Cauchemars

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Les yeux dans le vague, Marylin observe le brouillard par le fenestron de la cuisine. La brume éthérée enveloppe les contours de la ville comme un manteau laiteux traversé par la pâle lueur de la lune. Son voile s'étire sur le toit des immeubles rendant l'obscurité grise et énigmatique.

Il est 5h00 du matin et elle ne dort déjà plus. Pourtant les cocktails corsés du Tiki lui promettaient un sommeil de plomb mais ses yeux se sont ouverts sur une vision de terreur l'extirpant avec force de sa nuit et de ses draps. Car la vision de cette nuit surpassait toutes les autres. Une force malveillante la maintenait au sol et tentait de l'étouffer. Elle voulait crier mais était paralysée par cet être nuisible dont elle ne distinguait pas même les contours mais devinait l'hostilité. Rien que d'y repenser elle en avait des frissons.

Pourquoi tous ces cauchemars ? C'était arrivé soudainement il y a un mois et depuis, chaque nuit elle y avait droit. Et chaque fois la peur et une angoisse profonde l'empêchaient de se rendormir. Elle se levait et allumait la télé ou la radio pour dissiper le silence oppressant de la nuit et errait ainsi dans l'appartement jusqu'au matin. Mais ce n'était plus tenable car le manque de sommeil commençait à se faire sentir. Elle le voyait bien dans le miroir où ses yeux gonflés et ses cernes foncées lui donnaient un air de déterrée.

Heureusement, sa machine à café était là, comme une précieuse alliée de combat. Elle glisse une capsule dans le bec en inox quand elle reçoit un message sur son téléphone.

- Comme promis le numéro de la sophro, vas-y de la part de Carole. Big bisous ma cops !

Trop fatiguée pour affronter le froid matinal Nantais, elle s'engouffre dans sa vielle Fiesta pour aller travailler. Et tant pis pour les 10 balles de stationnement ! se raille-t'elle en démarrant le chauffage.

- Encore un café Marylin ? Tu vas te bousiller la santé non ?

- Oh lâche moi Vanessa ! Je dors quasiment plus, si tu savais.

- Ah mais je sais ! à ta tête et à ta mauvaise humeur ! A croire que t'es en compèt avec le Boss !

- Tu peux me remplacer cet aprèm ? J'ai décroché un rendez-vous pour mes problèmes de sommeil, juste deux heures ..

- Deux heures pas plus ok ? On a la commande de l'hôtel à finir et je peux pas être au comptoir et aux machines à la fois.

- Pas plus, promis !

- Oh mais regarde qui passe juste en face ? S'exclame Vanessa en pointant du doigt le boulevard Voltaire.

- Loïc ?! Mais qu'est-ce qu'il fait là ?

Marylin en a la chair de poule. Loïc, son amour, celui avec qui elle rêvait de passer sa vie. Loïc le lâche qui a plié devant les bien-pensants, les gardiens de l'élitisme. Loïc avec son allure de beau gosse qui s’ignore et ses cheveux en pétard. Encore plus beau qu'avant dans son costume impeccable. Ça le vieillit mais ça lui va si bien.

- Arrête Marylin tu te fais du mal ! S'exclame Céline en pressant gentiment sa collègue de la suivre.

- Allez viens on retourne bosser !

- J'en reviens pas de le voir dans le secteur

- Mais tu ne m'avais pas dit qu'il était sur Rennes ?

- Oui, son père l'a envoyé gérer une de ses agences immobilières. Avec Sofia, bien sûr !

- Sofia, celle qui t'a remplacée ?

- Ouais si on puit dire..Pour être remplacée il aurait d'abord fallu que j'ai une place.

Voilà bientôt un an qu’ils étaient séparés et la blessure était toujours vive. Aujourd'hui, elle tentait de se reconstruire, seule dans son petit monde étroit et étriqué. Leur histoire avait duré deux ans, deux ans de trop pour Arnaud Brissard le père de Loïc. A la tête d'un réseau d'agences immobilières ce dernier déplorait la relation que son fils entretenait avec une petite employée sans consistance et sans avenir. A moins qu'elle n'ait flairé le bon coup ? Ça ne pouvait être que ça non ? En attendant, quand Loïc a obtenu son Master, son père l'a envoyé à Rennes gérer une de ses agences. L'éloignement et son nouvel entourage ont eu raison de leur relation. Marylin a appris à ses dépens que les classes sociales ne se mélangent pas et dés le début, leur différence de milieu vouait leur couple à l'échec.

Une certaine Sofia l'avait succédée. Sofia Benaïche, une petite brune ambitieuse dont elle avait juste eu le temps d'apercevoir le minois avant que Loïc ne la bloque sur son compte Instagram. Une deuxième rupture en quelque sorte.

Pourtant c'est lui qui l'avait draguée, alors qu'elle livrait du linge sur le Campus où il étudiait. Elle venait tout juste de démarrer son boulot au pressing quand Fred l'avait envoyée chercher un énorme rack de linge de service. Elle se démenait tant bien que mal avec cet immense chariot quand elle a percuté Loïc qui sortait du self par l'entrée de service. En guise d’excuse, il s'était fait offrir une bière le soir même au Délirium. Le début d'une histoire tronquée et pour elle, une amertume persistante.

Elle en est là de ses réflexions quand elle arrive au 22 de la rue Crébillon, sur la zone piétonne du centre ville. Une grande porte cochère en bois trône entre un cabinet de médecine esthétique et une boutique Hermès. La consultation risque d'être chère, se dit-elle en appuyant sur l'interphone cuivré au lustre impeccable. A l'étage, une femme à l'élégance discrète l'accueille avec un sourire chaleureux. Son énergique poignée de main tranche avec la douceur de sa voix.

- Anne-Laure Panier, entrez je vous prie !

La sophrologue l'invite à pénétrer dans un petit cabinet intimiste aux murs pourpre. Passant devant la minuscule salle d'attente de l'entrée, Marylin note les bougies allumées et le tapis en laine écru. Une ambiance apaisante et chaleureuse se poursuit dans la salle de consultation où les lumières tamisées éclairent avec douceur les murs clairs et le parquet en chêne foncé. Marylin se sent immédiatement en confiance dans ce cocon de douceur hors du temps.

- Installez-vous ! L'invite la thérapeute en désignant le fauteuil face à elle, de l'autre côté du bureau. - Marylin, c'est bien cela ?

- Tout à fait, Marylin Vervier. Je viens de la part d'une infirmière du CHU.

- Oui Carole, qui travaille avec votre amie Céline. Je sais tout ! lance-t'elle d'un sourire amusé.

- C'est bien cela. Et je viens vous voir car comme elle, j'ai des problèmes de sommeil.

- Racontez-moi ça.

-Et bien, depuis quelques temps, je suis réveillée en pleine nuit par des cauchemars terribles. C'est comme si... comme si je n'avais plus aucun contrôle. Je me réveille en sueur, complètement désorientée. J’ai peur de me rendormir après.

- Je vois… ça doit être épuisant, à la fois mentalement et physiquement. Vous avez d'autres soucis à part ça ? des ennuis de santé notamment ?

- J'ai une thyroïde qui fonctionne au ralenti et je suis souvent fatiguée, voire épuisée. Depuis une semaine j'ai aussi des vertiges lorsque je me lève subitement.

Anne Laure Panier note scrupuleusement leur échange sur un grand carnet bleu

- Et vous parvenez à vous endormir ?

- Ah oui, très facilement. Mais après ces réveils, impossible de retrouver le sommeil.

- Cela ressemble à des terreurs nocturnes. Et le manque de sommeil se répercute sur votre bien être général. Je vous propose un plan d'attaque en deux phases, la première où l'on va travailler sur la relaxation et la seconde sur l'inconscient, à la naissance de ces cauchemars

-Et bien heu... Hésite Marylin avant de se lancer. Combien ça va me coûter ? Enfin, ça me gène de dire ça mais le prix à son importance..

Voilà c'était dit. Car ce qui turlupine Marylin depuis le début de la consultation, c'est le prix. Le foutu prix de tout. Ou comment avec son petit salaire elle doit payer son loyer, ses courses, ses sorties et avec le peu qui lui reste, ce genre de bonus.

- Oui évidemment, je comprends tout à fait. La séance coûte 49 euros.

- Et vous pensez qu'il va m'en falloir beaucoup ?

- Une dizaine sera suffisante.

Marylin blêmit, car sa calculatrice interne, plus efficace que le supercalculateur du CERN, a déjà implosé au regard de la somme à prévoir.

- Écoutez, je vais être franche, mon salaire ne me permet pas toutes ces séances. Vous ne pouvez pas faire quelque chose de plus direct, enfin sauter une phase par exemple ?

- Alors, ce qui marche très bien, c'est l'hypnothérapie. Je la propose toujours en seconde intention mais pourquoi ne pas la tenter directement. C'est efficace et les résultats sont plutôt rapides.

- Vous parlez d'hypnose ?

- C'est bien cela. Mais rassurez-vous, on ne parle pas d'hypnose de cabaret. Non il s'agit là d'atteindre un niveau de conscience qui permette de modifier profondément certaines habitudes. Et en l'occurence, de libérer des schémas ou des peurs qui seraient à l'origine de ces rêves.

Une angoisse saisit Marylin. De l'hypnose ! Elle s'attendait à tout sauf à ça.

- On peut démarrer tout de suite si vous le souhaitez.

Marylin hésite. En même temps, si elle ne se lance pas aujourd'hui, elle est presque sûre ne jamais revenir. Et puis elle n'en peut plus de ces nuits d'épouvante. Elle doit faire quelque chose !

La sophrologue l'invite à s'installer dans un large fauteuil incliné.

- Détendez-vous Marylin. Vous allez maintenant relâcher vos épaules et inspirer doucement.

La jeune femme ferme les yeux et se concentre sur ses sensations. Les effluves de cuir mêlées au parfum d’encaustique que dégage le parquet la rassurent. Elle prend une profonde inspiration et tâche de se détendre. D’une voix grave et sourde la thérapeute la fait descendre, palier par palier, dans les méandres de son inconscient. Marylin se laisse guider comme une enfant perdue et sombre rapidement dans un épais brouillard. Ses yeux s’agitent sous ses paupières closes tandis que ses membres endoloris reposent lourdement sur le fauteuil.

- Voilà, c'est bien, ressentez la paix s'installer, le calme. Vous êtes libre d'explorer... de voyager en toute sécurité, guidée uniquement par ce sentiment de paix.

Alors qu’elle glisse dans une apparente placidité, une sensation de chaleur intense l’envahit. Durant de longues minutes son corps se fige dans une atonie semblable au sommeil et elle se sent flotter entre deux réalités. Pourtant, cette apparente sérénité devient lourde, malaisante. Un intense mal-être surgi du plus profond de son âme commence à l'envahir et la prend à la gorge. Elle se sent loin, trop loin pour revenir à la surface et lutter. Anne-Laure Panier remarque que la jeune femme se tend nerveusement. Ses poings se serrent et des soubresauts agitent son buste. Et alors que sa bouche se tord en un rictus de souffrance, la thérapeute prononce immédiatement le décompte de réveil et fait revenir à elle la jeune femme. Suffocante et la voix étranglée Marylin tente de s’exprimer mais aucun son ne sort de sa bouche.

- Doucement, calmez-vous. Prenez une longue inspiration et soufflez lentement par la bouche.

La thérapeute lui tient la main et plonge son regard dans le sien

- Vous venez de vivre un épisode intense mais ne vous inquiétez pas, ce mal être va se dissiper. Vous souvenez-vous de quelque chose ?

Marylin reprend son souffle et réprime un sanglot, témoin du sentiment d’angoisse qui l’étreint.

- C’est confus. J’ai vu un tas d’images défiler. Un attroupement et des cris terribles, puis tout s’est arrêté d'un coup et j’ai senti comme un feu brûler près de moi. J’avais très peur.

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