Le dernier été
La voiture s'avança lentement dans l'allée bordée de mimosa. La maison émergea au tournant.
Une bâtisse solide comme on trouve souvent dans les campagnes, il faut qu'elles résistent pour accueillir les grandes familles pendant la saison froide.
Maintenant on ne retient que grande bâtisse froide.
J'y passais tous mes étés enfant. A courir après le chat puis les années passant à pédaler comme une damnée avec les copains.
Ceux-là même qui ont fui la région à la recherche de travail et surtout d'une vie plus urbaine, moins isolée.
C'est la première fois que je reviens ici depuis l'enfance. J'ai arrêté de venir vers dix-sept ans. La maison isolée, ses courants d'air et les copains aux goûts différents et aux idées bizarres.
Bizarre...c'est ainsi qu'ils me qualifiaient, moi, la petite-fille de la folle.
Folle, il faut l'être pour rester vivre dans cette maison. Ma grand-mère passait pour telle. Au village, les voix se taisaient sur son passage, on chuchotait, on se demandait si elle n'avait pas quelque chose à voir avec le coq de M'sieur René retrouvé décapité. Parce que, vous comprendrez, qu'habiter là-haut, toute seule, avec tout ce qu'on raconte...les légendes ont toujours une part de vérité, mais une pauv' vieille là-haut au milieu de ça, toutes ces personnes qui ont disparues, c'est pas normal.
Je les ai entendu, ces mots, sans les comprendre d'abord. L'innocence de l'enfance.
Puis un été, j'ai compris.
La bande de copain est floue dans mon esprit. Il reste des visages, la couleur d'un vélo, les rires, les disputes.
Les disputes surtout.
A cause de lui.
Au début, il ne voulait jamais venir jouer avec nous, il disait être trop grand pour jouer à chat. Par la suite, au début de l'adolescence, lorsqu'il venait, personne ne lui parlait. Seule moi lui adressait la parole. Les copains le regardaient puis l'ignoraient. J'ai fini par préférer sa présence à celle de la bande. Son rire cristallin, ses gestes tendres, sa langue surannée...cette langue qui susurrait des histoires fantastiques le soir à mon oreille. Cette langue m'a faite grandir et fait de moi celle que je suis.
Je crois qu'il a toujours été là, dans la maison. Au début, lointain, une voix, une ombre. Puis les années passant, il s'est montré. Aucun mot ne peut le décrire. Son apparence était à l'image de son langage, daté, comme figé à une époque lointaine.
Je ne sais pas comment cela est arrivé. On s'est aimé. D'abord comme des enfants qui se tiennent la main en rougissant. Puis d'été en été, on a grandi.
Enfin, j'ai grandi. Si mes goûts ont évolués, lui restait figé dans son époque. Cette époque dont il me racontait les splendeurs en me caressant, comparant mes formes aux vallons de son pays lointain.
Un jour nos lèvres se frôlées, nos bouches se sont ouvertes laissant passer une langue avide de découvrir celle de l'autre. Sans vraiment comprendre, on s'est aimé. Chacune de ses caresses amenant plus de plaisir et de désir. Quand il est entré en moi, j'ai connu l'extase. Je me suis accrochée à lui comme un naufragé à sa bouée, bougeant en rythme avec les vagues de son corps sur le mien.
Cette année-là, celle de mes quinze ans, on s'est aimé à en crever. On était seuls contre tous, toi et moi contre les imbéciles. Le départ a été un arrachement, tu m'as promis d'être là pour mon retour l'année d'après.
Et tu étais là, inchangé, fidèle au souvenir que j'avais de toi. De nouveau, on s'est aimé tout l'été, prenant plus d'assurance dans nos gestes, dans nos caresses, tes doigts s'enfouissant en moi me donnant un plaisir fou, plaisir que je te rendais ensuite avec mes lèvres.
De nouveau, l'été est passé. La séparation a, une fois de plus, été violente. Un an loin de toi ? un an sans toi ?
Puis vint le dernier été...tu n'étais pas là. Mon cœur était semblable au temps : la pluie camouflant mes larmes. Un matin, je t'ai entendu, j'en suis sûre, tu m'appelais. J'ai fini par te trouver. Tu m'as dit que tu étais découvert, que tu ne pouvais plus venir, tu étais paniqué. Malgré tout nous avons une dernière fois uni nos corps.
Je ne t'ai pas revu de l'été. Le jour du départ, j'ai trouvé une lettre de ta main. Tu m'expliquais tout et surtout comment te retrouver.
Je n'ai pas pu venir pendant cinq longues années où je n'ai cessé de penser à toi.
Aujourd'hui, je suis là. Aujourd'hui, conformément aux instructions que tu m'as laissé dans ta lettre, je vais venir te rejoindre. Je vais attendre la pleine lune, près de la cheminée. A l'heure dite, le portail dans le manteau de la cheminée s'ouvrira et je te rejoindrai mon amour.
Aujourd'hui, je passe dans ton monde et non plus toi dans le mien.
Aujourd'hui, pour la première fois, tu verras ton reflet à côté de moi. Un reflet plus jeune, un mini-toi de quatre ans.
Notre fils.
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