Perdu...

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Jour xxx

Toujours rien de nouveau. Le ciel est toujours aussi rayonnant. Le sol est toujours aussi noir. J’en ai de plus en plus peur. J’ai l’impression qu’en le regardant trop longtemps, je vais tomber dans le vide. Le soleil est écrasant. La chaleur est infernale. Je n’ai rien à manger, rien à boire ; je deviens complétement fou. Chaque jour, je réécris dans ce carnet les mêmes phrases. Je les écris encore et encore. Je les écris chaque jour. Chaque jour je les écris. Je les connais par cœur. Je n’arrive pas à rajouter quoi que ce soit. Cela dure depuis si longtemps. Je ne sais pas ce que je fais ici. Je ne sais pas comment je suis arrivé ici. Ma mémoire me fait déjà défaut. Je crois que j’ai échoué dans ce désert infini il y presque deux ans. Deux ans passés à écrire en boucle les mêmes mots dans un carnet sorti d’on ne sait où. Je ne suis même pas sûr d’être ici depuis deux ans. Peut-être plus, peut-être moins. J’en ai assez. Quelque crime que j’ai pu commettre, je suis désormais assez puni. Libérez-moi ! Je vous en supplie…

 

Jour xxx

Je me suis dit qu’aujourd’hui, je devrais changer de message. Je m’enlise dans mon esprit. Répéter les mêmes phrases me confine dans un passé dont je ne veux plus. Peut-être le changement m’apportera-t-il un réconfort, et éventuellement une solution. Oserai-je changer ? Oserai-je le nouveau ? Hélas, qu’y a-t-il de nouveau, ici ? Rien n’a changé, rien ne changera, je le crains. Pourquoi suis-je condamné à cette errance sans fin ? Le soleil continue de marteler mon crâne de ses ardents rayons. Il se peut que mon sang finisse par bouillir, et moi par mourir de soif. Un triste sort en vérité…

 

 

 

Jour xxx

J’ai jeté ce carnet au loin il y a deux mois. Pendant deux mois, j’ai cru perdre définitivement la raison. J’ai tenté de me débarrasser de ce fictif confident, mais il est devenu le réceptacle de mon esprit. Sans lui, je ne suis rien. Je ne parviens toutefois pas à comprendre comment il s’est retrouvé sur ma route. Peut-être tourne-je en rond. J’ai relu les anciens messages. J’ai de nouveau envie de lancer ces pages abimés, mais je ne peux m’y résoudre. Je suis faible. Je ne suis plus rien.

 

Jour xxx

Personne ne me sortira d’ici. Je suis enfermé dans cet enfer. Je suis enfermé ! Pourquoi ? Qui l’a décidé ? Qui l’a voulu ? J’ai envie de mourir, mais je n’ai rien pour le faire. Je ne peux mourir de soif, ni de faim. Je n’arrive pas à mettre fin à mes souffrances. Une torture pire que la mort… Et ce carnet. Pourquoi ce carnet ? D’où vient-il ? Qui me l’a donné ? Pourquoi m’a-t-il été donné ? Tant de mystères résident en si peu de pages. Je n’arrive pas à en atteindre la fin. Le début est si lointain. Ou du moins, il le semble. Je n’ai plus aucune notion de temps. Il n’y a pas de jours, il n’y a pas de nuits. Je ne fais qu’imaginer la durée d’une journée. Peut-être ne suis-je ici que depuis quelques mois, quelques jours, quelques heures… Pourquoi ? Pourquoi ?

 

Jour xxx

Je me suis endormi et ai fait un étrange rêve. J’ai vu une route. Une longue route grise. Je marchais dessus. Je ne souviens plus pourquoi. Soudain, une grande masse sombre a surgi devant moi et m’a violemment heurté. Je me suis retrouvé étendu sur le sol, incapable de bouger. J’ai peur. Je ne sais pas ce que ce rêve veut dire. Je n’ai encore jamais rêvé dans ce désert. Suis-je en phase terminale de ma folie ? J’ai peur. Pourquoi ? Je ne veux plus dormir. Je ne veux pas refaire ce cauchemar. J’ai peur. Sauvez-moi !

 

Jour xxx

Je crois que ce message sera le dernier. La lumière devient aveuglante. J’ai l’impression que le soleil se rapproche. J’essaie d’écrire avant de ne plus pouvoir rien voir. Adieu. Si un jour vous lisez ce journal, j’espère que vous ne serez pas dans la situation que j’ai vécue. Nul ne peut souhaiter une telle souffrance, comme une agonie. Je ne vois presque plus rien. Adieu. Adieu…

 

 

* * *

 

 

« Madame, j’ai le regret de vous annoncer que votre mari est mort »

Des sanglots se firent entendre dans le combiné. Il y avait des larmes de tristesse, mais aussi de soulagement.

« Je… j’ai un poids en moins au cœur… répondit la dame. Depuis presque un an, j’avais peur qu’il finisse par mourir… J’ai eu si peur le jour où ce camion l’a renversé… Je suis heureuse que tout cela soit enfin terminé… Vous… vous savez, j’ai lu quelque part… que les personnes dans le coma continuent de vivre, mais dans leur tête… J’aime penser qu’il était heureux dans son esprit… Qu’il était plus heureux qu’ici… »

Et la dame repartit en sanglots.

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