follement. Parce qu'un cadeau qui a du sens n'en vaut pas la peine. Jésus a dit soixante-dix fois sept fois. Personne ne comprendra jamais pourquoi tu l'as fait. Ils t'oublieront demain, mais tu dois le faire.
Zoe
Bad Lieutenant
Abel Ferrara
Si je cite ce dialogue, c'est que depuis plus de trente ans, il m'accompagne dans mes pérégrinations. J'ai d’autres phrases comme celle-ci qui font comme de la paille pour remplir mon cerveau, afin qu’il ne paraisse pas trop vide. Je ne suis pas non plus certain d’être vraiment libre, complètement modelé que je suis par mon éducation, ma culture, mes préjugés, mon rang socio-culturel. De quoi suis-je vraiment libre au fond en dehors du fait de correspondre à peu près à ce que l’on attend de moi ? Avant, j’ai eu plusieurs fois envie d’envoyer tout balader, à la mèche courte. Maintenant, je me contente seulement de flotter, comme déraciné. Libéré en quelque sorte du fait de cette solitude que j’habille de mon mieux. Indépendant. Et quand je vois un faucon crécerelle qui file dans le ciel, seul, je me souviens du poème de Lawrence : Si les hommes étaient des hommes comme les lézards sont des lézards, ils vaudraient la peine d'être regardé. Parfois, ils le sont pourtant, fiers, et alors je suis heureux de les photographier.
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