Elle
Elle regarda un long moment le vide noir de l'abysse. Elle se demandait si la chute serait si terrible. Si le choc deviendrait la chose la plus douloureuse qui lui était jamais arrivée. Mais ça ne pouvait pas être le cas. La chose la plus douloureuse de sa vie, elle la vivait depuis des lustres désormais. Rien ne pouvait la faire changer d'avis. Ni les sourires, ni les mots, ni les gestes... Elle voulait juste que ça s'arrête. Elle était prête à souffrir physiquement un peu plus, pendant un court instant si c'était le prix à payer pour être en paix.
Le calme éphémère des drogues ou des lames sur sa peau ne suffisait plus... Dès que les effets se dissipaient, dès que le sang cessait de couler, lorsque la douleur finissait par disparaître, tout lui revenait d'un coup. C'était comme la berceuse d'une boîte à musique brisée, se répétant dans une boucle de plus en plus courte, de plus en plus sinistre, de plus en plus basse.
Elle continuait d'entendre sa voix. La sienne, celle des autres. Rien ne la faisait s'arrêter maintenant. Elle avait tellement mal, c'était forcément la fin. Elle avança encore un peu, approchant ses pieds de l'abysse. Personne ne s'en soucierait de toute façon. Il n'y avait plus personne dehors pour elle, ni ici, ni ailleurs.
En bas, les vagues s'écrasaient à intervalle régulier contre la paroi claire de la falaise. L'eau était d'un noir d'encre. Rien ne s'y reflétait. La lune et ses milliers d'étoiles avaient disparus derrière les volutes sombres des nuages. Elle s'assit calmement, laissant ses jambes se balancer avec le vent dans le vide. Elle retira ses chaussures l'une après l'autre avant de les poser près d'elle. Elle défit le ruban qui maintenait ses cheveux et le laissa partir avec la brise.
Elle se laissa basculer. Le vent sifflait à ses oreilles, effaçant le vacarme des voix dans sa tête. Elle ferma les yeux, attendit que l'eau referme son étreinte froide autour d'elle, que le silence se fasse et que la douleur s'éteigne...
Annotations
Versions