Elle m’accompagna jusqu’à un banc proche et je m’y effondrai plus que je ne m’y assis.

« Elise… »

Il fallait que je m’en débarrasse. A contre cœur, mais il le fallait.

« Tu ne vas pas bien. »

La voix de mon amie s’était durcie. Elle était chargée d’une sourde colère.

« Je ne suis pas revenue par hasard. C’est ta mère qui m’a appelé. »

Le souffle coupé, mon cœur se mit à battre la chamade.

« Je voulais que tu vois comment cela se passe dans un foyer de femme battues. Que tu parles avec elles. Que tu comprennes qu’il y a de l’espoir et que nous sommes là pour t’aider. »

Mes yeux se remplirent de larmes.

« D’autant plus que je suis toujours ton amie n’est-ce pas ? »

C’était un appel, et l’eau saline dévala mes joues amaigries.

« Oh Elise… » Fut tout ce que je pu dire.

Bien sûr qu’elle était mon amie.

Elle prit mes deux mots pour un oui et continua.

« Il t’a encore frappé hier. Je ne me trompe pas. J’en suis sûre. Ta démarche. Ta façon de te tenir. J’ai vu ça des dizaines de fois. Je ne laissera pas ce salaud continuer. »

« Si je ne rentre pas vite, il risque… »

« Tu ne rentreras pas. » Son ton déterminé me fit sursauter. « Nous allons aller à l’hôpital te faire examiner, soignée et établir un rapport circonstancié qui servira. »

« Je n’ai que lui… » La peur de la solitude, de mon insignifiance, de ma petitesse qu’il avait ancré en moi me revenait en pleine face tel un tsunami.

« Tu m’as moi. Tu as aussi une famille qui ne demande qu’à t’aider. Nous t’aimons. Pour de vrai. Par pour avoir une poupée corvéable et malléable. »

Ses phrases éveillaient en moi une étincelle d’espoir, mais chasser le naturel il revient au galop.

Enfouissant mes mains dans mon visage, mes sanglots éclatèrent.

Là, en plein rue. Sous le regard des passants, des voisins, des hommes et femmes qui peut-être m’auraient reconnu et irait raconter à Evan qu’ils m’avaient vu pleurer à chaudes larmes sur un banc de la place de la Mairie dans les bras d’une femme.

« Je n’y arriverai pas… » Mon gémissement était pitoyable.

Evan penserait que je l’avais fait exprès, pour me donner en spectacle. C’est sûr il allait me tuer. C’était peut-être la solution.

« Je t’ai dit que tu n’y retournerai pas ! » Elise m’avait pris par les épaules pour m’obliger à me tourner vers elle.

« Bonjour Mesdames. Il y a un problème ? »

La voix masculine me fit violemment sursauter et si mon amie n’avait pas été là pour me retenir je serai tombée du banc.

Je levais un regard terrifié sur les deux hommes en uniforme, tremblante comme une feuille.

La police.

Ils allaient me ramener à la maison. Un attroupement commençait à se créer tout autour de nous.

Cette fois j’étais fichue. Un monstre griffu déchirait mes entrailles dans mon ventre, réveillant les coups de poignards dans mes côtes.

« Oui Messieurs. Il y a un problème. » La voix d’Elise était neutre et totalement maîtrisée.

Comme je l’enviais. Comme je l’admirais.

« Elle est battue par son mari et a peur de rentrer chez elle. »

Les voisins, les passants se rapprochaient comme une meute de loup venu se repaître du festin.

« Circulez. » L’un des policiers fit signe à deux collègues qui patrouillaient devant la Mairie d’écarter les badauds, tandis que l’autre s’accroupissait pour se mettre à hauteur de mon visage.

« C’est exact Madame ? »

Je n’avais plus de salive. De ma réponse allait découler mon destin et celui d’Evan.

Qu’allait-il lui arriver ? Probablement la prison ? Avais-je le droit de le faire mettre derrière les barreaux.

« Il sera soigné. Il a besoin d’aide comme toi. Vous ne pouvez continuer ainsi. »

Comme elle me connaissais bien. Ma sœur de cœur.

Tentant de maîtriser mes tremblements, j’ôtais lentement mon masque et mon béret.

Dévoilant mon visage tuméfié, les marques et coupures de mon front, près de ma tempe.

« Oui. »

La suite, je ne m’en souviens que vaguement.

L’hôpital. Les radios. Deux côtes cassées, trois fêlées. Poumons perforés. Quelques points de suture. De nombreuses contusions et tellement plus d’anciennes cicatrices. Je prenais ça avec détachement. Comme si cela avait été le cas d’un sujet lors de mon examen d’infirmière.

A porté de main ou derrière la vitre durant les examens Elise était là. Elle ne m’a pas lâché du regard.
Tout comme lors du procès.

Et j’ai pu constater qu’elle avait raison.
Beaucoup d’amis sont revenus vers moi ainsi que ma famille.

C’est lui, c’est moi, c’est nous qui les avions écartés.

Evan est dans un centre psychiatrique et les médecins ont de l’espoir.

Moi pour le moment je ne veux plus le voir.

J’ai enfin compris que l’on n’est jamais seul si l’on accepte de demander de l’aide.

L’être humain est bon dans son fond. Il est prêt à aider, à tendre la main dans le besoin.

Fin du cauchemar.