La table avait été le premier point de contact avec le haut de ma tempe.

Il venait juste de terminer la dernière bouchée de son fondant au chocolat quand j’avais lâché la bombe.

« Evan. Ça ne te dérange pas si jeudi prochain, je vais passer quelques heures en ville ? J’ai rencontré par hasard Elise cet après-midi et elle m’a demandé si pouvais lui donner un petit coup de main dans l’association où elle travaille. »

En fait, j’aurais très bien pu y aller sans lui en parler. Pourquoi toujours ce besoin d’obtenir son approbation. La peur ? Oui. Evidemment.
Crainte justifiée par les rapports de mise en service de l'alarme qu'il consultait de temps en temps.
Il m'avait déjà une fois mise au pied du mur lorsque étant sortie pour aller faire des courses, j'avais aidé une pauvre grand mère à porter ses courses à l'autre bout de la ville. J'avais mis une heure de plus que nécessaire et la raclée avait été mémorable.

Dans mon ventre, dansaient des chauves-souris. Les papillons c’est pour l’amour. Les chauves-souris pour la terreur. J’avais occulté tous les messages de mon inconscient qui me disaient que ce n’était pas le bon moment. Que j’aurais dû attendre un peu pour lui en parler, mais devant l'insistance d'Elise, j’avais promis à mon amie de lui confirmer le lendemain si je pouvais venir.

*Je crois que la réponse va être non.*

En enlevant avec l’éponge les traces de sang de la veille au soir, mon esprit ne peut s’empêcher de revivre la scène en boucle.

Il avait passé une mauvaise journée. Depuis le temps que nous étions ensemble, j’avais appris à détecter les signes avant-coureurs. Le claquement de la porte d’une certaine manière, le jeté de bottes dans l’entrée, la bière prise dans le frigo sans un mot et BFM TV mis à tue-tête dans le salon.

Telle une petite souris, j’avais terminé de mettre la table, sans faire de bruit, puis était demeurée debout, dans la cuisine, en attente qu’il ait achevé sa bouteille pour servir le repas.

Il arrive généralement vers vingt heures, juste pour le dîner, ainsi nous n’avons que peu de temps pour ce lourd silence oppressant installé entre les couples qui n’ont rien à se dire.

J’avais fait des cuisses de poulet rôties aux herbes accompagnées d’un écrasé de pommes de terre et frites et un dessert au chocolat. Ce qu’il préférait.

Peut-être s’était-il douté de quelque chose. J’ai eu l’impression que la tension montait au cours du repas.

A ma question, le noir de ses pupilles s’était encore assombri, menaçant comme l’enfer.

Lentement, il a posé sa cuillère puis s’est levé sans un mot. Je me suis raidie sur ma chaise et je me souviens avoir saisit les montants près de mes cuisses. Comme si je ne voulais faire qu’un avec mon siège.

Il a approché sa bouche de mon oreille et m’a soufflé.

« Elise ? Cette pute ? »

Il ne l’avait jamais aimée. Je crois qu’il avait peur de l’influence qu’elle avait sur moi.

Intelligente, brillante et volontaire, elle ne se laissait pas faire.

Lors de soirée entre amis, elle l’avait plusieurs fois remis à sa place. Elle ne semblait pas avoir peur de ses réactions contrairement à la plupart des gens et son invitation à notre mariage avait été source de « compromis » que j’avais chèrement payé. Mais je ne le regrettais pas. Sans elle, le « plus beau jour de ma vie » aurait été encore pire.

J’avais hoqueté et légèrement opiné de la tête tout en gardant mon regard fixé sur la bouteille de vin qu’il avait entamée et qui n’était pas rebouchée. La pensée du gâchis si elle se renversait me traversa l’esprit, puis il empoigna mes cheveux et la douleur éclata dans ma tête quand il me fit heurter le bois du haut de la tempe.